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Morgiane avertit fa maîtreffe, & Ali Baba qui la fuivoit, entra. Hé-bien, beaufrere, demanda la belle-foeur à Ali Baba, avec grande impatience, quelle nouvelle apportez-vous de mon mari? je n'apperçois rien fur votre visage qui doive me confoler.

Belle foeur, répondit Ali Baba, je ne puis vous rien dire, qu'auparavant vous ne me promettiez de m'écouter depuis le commencement jufqu'à la fin fans ouvrir la bouche. Il ne vous eft pas moins important qu'à moi, dans ce qui eft arrivé, de garder un grand fecret pour votre bien, & pour votre repos.

Ah! s'écria la belle-foeur, fans élever la voix, ce préambule me fait connoître que mon mari n'eft plus; mais en même tems je connois la néceffité du fecret que vous me demandez. Il faut bien que je me faffe violence: dites, je vous écoute.

Ali Baba raconta à fa belle-four tout le fuccès de fon voyage jufqu'à fon arrivée avec le corps de Caffim. Belle-foeur, ajoûta-t-il, voilà un fujet d'affliction pour vous d'autant plus grand que vous vous y attendiez le moins. Quoique le mal foit fans remede, fi quelque chofe néanmoins eft capable de vous confoler, je vous offre de joindre le peu de bien que Dieu m'a envoyé au vôtre en vous époufant, & en vous affurant que ma femme n'en fera pas jalouse,

& que vous vivrez bien enfemble. Si la propofition vous agrée, il faut fonger à faire enforte qu'il paroiffe que mon frere est mort de fa mort naturelle ; & c'eft un foin dont il me femble que vous pouvez vous repofer fur Morgiane, & j'y contribuerai de mon côté de tout ce qui fera en mon pouvoir.

Quel meilleur parti pouvoit prendre la veuve de Caffim , que celui qu'Ali Baba lui propofoit, elle qui, avec les biens qui lui demeuroient par la mort de fon premier mari, en trouvoit un autre plus riche qu' elle; & qui, par la découverte du tréfor qu'il avoit faite, pouvoit le devenir davantage? Elle ne refusa pas le parti, elle le regarda au contraire comme un motif raifonnable de confolation. En effuyant fes larmes qu'elle avoit commencé de verser en abondance, en fupprimant les cris perçans ordinaires aux femmes qui ont perdu leurs maris, elle témoigna fuffifamment à Ali Baba qu'elle acceptoit fon offre.

Ali Baba laiffa la veuve de Caffim dans cette difpofition ; & après avoir recommandé à Morgiane de bien s'acquitter de fon perfonnage, il retourna chez lui avec fon âne.

Morgiane ne s'oublia pas; elle fortit en même-tems qu'Ali Baba, & alla chez un Apothiquaire qui étoit dans le voisinage : elle frappe à la boutique, on ouvre, & elle de

mande d'une forte de tablette très-falutaire dans les maladies les plus dangereuses. L'Apothiquaire lui en donna pour l'argent qu'elle avoit présenté, en demandant qui étoit malade chez fon maître. Ah, dit-elle, avec un grand foupir, c'eft Caffim lui-même, mon bon maître ! On n'entend rien à sa maladie, il ne parle ni ne peut manger. Avec ces paroles, elle emporte les tablettes dont véritablement Caffim n'étoit plus en état de faire ufage.

Le lendemain, la même Morgiane revient chez le même Apothiquaire, & demande, les larmes aux yeux, d'une effence dont on avoit coutume de ne faire prendre aux malades qu'à la derniere extrémité, & qu'on n'espéroit rien de leur vie, fi cette effence ne les faifoit.revivre. Hélas, ditelle, avec une grande affliction, en la recevant des mains de l'Apothiquaire, je crains fort que ce remede ne faffe pas plus d'effet que les tablettes! Ah, que je perds un bon maître !

D'un autre côté, comme on vit toute la journée Ali Baba & fa femme d'un air trifte faire plufieurs allées & venues chez Caffim, on ne fut pas étonné fur le foir'd'entendre des cris lamentables de la femme de Caffim, & fur-tout de Morgiane, qui annonçoient que Caffim étoit mort.

Le jour fuivant de grand matin, que le jonr ne faifoit que commencer à paroître,

Morgiane qui fçavoit qu'il y avoit fur la place un bon homme de favetier fort vieux, qui ouvroit tous les jours fa boutique le premier, long-tems avant les autres, fort, & elle va le trouver. En l'abordant, & en lui donnant le bon jour, elle lui mit une piece d'or dans la main.

Baba Mouftafa, connu de tout le monde fous ce nom, Baba Mouftafa, dis-je, qui étoit naturellement gai, & qui avoit toujours le mot pour rire, en regardant la piece d'or, à caufe qu'il n'étoit pas encore bien jour, & en voyant que c'étoit de l'or: bonne étrenne, dit-il, de quoi s'agit-il ? me voilà prêt à bien faire.

Baba Mouftafa, lui dit Morgiane, prenez ce qui vous eft néceffaire pour coudre & venez avec moi promptement; mais à condition que je vous banderai les yeux, quand nous ferons dans un tel endroit.

A ces paroles, Baba Mouftafa fitle difficile. Oh, oh! reprit-il, vous voulez donc me faire faire quelque chofe contre ma confcience ou contre mon honneur. En lui mettant une autre piece d'or dans la main: Dieu garde, reprit Morgiane, que jexige rien de vous, que vous ne puiffiez faire en tout honneur. Venez feulement, & ne craignez rien.

Baba Mouftafa fe laiffa mener; & Morgiane, après lui avoir bandé les yeux avec un mouchoir à l'endroit qu'elle avoit mar

qué, le mena chez défunt fon maître, & elle ne lui ôta le mouchoir que dans la chambre où elle avoit mis le corps, chaque quartier à fa place. Quand elle le lui eut ôté : Baba Mouftafa, dit-elle, c'eft pour vous faire coudre les pieces que voilà que je vous ai amené. Ne perdez pas de tems; & quand vous aurez fait, je vous donnerai une autre piece d'or.

Quand Baba Moustafa eut achevé, Morgiane lui rebanda les yeux dans la même chambre; & après lui avoir donné la troifieme piece d'or qu'elle lui avoit promise, & lui avoir recommaudé le fecret, elle le remena jufqu'à l'endroit où elle lui avoit bandé les yeux en l'amenant; & là, après lui avoir encore ôté le mouchoir, elle le laiffa retourner chez lui, & le conduifant de vûe jufqu'à ce qu'elle ne le vît plus, afin de lui ôter la curiofité de revenir fur fes pas pour l'obferver elle-même.

Morgiane avoit fait chauffer de l'eau pour laver le corps de Caffim : ainfi Ali Baba, qui arriva comme elle venoit de rentrer, le lava, le parfuma d'encens, & l'enfevelit avec les cérémonies accoutumées. Le Menuifier apporta auffi la bierre, qu'Ali Baba avoit pris le foin de commander.

Afin que le Menuifier ne pût s'appercevoir de rien, Morgiane reçut la bierre à la porte; & après l'avoir payé & renvoyé, elle aida à Ali Baba à mettre le corps de

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