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La belle-foeur va chercher la mesure elle la trouve; mais comme elle connoif foit la pauvreté d'Ali Baba, curieuse de fçavoir quelle forte de grain fa femme vouloit mefurer, elle s'avifa d'appliquer adroitement du fuif au-deffous de la mesure, & elle y en appliqua. Elle revint, & en la préfen tant à la femme d'Ali Baba, elle s'excufa de l'avoir fait attendre fur ce qu'elle avoit eu de la peine à la trouver.

La femme d'Ali Baba revint chez elle; elle pofe la mesure fur le tas d'or, l'emplit & la vuide un peu plus loin fur le fofa, jusqu'à ce qu'elle eut achevé, & elle fut contente du bon nombre de mefures qu'elle en trouva, dont elle fit part à fon mari qui venoit d'achever de creufer la foffe.

Pendant qu'Ali Baba enfouit l'or, fa fem me pour marquer fon exactitude & fa diligence à fa belle-four, lui reporte fa mesure; mais fans prendre garde qu'une piece d'or s'étoit attachée au-deffous. Belle-foeur, dit-elle, en la rendant, vous voyez que je n'ai pas gardé long-tems votre mefure, je vous en fuis bien obligée, je vous la rends.

La femme d'Ali Baba n'eut pas tourné le dos, que la femme de Caffim regarda la mefure par le deffous; & elle fut dans un étonnement inexprimable d'y voir une piece d'or attachée. L'envie s'empara de fon cœur dans le moment. Quoi, dit-elle, Ali Baba a de l'or par mefure! Et où le mifé

rable a-t-il pris cet or? Caffim fon mari n'étoit pas à la maison, comme nous l'avons dit; il étoit à fa boutique, d'où il ne devoit revenir que le foir. Tout le tems qu'il fe fit attendre fut un fiecle pour elle, dans la grande impatience où elle étoit, de lui ap prendre une nouvelle dont il ne devoit pas être moins furpris qu'elle.

A l'arrivée de Caffim chez lui: Caffim, lui dit fa femme, vous croyez être riche, vous vous trompez; Ali Baba l'eft infiniment plus que vous; il ne compte pas fon or comme vous, il le mesure. Caffim demanda l'explication de cette énigme., & elle lui en donna l'éclairciffement en lui apprenant de quelle adreffe elle s'étoit fervie pour faire cette découverte, & elle lui montra la piece de monnoie qu'elle avoit trouvée attachée au-deffous de la mesure; piece fi ancienne que le nom du Prince qui y étoit marqué lui étoit inconnu.

Loin d'être fenfible au bonheur qui pou voit être arrivé à fon frere pour se tirer de la mifere, Caffim en conçut une jaloufie mortelle. Il en paffa prefque la nuit fans dormir. Le lendemain il alla chez lui, que le Soleil n'étoit pas levé. Il ne le traita pas de frere, il avoit oublié fon nom depuis qu'il avoit épousé la riche veuve. Ali Baba, dit-il en l'abordant, vous êtes bien réservé dans vos affaires; vous faites le pauvre, le miférable, le gueux, & yous mefurez l'or.

Mon frere, reprit Ali Baba, je ne sçai de quoi vous voulez me parler, expliquez vous. Ne faites pas l'ignorant, repartit Caf fim ; & en lui montrant la piece d'or que fa femme lui avoit mife entre les mains: combien avez-vous de pieces, ajoûta-t-il, femblables à celle-ci que ma femme a trouvée attachée au-deffous de la mefure que la vôtre vint lui emprunter hier?

A ce difcours, Ali Baba connut que Caf fim, & la femme de Caffim, ( par un entêtement de fa propre femme) fçavoient dé ja ce qu'il avoit un fi grand intérêt de tenir caché: mais la faute étoit faite; elle ne pouvoit fe réparer. Sans donner à fon frere la moindre marque d'étonnement ni de chagrin, il lui avoua la chofe, & il lui raconta par quel hafard il avoit découvert la retraite des voleurs, & en quel endroit ; & il lui offrit, s'il vouloit garder le fecret de lui faire part du tréfor.

Je le prétends bien ainfi, reprit Caffim d'un air fier; mais, ajoûta-t-il, je veux fçavoir auffi où eft précisément ce tréfor, les enfeignes, les marques, & comment je: pourrois y entrer moi-même, s'il m'ens prenoit envie; autrement je vais vous dénoncer à la Justice. Si vous lerefufez, nonfeulement vous n'aurez plus à en efpérer, vous perdrez même ce que vous avez en•Levé, au lieu que j'en aurai ma part pour yous avoir dénoncé,

Ali Baba, plutôt par fon bon naturel ; qu'intimidé par les menaces infolentes d'un frere barbare, l'inftruifit pleinement de ce qu'il fouhaitoit, & même des paroles dont il falloit qu'il fe fervit, tant pour entrer dans la grotte, que pour en fortir.

Caffim n'en demanda pas davantage à Ali Baba; il le quitta, réfolu de le prévenir; & plein d'efpérance de s'emparer du tréfor lui feul, il part le lendemain de grand matin, avant la pointe du jour, avec dix mulets chargés de grands coffres, qu'il fe propofa de remplir, en fe réfervant d'en mener un plus grand nombre dans un fecond voyage, à proportion des charges qu'il trouveroit dans la grotte. Il prend le chemin qu'Ali Baba lui avoit enfeigné ; il arrive près du rocher, & il reconnoît les enfeignes, & l'arbre fur lequel Ali Baba s'étoit caché. Il cherche la porte, il la trouve; & pour la faire ouvrir, il prononça les paroles: Sefame ouvre-toi. La porte s'ouvre, il entre,& auffitôt elle fe referme. En examinant la grotte,il eft dans une grande admiration de voir beaucoup plus de richeffes qu'il ne l'avoit compris par le récit d'Ali Baba & fon admiration augmenta à mesure qu'il examina chaque chofe en particulier. Avare & amateur des richeffes, comme il l'étoit, il eût paffé la journée à fe repaître les yeux de la vue de tant d'or, s'il n'eût fongé qu'il étoit venu pour l'enlever & pour

en charger fes dix mulets; il en prend un nombre de facs, autant qu'il en peut porter; & en venant à la porte pour la faire ouvrir, P'efprit rempli de toute autre idée que ce qui lui importoit davantage, il fe trouve qu'il oublie le mot néceffaire, & au lieu de Se fame, il dit, Orge ouvre-toi : & il eft bien étonné de voir que la porte loin de s'ouvrir demeura fermée. Il nomme plufieurs au tres noms de grain, autres que celui qu'il falloit, & la porte ne s'ouvre pas..

I

Caffim ne s'attendoit pas à cet évenement. Dans le grand danger où il fe voit, la frayeur fe faifit de fa perfonne ; & plus il fait d'efforts pour fe fouvenir du mot de Sefame, plus il embrouille fa mémoire, & il en demeure exclus abfolument comme fi jamais il n'en avoit entendu parler. Il jette par terre les facs dont il étoit chargé; il fe promene à grands pas dans la grotte, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; & toutes les richeffes dont il fe voit environné ne le touchent plus. Laiffons Caffim déplorant fon fort, il ne mérite pas de compaffion.

હું

Les voleurs revinrent à leur grotte vers le midi ; & quand ils furent à peu de diftan ce, & qu'ils eurent vû les mulets de Caffim autour du rocher, chargés de coffres, inquiets de cette nouveauté, ils avancerent à toute bride, & firent prendre la fuite aux dix mulets que Caffim avoit négligé d'atta cher, & qui paiffoient librement; de ma

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