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l'entraînoit; &' bien loin de fervir le reffentiment de fon frere, elle entretint avec Fabrice une fecrette intelligence par l'entremife de la femme Maure qui le faifoit entrer quelquefois la nuit dans la chaumiere. Mais Don Thomas eut quelque foupçon de ce qui fe paffoit. Sa foeur lui devint fufpecte. Il l'obferva, & fut convaincu, par fes propres yeux, qu'au lieu de répondre aux intentions de fa famille elle les trahiffoit. Il en avertit promptement deux de fes Coufins, qui, prenant feu à cette nou velle, commencerent à crier: Vengeance Don Thomas , 9 vengeance! Xaral, qui n'avoit pas befoin d'être excité à tirer raifon d'une offense de cette nature, leur dit, avec une modestie Efpagnole, qu'ils verroient l'ufage qu'il fçavoit faire de fon épée, quand il s'agiffoit de l'employer à venger fon honneur. Enfuite il les pria de fe rendre chez lui, à l'entrée d'une nuit qu'il leur

marqua.

Ils furent très-exacts à s'y trouver. Il les introduifit, & les cacha dans une petite chambre, fans que perfonne de la maifon s'en apperçût; puis il les quitta, en leur difant qu'il reviendroit les joindre auffi-tôt que le Galant feroit en

tré

tré dans le Château, fuppofé qu'il s'avisất d'y venir cette nuit-là ; ce qui ne manqua pas d'arriver, la mauvaise étoile de nos Amans ayant voulu qu'ils choififfent cette même nuit pour s'entretenir.

Déjà Fabricio étoit avec fa chere Hypolite. Ils commençoient à fe tenir des difcours qu'ils s'étoient déjà tenus cent fois; mais qui, bien que répétés fans ceffe, ont toujours le charme de la nouveauté, lorfqu'ils furent defagréablement interrompus par les Cavaliers qui veilloient pour les furprendre. Don Thomas & fes Coufins vinrent fondre tous trois courageusement fur Fabrice qui n'eut que le temps de fe mettre en défenfe, & qui jugeant à leur action, qu'ils vouloient l'affaffiner, fe battit en défefpéré. Il les bleffa tous les trois, & leur préfentant toujours la pointe de fon épée, il eut le bonheur de gagner la porte & de

fe fauver.

Alors Xaral, voyant que fon ennemi lui échappoit, après avoir impunément deshonoré fa maifon, tourna fa fureur contre la malheureufe Hypolite, & lui plongea fon épée dans le cœur ; & fes deux parens, très-mortifiés du mauvais fuccès de leur complot se retirérent chez eux avec leurs bleffures.

Des

Demeurons-en-là, pourfuivit Afmodée. Quand nous aurons vû paffer tous les Captifs, j'acheverai l'Hiftoire de celui-ci. Je vous raconterai de quelle forte, après que la Justice fe fut emparée de tous fes biens, à l'occafion de ce funeste évenement, il eut le malheur d'être esclave en voyageant sur mer.

Pendant que vous me faifiez le recit que vous avez fait, dit Don Cléofas j'ai remarqué parmi ces infortunés, un jeune homme qui avoit l'air fi triste, fi languiffant, qu'il s'en eft peu fallu que je ne vous aye interrompu, pour vous en demander la caufe. Vous n'y perdrez rien, répondit le Démon. Je puis vous apprendre ce que vous fouhaitez de fçavoir. Ce Captif, dont l'abattement vous a frapé, eft un enfant de famille de Valladolid. Il étoit en efclavage depuis deux ans chez un Patron qui a une femme très jolie. Elle aimoit violemment cet Efclave, qui payoit fon amour du plus vif attachement. Le Patron s'en étant douté s'eft hâté de vendre le Chrétien, de peur qu'il ne travaillât chez lui à la propagation des Turcs. Le tendre Caftillan, depuis ce tempslà, pleure fans ceffe la perte de fa Patrone. La liberté ne peut l'en confoler.

Un

Un Vieillard de bonne mine attire mes regards, dit Léandro Pérez Qui eft cet homme-là Le Diable répondit : C'est un Barbier, natif de Guipufcoa qui va s'en retourner en Bifcaye, après quarante ans de captivité. Lorfqu'il tomba au pouvoir d'un Corfaire, en allant de Valence à l'ifle de Sardaigne, il avoit une femme, deux garçons & une fille; il ne lui refte plus de tout cela, qu un fils, qui, plus heureux que lui, a été au Pérou, d'où il est revenu avec des biens immenfes dans fon pays, où il a fait l'acquifition de deux belles Terres. Quelle fatisfaction, reprit l'Ecolier, quel raviffement pour ce fils, de revoir fon pere, & d'être en état de rendre fes derniers jours agréables & tranquilles!

Vous parlez, repartit le Boiteux, en enfant plein de tendresse & de sentiment. Le fils du Barbier Bifcayen eft d'un naturel plus coriace. L'arrivée imprévue de fon pere lui caufera plus de chagrin que de joie. Au lieu de le retenir dans fa maifon à Guipufcoa, & de ne rien épargner pour lui marquer qu'il eft ravi de le pofTéder, il pourra bien le faire Concierge d'une de fes Terres.

Derriere ce Captif qui vous paroît de

fi

fi bonne mine, il y en a un autre qui reffemble comme deux gouttes d'eau à un vieux Singe. C'est un petit Médecin Arragonnois. Il n'a pas été quinze jours à Alger. Dès que les Turcs ont fçu de quelle profeffion il étoit ils n'ont pas voulu le garder parmi eux. Ils ont mieux aimé le remettre fans rançon aux Peres de la Merci, qui ne l'auroient affurément pas racheté, & qui ne l'ont ramené qu'à regret en Espagne.

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Vous qui êtes fi compatiffant aux peines d'autrui, ah! que vous plaindriez cet autre Efclave, qui a fur fa tête chauve une calote de drap brun, fi vous fçaviez tous les maux qu'il a foufferts à Alger pendant douze ans, chez un Renegat Anglois, fon Patron. Et qui eft ce pauvre Captif, dit Zambulo ? C'eft un Cordelier de Navarre,répondit le Démon. Je vous avoue que je fuis bien aife qu'il ait pâti comme un miférable, puifqu'il a, par fes difcours de morale, empêché plus de cent Efclaves Chrétiens de prendre le turban.

Je vous dirai avec la même franchise, repliqua Don Cléofas, que je fuis fâché que ce bon Pere ait été fi long-temps à la merci d'un barbare. Vous avez tort de vous en affliger, & moi de m'en ré

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