។ BR U T U S, TRAGÉDIE DE M. DE VOLTAIRE. NOUVELLE EDITION l'Auteur. Infelix utcumque ferent ea fata nepotes, Vincet amor patria, A PARIS, du Pont-Neuf, à la Charité. M. DCC. XXX V I. V3,B7, 1736 DISCOURS SUR LA TRAGEDIE A MYLORD BOLINGBROOKE I je dédie à un Anglois un Ouvrage représenté à Paris, ce n'est pas, MYLORD, qu'il n'y ait aussi dans ma Patrie des Juges très-éclairez, & d'excellens Esprits ausquels j'euffe pû rendre cet hommage. Mais vous sçavez que laTragédie de Brutus est née en Angleterre: Vous vous souvenez que lorsque j'étois retiré à Wandsworth, chez mon amiM. Faukener,ce digne & vertueux Citoyen, je m'occupai chez lui à écrire en Prose An gloise le premier Acte de cette Piéce , peu près tel qu'il est aujourd'hui en Vers François. Je vous en parlois quelquefois & nous nous étonnions qu'aucun Anglois n'eût traité ce sujet , qui de tous est peutêtre le plus convenable à votre Théâtre. Vous m'encouragiez à continuer un Ouvrage susceptible de li grands sentimens. Souffrez donc que je vous présente Brutus, quoiqu'écrit dans une autre langue , à vous docte fermones utriusquz lingue, à vous qui me donneriez des leçons de François aussi-bien que d’Anglois , à vous qui m'apprendriez du moins à rendre à ma langue cette force & cette énergie qu’inspire la noble liberté de penser ; car les sentimens vigoureux de l'ame passent toujours dans le langage , & qui pense fortement, parle de même. Je vous avouë, MYLORD, qu'à mon retour d'Angleterre où j'avois parte deux années dans une étude continuelle de votre Langue, je me trouvai embarassé lors. que je voulus composer uneTragédie Françoise. Je m'étois presque accoutumé à penser en Anglois , je sentois que les termes de ma Langue ne venoient plus se présenecr à mon imagination avec la même abondance qu'auparavant ; c'étoit comme un De la ri que vous fication ruisseau dont la source avoirété dérournée; il me fallur du tems & de la peine pour le faire couler dans son premier lit. Je compris bien alors que pour réüssir dans un art, il le faut cultiver toute sa vie, Ce qui m'effraya le plus en rentrant dans cette carriere, ce fut la sévérité de me & de la notre Poësie , & l'esclavage de la rime. Je de la Verliregrettois cette heureuse liberté avez d'écrire vos Tragédies en vers non ri. Françoisc, mez , d'allonger , & surtout d'accourcir presque tous vos mots, de faire enjamber les vers les uns sur les autres , & de créer dans le besoin des termes nouveaux , qui sont toujours adoptez chez vous, lorsqu'ils font sonores , intelligibles & nécessaires. Un Poëte Anglois , difois-je, elt un homme libre qui affervit fa Langue à fon gé. nie ; le François est un esclave de la rime, obligé de faire quelquefois quatre vers pour exprimer une pensée qu'un Anglois peut rendre en une seule ligne. L'Anglois dit tout ce qu'il veut , le François ne dit que ce qu'il peut. L'un court dans une carriere vaste , & l'autre marche avec des entraves dans un chemin glissant & étroit. Malgré toutes ces réflexions & toutes ces plaintes, nous ne pourrons jamais secoüer le joug de la rime, elle est essentielle à la 2 |