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La boutique qui fe trouva vis-à-vis de la fienne, étoit celle qui avoit appartenu à Caffim, & qui étoit occupée par le fils d'Ali Baba, il n'y avoit pas long-tems.

Le Capitaine des voleurs qui avoit pris le nom de Cogia Houffain, comme nouveau venu, ne manqua de faire civilité aux Marchands fes voifins, felon la coutume. Mais comme le fils d'Ali Baba étoit jeune, bien fait, qu'il ne manquoit pas d'ef prit, & qu'il avoit occafion plus fouvent de lui parler & de s'entretenir avec lui qu'avec les autres, il eut bien-tôt fait amitié avec lui. Il s'attacha même à le cultiver plus fortement & plus affiduement, quand trois ou quatre jours après fon établissement il eut reconnu Ali Baba qui vint voir fon fils, qui s'arrêta à s'entretenir avec lui,comme il avoit coutume de le faire de tems-en-tems, & qu'il eut appris du fils, après qu'Ali Baba l'eut quitté,que c'étoit fon pere. Il augmenta fes empreffemens, auprès de lui, il le carref fa, il lui fit de petits préfens,il le regala même, & il lui donna plufieurs fois à manger.

Le fils d'Ali Baba ne voulut pas avoir tant d'obligation à Cogia Houffain fans lui rendre la pareille. Mais il étoit logé étroitement, & il n'avoit pas la même commodité que lui pour le régaler comme il le fouhaitoit. Il parla de fon deffein à Ali Baba fon pere, en lui faifant remarquer qu'il ne feroit pas féant qu'il demeurât plus long

tems

tems fans reconnoître les honnêtetés de Cogia Houffain.

Ali Baba fe chargea du régal avec plaifir: Mon fils, dit-il, il eft demain Vendredi ; comme c'eft un jour que les gros Marchands, comme Cogia Houffain & comme vous, tiennent leurs boutiques fermées, faites avec lui une partie de promenade pour l'après-dîné, & en revenant faites enforte que vous le faffiez paffer par chez moi, & que vous le faffiez entrer. Il fera mieux que la chofe fe faffe de la forte, que fi vous l'invitiez dans les formes. Je vais ordonner à Morgiane de faire le fouper, & de le tenir prêt.

Le Vendredi le fils d'Ali Baba & Cogia Houffain fe trouverent l'après-dîné au rendez-vous qu'ils s'étoient donné, & ils firent leur promenade. En revenant, comme le fils d'Ali Baba avoit affecté de faire paffer Cogia Houffain par la rue où demeuroit fon. pere; quand ils furent arrivés devant la porte de la maifon, il l'arrêta, & en frappant: c'eft, lui dit-il, la maifon de mon pere, lequel fur le recit que je lui ai fait de l'amitié dont vous m'honorez, m'a chargé de lui procurer l'honneur de votre connoiffance. Je vous prie d'ajoûter ce plaifir à tous les autres dont je vous fuis redevable. Quoique Cogia Houffain fût arrivé au but qu'il s'étoit propofé, qui étoit d'avoir entrée chez Ali Baba, & de lui ôter la vie, Tome VI.

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fans hafarder la fienne, en ne faisant pas d'éclat, il ne laiffa pas néanmoins de s'excufer, & de faire femblant de prendre congé du fils; mais comme l'efclave d'Ali Baba venoit d'ouvrir, le fils le prit obligeamment par la main, & en entrant le premier, il le tira & le força en quelque maniere d'entrer, comme malgré lui.

Ali Baba reçut Cogia Houffain avec un vifage ouvert, & avec le bon accueil qu'il pouvoit fouhaiter. Il le remercia des bontés qu'il avoit pour fon fils : l'obligation qu'il vous en a, & que je vous en ai moimême, ajoûta-t-il, eft d'autant plus grande, que c'eft un jeune homme qui n'a pas encore l'ufage du monde, & que vous ne dédaignez pas de contribuer à le former.

que

Cogia Houffain rendit compliment pour compliment à Ali Baba, en lui affurant fi fon fils n'avoit pas encore acquis l'expérience de certains vieillards, il avoit un bon fens qui lui tenoit lieu de l'expérience d'une infinité d'autres.

Après un entretien de peu de durée fur d'autres fujets indifférens, Cogia Houssain voulut prendre congé. Ali Baba l'arrêta: Seigneur, dit-il, où voulez-vous aller? je vous prie de me faire l'honneur de fouper avec moi. Le repas que je veux vous don ner eft beaucoup au-deffous de ce que vous méritez; mais tel qu'il eft, j'efpere que vous l'agréerez d'auffi bon coeur que j'ai intention de vous le donner.

Seigneur Ali Baba, reprit Cogia Houffain, je fuis très-perfuadé de votre bon cœur, & fi je vous demande en grace de né pas trouver mauvais que je me retire fans accepter l'offre obligeante que vous me faites; je vous fupplie de croire que je ne le fais ni par mépris, ni par incivilité mais parce que j'en ai une raifon que vous approuveriez, fi elle vous étoit connue.

Et quelle peut être cette raison, Seigneur, reprit Ali Baba, peut-on vous la demander? Je puis la dire, répliqua Cogia Houffain; c'eft que je ne mange ni viande, ni ragout ou il y ait du fel; jegez vous-même de la contenance que je ferois à votre table. Si vous n'avez que cette raison, infifta Ali Baba, elle ne doit pas me priver de l'honneur de vous pofféder à fouper, à moins que vous ne le vouliez autrement. Premierement, il n'y a pas du fel dans le pain que l'on mange chez moi ; & quant à la viande & aux ragòûts, je vous promets qu'il n'y en aura pas dans ce qui fera servi devant vous, je vais y donner ordre; ainf faites-moi la grace de demeurer, je reviens à vous dans un moment.

Ali Baba alla à la cuifine, & il ordonna à Morgiane de ne pas mettre du fel fur la viande qu'elle avoit à fervir, & de préparer promptement deux ou trois ragoûts entre ceux qu'il lui avoit commandés, où il n'y eût pas de fel,

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Morgiane qui étoit prête à fervir, ne put s'empêcher de témoigner fon mécontement fur ce nouvel ordre, & de s'en expliquer à Ali Baba: qui eft donc, dit-elle, cet homme fi difficile qui ne mange pas de fel? votre foupé ne fera plus bon à manger fije le fers plus tard. Ne te fâche pas, Morgiane, reprit Ali Baba, c'eft un honnête homme ; fais ce que je te dis.

Morgiane obéit, mais à contre-cœur, & elle eut la curiofité de connoître cet homme qui ne mangeoit pas de fel. Quand elle eut achevé, & qu'Abdalla eut préparé la table, elle l'aida à porter les plats. En regardant Cogia Houffain, elle le reconnut d'abord pour le Capitaine des voleurs, malgré fon déguisement; & en l'examinant avec attention, elle apperçut qu'il avoit un poignard caché fous fon habit. Je ne m'étonne plus, dit-elle en elle-même, que le scélerat ne veuille pas manger de fel avec mon maître; c'eft fon plus fier ennemi, il veut l'affaffiner; mais je l'en empêcherai.

Quand Morgiane eut achevè de fervir ou de faire fervir par Abdalla, elle prit le tems pendant que l'on foupoit, & fit les préparatifs néceffaires pour l'exécution d'un coup des plus hardis ; & elle venoit d'achever lors qu'Abdalla vint l'avertir qu'il étoit tems de fervir le fruit. Elle porta le fruit, & dès qu'Abdalla eut levé ce qui étoit fur la table, elle le fervit. Enfuite elle pofa

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