CHAPITRE XXII, Le Saint represente à Stagyre gyre sa poffeffion comme une grace de Dieu, & luy remontre l'avantage qu'il en a tiré pour la conversion de ses mœurs. Il le console par l'exemple de deux celebris malades de son temps. I les grandes & extraordinaires afflictions étoient S Mais outre cette raison generale, il montre à Stagyre combien sa poffeffion luy a esté avantageuse Lib.r,,, pour le corriger de fes défauts. Car il dit de luy,qu'au 6.10., lieu qu'autrefois il ne se mettoit nullement en peine → de livres ny de lecture, & que les arbres du jardin >> étoient son unique foin & toute fon occupation; il ** s'appliquoit alors avec beaucoup d'assiduité aux jeû» nes, aux veilles, à la lecture & à la priere continuelle: >>> que l'on le voyoit merveilleusement récüeilly; & que toutes ses actions étoient accompagnées d'une humi>> lité profonde, luy qui avoit esté jusques alors accusfé de vanité dans le Monastere même, & qui étoit soupçonné d'avoir je ne sçay quelle enflure de cœur, à caufe de l'éclat de sa naissance, de la gloire de son " pere,& de l'éducation qu'il en avoit euë dans l'abon- " dance de toutes fortes de biens. Il le prend luy même “ à témoin de la peine extrême qu'il avoit euë à veiller, « & de la negligence avec laquelle il s'estoit acquitté de " ce devoir; puis que le plus souvent lors que les autres " se levoient durant la nuit pour prier Dieu, il de- " meuroit accablé d'un profond sommeil. Mais il té- " moigne que depuis qu'il étoit obligé de s'exercer dans « de combat, il n'estoit plus sujet à ces défauts que l'on remarquoit un changement tres heureux en « fa personne. ce د & " Certes, il y a sujet d'admirer dans cet exemple combien la conduite de Dieu sur les hommes est au dessus de tous leurs raisonnemens. Lors que S. Paul livre à Satan un Corinthien qui avoit commis un inceste,& que se servant du demon comme d'un executeur de la justice divine, il n'a d'autre pensée que de conserver au jour du jugement l'ame de ce pecheur scandaleux ; on ne peut voir sans étonnement qu'un si sage medecin employe un si violent remede. Mais la possession de Stagyre est encore plus surprenante; Dieu ne la permettant pas pour punir ses crimes, mais pour guerir ses infirmitez , & pour changer sa tiédeur en une ferveur exemplaire. Car notre Saint qui connoissoit Phumilité profonde de ce Solitaire, ne craint pas de luy parler du changement que tout le inonde a reimarqué depuis ce temps-là en sa personne. Il dit aprés le rapport que luy en avoient fait ses autres amis du defert: Que Stagyre ne cedoit en rien aux plus admira- " bles Solitaires, ny pour les austeritez du jeûne, puis qu'il ne vivoit que de pain & d'eau, & qu'il n'en " soit méme que de deux jours l'un'; ny pour la fati- " gue des longues veilles, puis qu'il passoit avec eux plu 6 Lib. 3. de Provid. c. 13. sieurs nuits de suite sans dormir; ny pour les exercices » du jour, puis qu'il avoit la réparation d'y exceller au دو dessus des plus parfaits: Qu'il parloit aussi peu dans >> une compagnie si nombreuse , que s'il estoit relégué dans la plus étroite solitude : Que les Freres rapportoient aux autres avec étonnement la componction de son cœur, & l'humble abbatement de son esprit; & >> que le recit qu'ils en faisoient, avoit imprimé des senti> mens de penitence dans l'ame de plufieurs : Que l'on دو دو دو دو disoit de luy, qu'il ne regardoit jamais aucun de ceux » qui entroient dans le Monaftere: Que son affliction >> n'estoit pas capable de luy faire rien relâcher de ses >> travaux continuels: Que ses confreres avoient sou> vent apprehendé qu'il ne perdît les yeux à force de verser des larmes ; & que la longueur de ses veilles, & fon application continuelle à la lecture ne luy causât quelque dangereuse maladie. در دو دو Ainfi Stagyre estoit un spectacle de compassion aux yeux des hommes; mais Dieu qui regnoit dans son cœur,au temps même qu'il avoit abandonné fon corps au demon, le regardoit avec plaisir comme un soldat genereux, dont le courage & la patience meritoient la poffeffion de Dieu même. Cependant nostre Saint estoit son confolateur;& pour le soûlager dans fon mal, il luy represente