Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fans doute, à détourner mon attention de tout ce que l'on fait pour me plaire. Don Fadrique ne put s'empêcher d'interrompre en cet endroit Dona Théodora! Ah! Madame, s'écria-t'il que j'ai de joie d'apprendre de votre propre bouche, que ce n'eft pas par averfion pour ma perfonne que vous avez méprifé mes foins! J'efpere que vous vous rendrez un jour à ma conftance. Il ne tiendra point à moi que cela n'arrive, reprit la Dame, puifque je vous permets de me venir voir, & de me parler quelquefois de votre amour. Tâchez de me donner du goût pour vos galanteries. Faites en forte que je vous aime. Je ne vous cacherai point les fentimens favorables que j'aurai pris pour vous. Mais fi, malgré tous vos efforts, vous n'en pouvez venir à bout, fouvenez-vous, Mendoce , que vous ne ferez pas en droit de me faire des repro

ches.

Don Fadrique voulut repliquer; mais il n'en eut pas le temps, parce que la Dame, prit la main du Tolédan, & tourna brufquement fes pas du côté de fon équipage. Il alla détacher fon cheval qui étoit attaché à un arbre, & le tirant après lui par la bride, il fuivit

Dona

Dona Théodora, qui monta dans fon caroffe avec autant d'agitation qu'elle en étoit defcendue. La caufe toutefois en étoit bien différente. Le Tolédan & lui l'accompagnerent à cheval jufqu'aux portes de Valence, où ils fe féparerent. Elle prit le chemin de fa maison, & Don Fadrique amena dans la fienne le Tolédan.

Il le fit repofer, & après l'avoir bien régalé, il lui demanda en particulier ce qui l'amenoit à Valence, & s'il fe pro pofoit d'y faire un long féjour. J'y ferai le moins de temps qu'il me fera poffible, lui répondit le Tolédan. J'y paffe feulement pour aller gagner la Mer, & m'embarquer dans le premier vaiffeau qui s'éloignera des côtes d'Efpagne; car je me mets peu en peine dans quel lieu du Monde j'acheverai le cours d'une vie infortunée, pourvû que ce foit loin de ces funeftes climats.

Que dites-vous, repliqua Don Fadrique avec furprife? Qui peut vous révolter contre votre Patrie, & vous faire haïr ce que tous les hommes aiment. naturellement? Après ce qui m'eft arrivé, repartir le Tolédan, mon Pays m'eft odieux, & je n'afpire qu'à le quit ter pour jamais. Ah! Seigneur Cavalier,

B 3

s'é

s'écria Mendoce attendri de compaffion; que j'ai d'impatience de fçavoir vos malheurs! Si je ne puis foulager vos peines, je fuis du moins difpofé à les partager. Votre phyfionomie m'a d'abord prévenu pour vous; vos manieres me charment: & je fens que je m'intéreffe déjà vivement à votre fort.

C'est la plus grande confolation que je puiffe recevoir, Seigneur Don Fadrique, répondit le Tolédan; & pour reconnoître en quelque forte les bontés que vous me témoignés, je vous dirai auffi, qu'en vous voyant tantôt avec Alvaro Ponce, j'ai panché de votre côté. Un mouvement d'inclination, que je n'ai jamais fenti à la premiere vue de perfonne, me fit craindre que Dona Théodora ne vous préférât votre Rival; & j'eus de la joie, lorfqu'elle fe fut déterminée en votre faveur. Vous avez depuis fi bien fortifié cette premiere impreffion, qu'au lieu de vouloir vous cacher mes ennuis, je cherche à m'épancher, & trouve une douceur fecrette à vous découvrir mon ame. Apprenez donc mes malheurs.

Tolede m'a vû naître, & Don Juan de Zarate eft mon nom. J'ai perdu prefque dès mon enfance , ceux qui

m'ont

m'ont donné le jour; de maniere que je commençai de bonne heure à jouir de quatre mille ducats de rente qu'ils m'ont laiffé. Comme je pouvois difpofer de ma main,& que je me croyois affez riche pour ne devoir confulter que mon cœur dans le choix que je ferois d'une femme j'époufai une fille d'une beauté parfaite, fans m'arrêter au pen de bien qu'elle avoit, ni à l'inégalité de nos conditions. J'étois charmé de mon bonheur; & pour mieux goûter le plaifir de pofféder une perfonne que j'aimois, je la menai, peu de jours après mon mariage, à une Terre que j'ai à quelques lieues de Tolede. Nous y vivions tous deux dans une union charmante lorfque le Duc de Naxera, dont le Château eft dans le voifinage de ma Terre, vint, un jour qu'il chaffoit, fe rafraîchir chez moi. Il vit ma femme, & en devint amoureux. Je le crus, du moins, & ce qui acheva de me le perfuader, c'eft qu'il rechercha bientôt mon amitié avec empreffement ce qu'il avoit jufques là fort négligé. Il me mit de fes parties de chaf fe, me fit force préfens, & encore plus d'offres de fervices.

Je fus d'abord allarmé de fa paffion. Je penfai retourner à Tolede avec mon

B 4

Epouse,

fi

Epoufe; & le Ciel, fans doute, m'inf piroit cette pensée. Effectivement j'euffe ôté au Duc toutes les occafions de voir ma femme, j'aurois évité les malheurs qui me font arrivés : mais la confiance que j'avois en elle me raffura, Il me parut, qu'il n'étoit pas poffible qu'une perfonne que j'avois épousée fans dot, & tirée d'un état obfcur, fût affez ingrate pour oublier mes bontés. Hélas! je la connoiffois mal! L'ambition & la vanité, qui font deux chofes fi naturelles aux femmes étoient les plus grands défauts de la mienne.

?

Dès que le Duc eut trouvé moyen de lui apprendre fes fentimens, elle fe fçut bon gré d'avoir fait une conquête fi importante. L'attachement d'un hom me que l'on traitoit d'Excellence, chatouilla fon orgueil, & remplit fon efprit de faftueufes chimeres. Elle s'en eftima davantage, & m'en aima moins. Ce que j'avois fait pour elle, au lieu d'exciter fa reconnoiffance, ne fit plus que m'attirer fes mépris. Elle me regarda comme un mari indigne de fa beauté, & il lui fembla, que fi ce grand Seigneur qui étoit épris de fes charmes, l'eût vue avant fon mariage, il n'auroit pas manqué de l'époufer. Enyvrée de ces folles

idées,

« AnteriorContinuar »