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DISCOURS

SUR CETTE QUESTION:

La Vie Civile eft-elle préférable à la Vie Ruftique?

LA

PAR M. PESSELIER.

A Providence, toujours fage dans fes vûës, placé les hommes dans différentes conditions: elle leur a départi différens emplois. Les uns habitent les Palais des Rois, entrent dans leurs Confeils, & participent aux déliberations les plus importantes; ils font les Chefs de ce grand Corps qu'on appelle l'Etat. Mais ce Corps a d'autres Membres qui ne lui font pas moins utiles; tels font ceux en qui réfident les occupations de la Vie Civile; les différentes Profeffions qu'embraffe ce genre de Vie, concourent unanimement au bien public & à la gloire de la Nation. L'Etat mécanique contribue auffi efficacement, quoiqu'avec moins de fplendeur à l'utilité commune; il est enfin un dernier genre de personnes que les Princes comptent parmi leurs Su

jets, dont les travaux font auffi fort avantageux; ce font ceux qui relegués par leur naiffance ou par leur goût dans les campagnes, ne s'occupent que des détails de l'agriculture; ce font les partifans de la Vie Ruftique. Chacun a donc fon perfonnage à faire dans ce monde ; & c'eft Dieu qui eft le diftributeur des Rolles que nous avons à y représenter. En fuppofant néanmoins que le choix nous fût réfervé, ferions - nous raifonnables de préférer la Vie Civile à la Vie Ruftique? Cette derniere au contraire ne doit-elle pas l'emporter fur l'autre ? C'est à quoi fe réduit la queftion que j'entreprens de traiter aujourd'hui, en me déclarant pour la Vie Civile. Voilà, Meffieurs, fur quoi vous avez à prononcer; quelques puiffans que foient les moyens que m'offre mon fujet, j'aurois tout à redouter de l'éloquence de mon Adverfaire, fi le don de la parole fuffifoit pour emporter vos fuffrages. Mais je parle devant des Juges ennemis de la prévention. Vos lumieres, Meffieurs, votre équité & l'excellence de ma cause, suppléeront aisément à ce qui peut manquer à P'Orateur.

L'utilité publique & notre propre fatisfaction font d'ordinaire les motifs qui nous fervent de régle dans le choix d'un état de vie: ce font auffi ceux qui doivent nous faire

préférer la Vie Civile à la Ruftique. Notre félicité perfonnelle, le bien commun, font également intéreffés dans cette préférence; c'eft une vérité, Meffieurs, à laquelle vous ameneront infenfiblement quelques réflexions fur ce qui eft le plus capable d'opérer le bonheur de l'homme en particulier, & la gloire de tout un Etat en général.

L'homme ignore fouvent ce qui peut le rendre heureux, quoiqu'il afpire fans ceffe à le devenir; il s'égare dans la recherche des moyens d'acquérir le vrai bonheur: il ne le trouve point dans les honneurs, dans les richeffes, dans les dignités; ce font autant d'appas flateurs, mais dangereux; objets féduifans, mais incapables d'opérer une félicité folide. Je ne vois que la paix du cœur & de l'efprit qui puiffe procurer à l'homme ce contentement pur & durable, feul digne de nos vœux les plus ardens & de nos foins les plus empreffés.

Mais par combien d'obftacles ne fommesnous pas traversés dans la recherche d'un bien fi défirable; & lorfque nous en avons fait l'heureufe acquifition, que de difficultés à furmonter pour le conferver! Les fâcheux évenemens aufquels la Vie humaine nous affujettit, trouble la paix de notre efprit ; celle du cœur eft dérangée par les paffions qui nous agitent fans ceffe & nous tiennent dans

un efclavage prefque continuel. Ces paffions font de tous les âges, de tous les paiis, de toutes les conditions. Il eft vrai qu'elles agiffent diverfement felon la differente difpofition des organes qu'elles rencontrent, mais leurs differentes modifications ne diminuent point le poids de leurs chaînes ; ces tirans des ames fe font jour partout, elles commandent aux fuperbes Monarques comme aux fimples Bergers; elles tourmentent également le Villageois & le Citoyen. Oüi, Meffieurs, la Campagne qui nous en impofe par le faux dehors d'une tranquillité apparente, n'en procure point une véritable à ceux qui l'habitent. Comme nous ils éprouvent les miferes attachées à notre nature, miferes pour eux d'autant plus accablantes que les maximes d'une bonne éducation,que la vertu des bons exemples les rend moins capables de les furmonter. Comme nous ils fubiffent le joug des paffions qui font fur eux des impreffions d'autant plus fortes qu'ils. ont moins de quoi y réfifter. Ne nous trompons pas, Meffieurs, le fiécle d'or n'eft plus, peut-être même n'a-t-il jamais été, fi ce n'eft que les Anciens ayent ainfi appellé l'état primitif de nos premiers Peres; quoiqu'il en foit, pour me fervir du langage de la Fable, il ne refte aucun veftige du fiécle heureux de Saturne & de Rhée; les champs ne

produifent plus d'eux-mêmes des moiffons abondantes. La terre fait acheter aux hommes les productions dont elle les enrichit; la campagne n'eft plus habitée par ces Pafteurs également fimples & Philofophes en qui la Vie Ruftique n'excluoit point une aimable politeffe. Je le répete, Meffieurs, ce tems précieux s'eft éclipfé; les defcriptions qu'on en fait encore aujourd'hui flatent agréablement notre imagination; c'eft une belle Fable qu'on débite avec grace, c'eft une fiction; tirons le rideau, il s'en faudra de beaucoup que la réalité 'nous offre un fi beau fpectacle.

Quittons pour un moment le féjour de la Ville, tranfportons - nous dans celui des campagnes: daignez m'y fuivre, Meffieurs, & vous verrez que les chofes ont bien changé de face. Vifitez avec moi ces cabanes qui nous rappellent en apparence la fimplicité de nos premiers Peres, mais ne vous attachez point à l'extérieur, travaillez à découvrir le fonds des chofes ; quel va être votre étonnement, ces cabanes ne font plus habitées par des gens fans paffion; fous ces toits couverts de chaumes regnent avec autant d'empire que dans la Vie Civile & dans les Palais des Princes, l'orgueil, l'ambition, la cupidité, l'amour déréglé, l'impieté, l'injuffice, la haine, l'efprit de vangcance

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