les exemples de tous les justes, dont les afflictions sont. décrites dans les saintes Ecritures ; & d'autres encore de quelques personnes de son tems qui se trouvoient abandonnées du fecours des hommes, dans de longues & tres penibles maladies. Souvenez vous, dit-il, de ce vieillard, qui est si fort de nos amis; je veux dire de Démophile, que » vous sçavez estre d'une si grande & fi illuftre maison. Il y a quinze ans qu'il est aussi incapable d'agir, que s'il étoit du nombre des morts, & n'a qu'un valet « pour le servir, qui est bon à la verité, & fort affe- « tionné à fon maistre; mais qui n'est pas en état de « le foûlager dans une si grande affliction, ne pouvant ny le garantir de sa pauvreté extrême, ny apporter quelque remede à sa paralyfie: & je ne puis y penser, « que mon esprit ne se figure ce paralytique de l'Evangile, qui souffrit le même mal durant l'espace de 38. " ans. 66 Outre cét exemple, representez vous aussi celuy " d'Ariftoxéne de Bithinie. A la verité, il n'est pas en- " core paralytique, comme ce vieillard : mais la mala- " die qui exerce sa patience, est beaucoup plus cruelle " que cette paralyfie. Car il souffre dans les entrailles des retrecissemens accompagnez de douleurs si violen- « tes, que tantost ils le percent avec plus d'effort que ne " feroient des pointes de fer; tantost ils le brûlent & le « rongent avec une activité plus grande que ne seroit « celle du feu:& il est tourmenté jour & nuit d'une ma- « niere si prodigieuse, que ceux qui ne sçavent pas sa « maladie, le prennent pour un homme qui a tout à fait « perdu l'esprit. Tant est effroyable le renversement de " la prunelle de ses yeux, & la contorsion de ses mains " qui tombent jusques à ses pieds. Et comme aprés « avoir perdu la voix durant quelque temps, il jette « souvent de grands cris, c'est avec de si grands efforts, ce que les plaintes des femmes durant les tranchées de « l'enfantement n'y sont pas comparables. Il y a déja « fix ans qu'il est éprouvé de ce fleau si rigoureux. Et il « n'a depuis ce temps-là, ny valet qui le pense, ny mé- « decin, qui le console; parce que d'une part, il est si <« pauvre, qu'il n'a pas dequoy se faire assister; & que de « l'autre, la violence de ce mal est au dessus de toute « l'industrie des medecins. Car comme il étoit trés 319. stioni دو دو دو دو riche avant cette maladie, aprés luy avoir fait mille » maux, ils l'ont laissé dans le mêine état où il étoit » auparavant. Et ce qui eft plus insupportable dans une si grande affliction, c'est que pas un de ses amis ne le » veut plus voir ; qu'il est abandonné generalement de ses plus intimes,& de ceux même qui luy ont de plus grandes obligations. Que si quelqu'un met le pied chez luy pour le visiter, il fort aufsi-tost d'une maison » dont la puanteur est insupportable, & d'autant plus >> grande, qu'il n'y a personne pour en prendre quel» que foin. Car toute sa famille est reduite à une seule > servante, qui luy rend autant de services qu'il en peur » attendre d'une femme qui est seule à l'assister, & qui , ne vit que du travail de ses mains. دو L'affliction de Stagyre a fait connoître à toute la posterité celle de ces deux malades, sçavoir de Demophile & d'Aristoxéne. Les personnes affligées y peuvent trouver un grand sujet de confolation ; & fur tout, il faudroit graver en lettres d'or cette parole du faint qui oblige son amy de confiderer: Qu'un chrétien ne peut s'affliger raisonnablement que pour deux sujets; ou pour ses propres pechez, ou pour ceux que fon prochain commet contre Dieu, Nil. Ep. S.Chryfoftome n'est pas le seuliqui parle de cette poffeffion de Stagyre. S. Nil, qui de Gouverneur de Epha- Conftantinople devint solitaire, & fut autrefois un des Presby. plus celebres disciples de ce saint Docteur, en parle comme d'un des plus fameux exemples des secrets jugemens de Dieu; & rend un fidel témoignage à la moderation, à la componction & à la pieté de ce poffedé, en même temps qu'il nous reprefente son pere comme un homme tres riche, mais plein d'orgueil. ceri. Voilà tout ce que l'antiquité nous fournit touchant la vie de nôtre Saint, pendant qu'il a efté Diacre de |