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Quel homme eft fans erreur? & quel Roi fans foibleffe?
Eft-ce à vous de prétendre au droit de le punir?
Vous nez tous fes sujets, vous faits pour obéir!

Un fils ne s'arme point contre un coupable pére.
Il détourne les yeux, le plaint, & le révére.
Les droits des Souverains, font-ils moins prétieux?
Nous fommes leurs enfans, leurs Juges font les Dieux.
Si le Ciel quelquefois les donne en fa colére,
N'allez pas mériter un prefent plus févére,

Trahir toutes les Loix, en voulant les vanger,
Et renverfer l'Etat, au lieu de le changer.

Inftruit par le malheur (ce grand Maître de l'homme)
Tarquin fera plus jufte, & plus digne de Rome.
Vous pouvez raffermir par un accord heureux,
Des Peuples & des Rois les légitimes noeuds,
Et faire encor fleurir la liberté publique,
Sous l'ombrage facré du pouvoir monarchique.
BRUTUS.

Arons, il n'est plus témps; chaque Etat a fes Loix,
Qu'il tient de fa nature, ou qu'il change à fon choix ;

Efclaves de leurs Rois, & même de leurs Prêtres,

Les Tofcans femblent nez pour fervir fous des Maîtres;
Et de leur chaîne antique adorateurs heureux,
Voudroient que l'Univers fut efclave comme eux.
La Grece entiere eft libre, & la molle Ionie
Sous un joug odieux languit affujettie.
Rome eut fes Souverains, mais jamais absolus.
Son premier citoyen fut le grand Romulus;
Nous partagions le poids de fa grandeur suprême ;
Numa, qui fit nos Loix, y fut foûmis lui-même;
Rome enfin, je l'avoue, a fait un mauvais choix:
Chez les Tofcans, chez vous, elle a choisi ses Rois;
Ils nous ont apporté du fond de l'Etrurie

Les vices de leur Cour, avec la tyrannie.

Il fe leve;

Pardonnez-nous grands Dieux! fi le Peuple Romain
A tardé fi long-temps à condamner Tarquin.
Le fang qui regorgea fous fes mains meurtrieres,
De notre obéiffance a rompu les barrieres.
Sous un Sceptre de fer tout ce Peuple abbatu,

A force de malheurs a repris fa vertu ;

Tarquin nous a remis dans nos droits légitimes;
Le bien public eft né de l'excès de fes crimes:
Et nous donnons l'éxemple à ces mêmes Toscans,
S'ils pouvoient, à leur tour, être las des Tirans.

Les Confuls defcendent vers l'Autel, & le Sénat fe leve: O Mars! Dieu des Héros, de Rome, & des batailles, Qui combats avec nous, qui défends ces murailles! Sur ton Autel facré, Mars, reçoi nos fermens, Pour ce Sénat, pour moi, pour tes dignes enfans! Si dans le fein de Rome il fe trouvoit un traitre, Qui regrettât les Rois, & qui voulût un maître, Que le perfide meure au milieu des tourments: Que fa cendre coupable, abandonnée aux vents, Ne laiffe ici qu'un nom, plus odieux encore Que le nom des Tyrans, que Rome entiere abhorre. ARONS,

avançant vers l'Autel.

Et moi, fur cet Autel qu'ainfi vous profanez,
Je jure au nom du Roy que vous abandonnez,

Au nom de Porfenna, vangeur de fa querelle,
A vous, à vos enfans, une guerre immortelle,

Les Senateurs font un pas vers le Capitole.

Senateurs arrétez, ne vous féparez pas ;
Je ne me fuis pas plaint de tous vos attentats ;
La Fille de Tarquin, dans vos mains demeurée,
Eft-elle une victime, à Rome confacrée?

Et donnez-vous des fers à fes royales mains,
Pour mieux braver fon pere, & tous les Souverains?
Que dis-je! tous ces biens, ces tréfors, ces richeffes,
Que des Tarquins dans Rome épuifoient les largeffes,
Sont-ils votre conquête, ou vous font-ils donnez?
Eft-ce pour les ravir que vous le détrônez?
Sénat, fi vous l'ofez, que Brutus les dénie.

BRUTUS, fe tournant vers ARONS.
Vous connoiffez bien mal, & Rome, & fon génie,
Ces Senateurs & moi, vangeurs de l'équité,

Ont blanchi dans la pourpre, & dans la pauvreté.
Au-deffus des tréfors, que fans peine ils vous cédent;
Leur gloire est de dompter les Rois qui les poffédent.

Prenez cet Qr, Arons, il eft vil à nos yeux.
Quant au malheureux Sang d'un Tiran odieux,
Malgré la jufte horreur que j'ai pour fa Famille,
Le Sénat à mes foins a confié fa fille.

Elle n'a point ici de ces refpects flatteurs,
Qui des enfans des Rois empoifonnent les coeurs
Elle n'a point trouvé la pompe & la mollesse,
Dont la Cour des Tarquins enivra fa jeunesse.
Mais je fçais ce qu'on doit de bontez & d'honneur,
A fon fexe, à son âge, & fur tout au malheur.
Dès ce jour en fon camp que Tarquin la revoye,
Mon cœur même en conçoit une fecrette joye.
Qu'aux Tyrans déformais rien ne refte en ces lieux,
Que la haine de Rome, & le courroux des Dieux.
Pour emporter au camp l'Or qu'il faut y conduire,
Rome vous donne un jour; ce temps doit vous fuffire
Ma maison cependant eft votre fûreté:

Jouiffez-y des droits de l'hofpitalité.

Voilà ce que par moi le Sénat vous annonce,
Ce foir à Porfenna reportez fa réponse

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