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reprit-il avec étonnement, & pour le faire parler? Pourquoi coudre un mort, ajoûtatil? vous voulez dire apparemment que vous avez coufu le linceul dans lequel il a été enfeveli.

Non, non, reprit Baba Mouftafa ; je fçai ce que je veux dire; vous voudriez me faire parler, mais vous n'en fçaurez pas davantage.

Le voleur n'avoit pas befoin d'un éclairciffement plus ample pour être perfuadé qu'il avoit découvert ce qu'il étoit venu chercher. Il tira une piece d'or; & en la mettant dans la main de Baba Moustafa il lui dit je n'ai garde de vouloir entrer dans votre fecret; quoique je puifle vous affurer que je ne le divulguerois pas,fi vous me l'aviez confié. La feule chofe dont je vous prie, c'eft de me faire la grace de m'enseigner ou de venir me montrer la maifon où vous avez coufu ce mort.

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Quand j'aurois la volonté de vous accorder ce que vous me demandez, reprit Baba Mouftafa, en tenant la piece d'or prêt à la rendre, je vous affure que je ne pourrois pas le faire, & vous devez m'en croire fur ma parole. En voici la raison: c'est qu'on m'a mené jufqu'à un certain endroit où l'on m'a bandé les yeux, & de-là en me laiffant conduire jufqu'à dans la maison, d'où après avoir fait ce que je devois faire, on me ramena de la même maniere jufqu'au même

endroit. Vous voyez l'impoffibilité qu'il y a que je puiffe vous rendre service.

Au-moins, repartit le voleur, vous devez vous souvenir à-peu près du chemin qu'on vous a fait faire les yeux bandés : Venez, je vous prie, avec moi, je vous banderai les yeux en cet endroit-là, & nous marcherons ensemble par le même chemin & par les mêmes détours, que vous pourrez vous remettre dans la mémoire d'avoir marché ; & comme toute peine mérite récompenfe, voici une autre piece d'or : venez, faites-moi le plaifir que je vous demande, & en difant ces paroles il lui mit une autre piece dans la main.

Les deux pieces d'or tenterent Baba Mouftafa; il les regarda quelque tems dans fa main fans dire mot, en fe confultant fçavoir ce qu'il devoit faire. Il tira enfin fa bourfe de fon fein, & en les mettant dedans je ne puis vous affurer, dit-il au voleur, que je me fouvienne précisément du chemin qu'on me fit faire, mais puifque vous le voulez ainfi, allons, je ferai ce que je pourrai pour m'en souvenir.

Baba Mouftafa fe leva à la grande fatisfaction du voleur; & fans fermer fa boutique, où il n'y avoit rien de conféquence à perdre, il mena le voleur avec lui jufqu'à l'endroit où Morgiane lui avoit bandé les yeux. Quand ils furent arrivés, c'eft ici. dit Baba Mouftafa, qu'on m'a bandé, &

j'étois

j'étois tourné comme vous me voyez. Le voleur qui avoit fon mouchoir prêt, les lui banda, & il marcha à côté de lui, en partie en le conduifant, en partie en fe laiffant conduire par lui, jufqu'à ce qu'il s'arrêta.

Alors, il me femble, dit Baba Mouftafa, que je n'ai point paffé plus loin, & il fe trouva véritablement devant la maifon de Caffim, où Ali Baba demeuroit alors. Avant de lui ôter le mouchoir de devant les yeux, le voleur fit promptement une marque à la porte avec de la craye qu'il tenoit prête; & quand il le lui eut ôté, il demanda s'il fçavoit à qui appartenoit la maifon. Baba Moustafa lui répondit qu'il n'étoit pas du quartier, & ainfi qu'il ne pouvoit lui en rien dire.

Comme le voleur vit qu'il ne pouvoit apprendre rien davantage de Baba Mouftafa, il le remercia de la peine qu'il lui avoit fait prendre ; & après qu'il l'eut quitté & laiffé retourner à fa boutique, il reprit le chemin de la forêt, perfuadé qu'il feroit bien reçu. Peu de tems après que le voleur & Baba Mouftafa se furent féparés, Morgiane fortit de la maifon d'Ali Baba pour quelqu'affaire; & en revenant elle remarqua la marque que le voleur y avoit faite; elle s'arrêta pour y faire attention. Que fignifie cette marque, dit-elle en elle-même, quelqu'un voudroit-il du mal à mon maître, ou l'a-t-on fait pour fe divertir? A quelque intention Tome VI.

G

qu'on l'ait pu faire, ajoûta-t-elle, il eft bon de fe précautionner contre tout événement. Elle prend auffi de la craye; & comme les deux ou trois portes au-deffus & au-deffous étoient femblables, elle les marqua au même endroit, & elle rentra dans la maifon fans parler de ce qu'elle venoit de faire ni à fon maître ni à sa maîtreffe.

Le voleur cependant qui continuoit fon chemin arriva à la forêt, rejoignit fa troupe de bonne heure. En arrivant il fit rapport du fuccès de fon voyage, en exagérant le bonheur qu'il avoit eu d'avoir trouvé d'abord un homme, par lequel il avoit appris le fait dont il étoit venu s'informer, ce que perfonne que lui n'eût pû lui apprendre. Il fut écouté avec une grande fatisfaction; & le Capitaine, en prenant la parole, après l'avoir loué de fa diligence : Camarades, dit-il, en s'adreffant à tous nous n'avons pas de tems à perdre : partons bien armés, fans qu'il paroiffe que nous le foyons; & quand nous ferons entrés dans la ville féparément, les uns après les autres, pour ne pas donner de foupçon que le rendez-vous foit dans la grande place, les uns d'un côté, les autres d'un autre, pendant que j'irai reconnoître la maifon avec notre camarade, qui vient de nous apporter une fi bonne nouvelle, afin que là deffus je juge du parti qui nous conviendra le mieux.

Le difcours du Capitaine des voleurs fut applaudi, & ils furent bientôt en état de partir. Ils défilerent deux à deux, trois à trois; & en marchant à une distance raisonnable les uns des autres, ils entrerent dans la ville fans donner aucun foupçon. Le Capitaine & celui qui étoit venu le matin y entrerent les derniers. Celui-ci mena le Capitaine dans la rue où il avoit marqué la maifon d'Ali Baba; & quand il fut devant une des portes qui avoit été marquée par Morgiane il la lui fit remarquer, en lui difant que c'étoit celle-là. Mais en continuant leur chemin fans s'arrêter, afin de ne pas fe rendre fufpects, comme le Capitaine eut obfervé que la porte qui fuivoit étoit marquée de la même marque & au même endroit, il le fit remarquer à fon conducteur, & il lui demanda fi c'étoit celle-ci ou la premiere. Le conducteur demeura confus, & il ne fçut que répondre, encore moins quand il eut vû avec le Capitaine que les quatre ou cinq portes qui fuivoient avoient auffi la même marque. Il affura au Capitaine, avec ferment, qu'il n'en avoit marqué qu'une. Je ne sçai, ajoûta-t-il, qui peut avoir marqué les autres avec tant de reffemblance; mais dans cette confufion j'avoue que je ne peux diftinguer laquelle eft celle que j'ai marquée.

Le Capitaine qui vit fon deffein avorté fe rendit à la grande place, où il fit dire à

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