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ment dans les dernieres années de fa vie. Il mourut le 14 Septembre 1712, dans la quatre-vingt-neuvième année de fon âge. Sa modeftie, fa droiture, fa fimplicité, sa candeur lui avoient gagné l'amitié & la confiance de tous ceux dont il s'étoit attiré l'admiration par fes rares talens.

NICOLAS MALLEBRANCHE.

N

ICOLAS MALLEBRANCHE, fils de Nicolas Mallebranche, Secrétaire du Roi, Tréforier des cinq groffes Fermes, fous le Miniftere du Cardinal de Richelieu, & de Catherine de Lauzon, foeur d'un frere qui après avoir été Viceroi du Canada, puis Intendant de Bordeaux, fut fait Confeiller d'Etat ; naquit à Paris le 6 Août 1638. La foibleffe de fon temperamment, extrêmement délicat, ne lui permit pas de fuivre le cours ordinaire des Colleges: il fit fes premieres études dans la maison paternelle, & n'en fortit que pour aller faire fa Philofophic au College de la Marche, & fa Théologie en Sorbonne. Agé de vingt-deux ans, il entra dans la Congrégation des Peres de l'Oratoire, où il paffa quelque tems avant que de fe décider fur le genre d'étude qu'il embrafferoit. Ayant enfin confulté le fameux Pere le Cointe, l'Auteur des Annales Eccléfiaftiques de la France, il fe détermina l'Hiftoire de l'Eglife, & commença par la lecture de Socrate, d'Eusebe, de Sozomene, de Théodoret, & des autres anciens Hiftoriens Eccléfiaftiques; mais il connut bientôt que ce n'étoit point là un genre d'étude qui convînt à fon génie, fait pour être nourri de méditations profondes. Par le confeil du fçavant M. Simon, qui étoit alors de l'Oratoire, il s'attacha à l'Hebreu, à l'Arabe & au Syriaque, pour paffer de-là à la critique de l'Ecriture Sainte, & ce fut là un nouveau genre de travail, dont il fe dégoûta encore bientôt.

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Un heureux hafard le fervit mieux que n'avoient fait les deux illuftres Sçavans, dont il avoit fuivi les confeils. Paffant un jour dans la rue Saint Jacques, un Libraire lui préfenta le Traité de l'homme de Defcartes, qui venoit de paroître. A peine le Pere Mallebranche en eut-il par couru quelques pages, qu'il fut comme frappé d'une lumiere toute nouvelle; il fentit que c'étoit là la fcience qui lui convenoit, & qu'il avoit jufqu'alors cherchée inutilement. Ayant donc acheté ce livre, il le lut avec em-preffement, & avec un tel transport, ajoûte M. de Fontenelle, qu'il lui en prenoit des battemens de cœur, qui l'obligeoient quelquefois d'interrompre fa lecture. Le voila dès lors determiné à ne plus faire d'autre étude, & avec quelle ardeur ne s'y livra-t'il pas ? Bientôt il fe trouva en état de faire ce que Defcartes avoit fait, c'est-à-dire de rechercher par lui-même la vérité, fans s'arrêter à l'autorité des anciens Philofophes, qui ne prefcrit jamais contro la raifon.

En 1674, parut le premier fruit des méditations phi lofophiques du Pere Mallebranche: ce fut fon livre de la Recherche de la vérité. Il régne en cet ouvrage un grand art de mettre des idées abftraites dans leur jour, de les lier enfemble, de les fortifier par leurs liaifons. Il s'y trouve même un mélange adroit de quantité de chofes moins abf traites, qui étant facilement entendues, encouragent le Lecteur à s'appliquer aux autres, le flattent de pouvoir tout entendre, & peut-être lui perfuadent qu'il entend tout-à peu près. La diction outre qu'elle eft pure & châtiée, a. toute la dignité que les matieres demandent, & toute la grace qu'elles peuvent fouffrir. Mais le plus grand mérite de cet ouvrage, c'eft qu'il eft véritablement tout plein de Dieu; Dieu eft-le feul Agent, & cela dans le fens le plus étroit. Toute vertu d'agir, toute action lui appartient immédiatement; les caufes fecondes ne font point des cau fes, ce ne font que des occafions qui déterminent l'action de Dieu, des caufes occafionnelles. On trouve encore:

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dans ce livre l'explication, avec les preuves de quelques points de la Religion Chrétienne.

Cet ouvrage a été traduit en latin par M. l'Enfant, & il en a paru deux Traductions Angloifes. A peine fut-il répandu dans le Public,qu'il enleva prefque tous les fuffrages; ceux-mêmes d'entreles Sçavans, qui ne crurent pas pouvoir adopter le fiftême de l'Auteur, convinrent de l'excellence de cet ouvrage : il fut cependant critiqué par M. Foucher, Chanoine de Dijon. Le Pere Mallebranche répondit à cette critique dans la préface de fon fecond volume de la Recherche de la vérité, qu'il publia l'année suivante ; & le Pere Desgabets, Benedictin, qui avoit embraffé fes opinions, fe joignità lui pour écrire contre fon aggreffeur. Celui-ci de fon côté répliqua vivement; la difpute s'échauffa, & produifit un grand nombre d'écrits, qui ne déciderent point la question.

