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de vue, elle ne perdît sa confiance; mais plus occupée de plaire à Dieu qu'aux Princes de la terre, elle fe livroit tout entiere à fon devoir.

On a peine à croire combien les voyages de Fontainebleau la contrarioient, en l'éloignant d'une Maison qu'elle regardoit comme fa famille. « Quand me verrai-je, écrivoit-elle à » la Supérieure, au milieu de mes » cheres filles, où je me fens mille fois » plus à l'aife qu'au banquet royal».

Jaloufe d'entretenir l'émulation & d'encourager un fexe naturellement timide, elle crut pouvoir faire jouer quelques Tragédies faintes. On récitoit d'excellens entretiens qu'elle compofa en forme de dialogues, & dont des êtres moraux, tels que la Vertu, l'Efprit, & la Raifon font les Interlo

euteurs.

Racine fut prié de contribuer à l'éducation d'une Maifon qu'il révéroit comme l'afile de la piété. Les prin

cipes de religion dont il avoit été nourri dès fa plus tendre jeuneffe, le mettoient en état de travailler d'après l'Écriture Sainte. Il en connoiffoit parfaitement les beautés, & l'on en vit la preuve dans la Tragédie d'Efther, où, fous de fines allégories, il défigne Louis XIV & Madame de Maintenon. Sa piece eut tout le fuccès qu'on en pouvoit attendre; & s'il lui manque un certain intérêt, le public en fut amplement dédommagé par les vers fentencieux & par les grandes images de la Divinité qu'elle renferme.

Des Prélats & des Religieux mêmes ne se faifoient point scrupule de paroître à ces fpectacles; mais M, Hebert, Curé de Versailles, requis un jour par Madame de Maintenon d'y affifter, s'en défendit avec connoiffance de caufe. Il lui expofa que le Théâtre, quelque chafte qu'il pût être, avoit toujours du danger pour de jeunes Demoifelles qui s'attachoient au défir de plaire, & qui

ne déclamoient fûrement pas fans or gueil. Il ajouta, que des Courtifans l'avoient affuré qu'ils en étoient plus frappés que des Comédiennes mêmes.

On préfume facilement que ces raifons lui firent impreffion; mais elle ne put fe difpenfer de laiffer jouer Athalie, qu'elle avoit elle-même demandée, & que le Roi défiroit avec le plus vif empreffement.

M. de Fénelon eut beau prier M. Def marais, Évêque de Chartres, d'y affifter; l'auftere Prélat fut inflexible; & tandis que les Demoiselles repréfenterent Athalie, il fit une Conférence aux Dames Religieufes, fur l'éloignement qu'on doit avoir pour les plaifirs.

La malignité, toujours ardente à décrier les meilleurs Ouvrages, donna tous les mauvais fens à la Piece de Racine; & cette Tragédie, le chefd'œuvre du Théâtre François, ne parut imprimée que pour effuyer les plus ameres critiques. Madame de Main

tenon foutint toujours que Racine n'avoit rien fait de plus beau ; & l'on peut juger de fon goût par fon opinion qui a prévalu.

On profita des réflexions du Curé de Versailles, & l'on ne joua plus de Pieces en préfence des étrangers.

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Racine termina fa carriere quelques années après, laiffant un vide que tout le génie du fiecle préfent n'a point encore rempli. C'étoit un Ecrivain dont la Poéfie s'empara, pour ainfi dire dès le berceau, & qui, malgré la difficulté des rimes, ne donna jamais d'entraves à ses pensées : le cœur fut le grand livre qu'il étudia; & ce fut en feuilletant ses replis, qu'il compofa ces Tragédies tendres & fublimes, où, felon le témoignage de Voltaire, il n'y a pas un vers foible.

Ses rares qualités ne le rendirent pas moins précieux à la Nation que fes Ecrits ; & lorfque la Cour & la Ville le pleurerent, ce n'étoit pas feulement

de Poëte qu'on regrettoit, mais l'homme le plus aimable & le plus vertueux.

On attribua fa mort au vif chagrin que lui caufa la colere du Roi, qui ne voulut plus le voir, à raison d'un Mémoire où l'on faifoit connoître les malheurs de l'Etat. Cet écrit, où Raeine expofoit toute la fenfibilité de fa belle âme en faveur de l'humanité prouve qu'il ne jouoit pas le fentiment dans fes Tragédies, & que c'étoit réellement l'expreffion de fon

€œur.

Il eft fâcheux que ce petit Ouvrage ne foit pas parvenu jusqu'à nous; la plume qui l'avoit tracé, fembloit avoir été trempée dans les larmes mêmes des malheureux, dont elle décrivoit les maux,

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