L'on auroit défiré que le Pere Mallebranche eût fait voir dans fon livre de la Recherche de la vérité, comment il pouvoit accorder la Religion avec fon nouveau fiftême de Philofophie, & c'eft ce qu'il entreprit à la follicitation de M. le Duc de Chevreufe. Il fit paroître en 1676, ses Converfations Chrétiennes, dans lefquelles il juftifie la vérité de la Religion & de la morale de J. C. Il introduit trois perfonnages, Théodore, qui eft lui-même, Ariftarque, homme du monde, qui a peu d'habitude avec les idées précifes, qui a beaucoup lu, & n'en fçait que moins penfer; & Erafte jeune homme, qui n'eft gâté ni par le monde, ni par la fcience, & qui faifit par une attention exacte & docile, ce qui échappe à l'imagination tumultucuse d'Ariftarque. Le dialogue en eft bien entendu, les caracteres finement obfervés, & Ariftarque y eft comme il devoit être,phyfiquement comique. Théodore fçait encore mieux que le Socrate de Platon faire accoucher fes Au-diteurs, des vérités cachées qui étoient en eux. Il leur prouve, ou leur fait découvrir par eux-mêmes l'existence de Dieu, la corruption de la nature humaine par le péché:

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originel, la néceffité d'un Rédempteur ou Médiateur, & celle de la Grace. Le fruit de ces entretiens, eft la converfion d'Ariftarque au fiftême chrétien du Pere Mallebran che, & l'entrée d'Eraste dans un Monaftere.

Aux Converfations Chrétiennes fuccéda le Traité que le Pere Mallebranche publia fur la Nature & fur la Grace. Il prétend que l'ame humaine de J. C. eft la caufe occafionnelle de la diftribution de la Grace, par le choix qu'elle fait de certaines perfonnes pour demander à Dieu qu'il la leur envoye, & que comme cette ame toute parfaite qu'elle eft, eft finie, il ne fe peut que l'ordre de la Grace n'ait fes défectuofités auffi-bien que celui de la nature. Tel étoit le fond du fiftême que le Pere Mallebranche vouloit établir. Le Pere Quefnel qui penfoit tout differemment, fouhaita que M. Arnauld, dont il avoit embraffé les opinions, eût un entretien avec le Pere Mallebranche: ces deux grands hommes fe virent en effet chez un ami commun, où ils difputerent beaucoup fans convehir de rien. Le Pere Mallebranche promit de mettre fes fentimens par écrit, & M. Arnaud s'engagea à les réfuter ; ils tinrent parole l'un & l'autre. Le premier composa son Traité de la Nature & de la Grace, & l'envoya en Hollande pour l'y faire imprimer. M. Arnaud qui s'étoit retiré dans ce pays-là, n'oublia rien pour empêcher que cet ouvrage ne parût; mais n'ayant pu y réuffir, il ne fongea plus qu'à répondre. Il y eut de part & d'autre bien des écrits qui partagerent les fuffrages du monde fçavant : mais où prendre des Juges? » Il n'y avoit, dit M. de Fonte»nelle, qu'un petit nombre de perfonnes, qui puffent être feulement fpectateurs du combat; & parmi ce petit nom»bre, prefque tous étoient de l'un & de l'autre parti : un » feul transfuge cût été compté pour une victoire entiere, » mais il n'y eut point de transfuge.

Avant que cette fameufe difpute commençât, le Pere Mallebranche avoit donné au Public fes Méditations chrétiennes & métaphysiques; elles parurent en 1683.

C'est un dialogue entre le Verbe & l'Auteur de ces méditations. Le Pere Mallebranche étoit perfuadé que le Verbe eft la raifon univerfelle, que tout ce que voyent les efprits créés, ils le voyent dans cette fubftance incréée même les idées des corps ; que le Verbe eft donc la feule lumiere qui nous éclaire, & le feul maître qui nous inftruit; & fur ce fondement il l'introduit parlant à lui comme à fon difciple, & lui découvrant les plus fublimes vérités de la Métaphyfique & de la Religion. Il avertit dans fa Préface, qu'il ne donne pas pour vrais difcours du Verbe, tous ceux qu'il lui fait tenir, qu'à la vérité ce font les réponfes qu'il croit avoir reçues, forfqu'il l'a interrogé mais qu'il peut ou l'avoir mal interrogé, ou avoir mal entendu fes réponses, & qu'enfin tout ce qu'il veut dire, c'est qu'il ne faut s'adreffer qu'à ce maître commun & unique. Du refte ce dialogue a une nobleffe digne, autant qu'il eft poffible, d'un tel interlocuteur. L'art de l'Auteur, ou plûtôt la difpofition naturelle où il fe trouvoit, a fçu y rẻpandre un certain fombre augufte & majeftueux, propre à tenir les fens & l'imagination dans le filence, & la raifon dans l'attention & le respect.

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Les autres ouvrages du Pere Mallebranche, font un Traité de morale, où il fait voir l'union de tous les efprits avec la Divinité, & l'obligation où ils font de craindre & d'aimer cet Etre infini: Ses entretiens fur la Métaphyfique & fur la Religion, où se trouve rassemblé tout ce qu'il avoit écrit contre M. Arnauld: Un Traité de l'amour de Dieu: Ses réponses à M. Regis, dont nous avons parlé dans l'éloge de cet Académicien.

La Philofophie du Pere Mallebranche avoit pénétré à La Chine, & y étoit fort goûtée. L'Evêque de Rofalie le preffa d'écrire pour les Chinois; ce qu'il fit en 1708. par un petit dialogue intitulé, Entretiens d'un Philofophe Chrétien & d'un Philofophe Chinois, fur la nature de Dieu. Cet écrit fut critiqué par les Journalistes de Trevoux,qui ne convenoient pas à beaucoup près de l'Athéif

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