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enfin à ne s'afsujettir à aucun emploi qui génât tant foit peu fa liberté, qu'il regardoit comme le plus précieux de tous les biens.

Cependant la grande réputation qu'il fe fit pendant plus de trois ans & demi qu'il demeura à Paris, lui devint à la fin incommode; ce qui lui fit prendre le parti de fe loger dans un quartier éloigné, où enfeveli dans la retraite, il pût ne fe rendre vifible qu'à un petit nombre d'amis choifis.

Le fameux fiége de la Rochelle arracha M. Defcartes de la folitude. S'étant joint à la Nobleffe de Bretagne deftinée à combattre les Anglois, qui devoient bientôt paroi

il fervit en qualité de volontaire jufqu'à ce que la Place affiégée eût été obligée de fe rendre, ce qui arriva le 28 Octobre de l'année 1628.

Sur la fin de la même année, M. Descartes s'éloigna de Paris, & alla paffer l'hiver dans une campagne déferte où pendant fix mois il fit une espèce d'apprentiffage de la vie folitaire qu'il devoit mener en Hollande. Il alla d'abord à Amfterdam, quelque tems après il alla demeurer en Frife, dans le voifinage de Franker. Ce fut là qu'il commença fes méditations fur l'éxistence de Dieu, & fur celle de nos ames. Après y avoir habité cinq ou fix mois, il retourna à Amfterdam vers le commencement du mois d'Octobre de la même année 1629. & s'y appliqua particuliérement à l'étude de l'Anatomie & de la Chirurgie.

On croit que ce fut en 1631 qu'il fit le voyage d'Angleterre, & qu'il paffa le refte de cette même année à Amfterdam. En 1633, il alla s'établir à Deventer, revint l'année suivante à Amfterdam, d'où il paffa en Danne marck, où il ne demeura que peu de tems..

Nous avons déja dit que fon humeur ambulante l'arrachoit souvent d'un endroit pour le faire paffer à un autre ; peu d'endroits en effet de la Hollande où il n'ait fait quelque fejour, & l'on pourroit dire que la vie qu'il a menée guere été plus stable que celle des Ifraëlites dans le

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défert. C'étoit affez qu'il commençât à être connu dans un endroit pour l'engager à choisir une autre demeure. En 1643 il fit un voyage en France, & il y féjourna depuis le mois de Juin jufqu'à celui de Novembre, qu'il revint en Hollande, où il choifit pour le lieu de fa retraite ordinaire le beau Village d'Eymond-Binnen, fitué entre Allemaer & Harlem. Paffons aux ouvrages qui ont immortalifé la gloire de ce grand homme.

Son premier effai fut un Traité de mufique qu'il compofa en 1617, lorfqu'il étoit en garnison à Bréda : il fit cet ouvrage à la follicitation de M. Beekman fon ami; mais en le lui confiant il exigea de lui qu'il ne le communiqueroic à perfonne, dans la crainte qu'il avoit qu'il ne devînt public, ou par l'impreffion, ou par la multiplication des copies. Vous fçavez, marquoit-il à fon ami, que cet »ouvrage n'eft que pour vous, & que c'eft votre confidération feule qui me l'a fait brocher tumultuairement » dans un corps-de-garde, où régnetignorance & la fai» néantife, & où l'on eft toujours diftrait par d'autres »penfées & d'autres occupations que celles de la plume.

Ce fut en vain que les amis de M.Defcartes employerent auprès de lui les plus vives inftances, pour l'engager à publier cet excellent Traité. Il ne fut imprimé qu'après fa mort, premiérement à Utrech, enfuite à Amsterdam, & il fut depuis traduit en Anglois & en François.

Comme M. Defcartes jugeoit plus favorablement de fes effais de Philofophie, il confentit à les publier, dès qu'il les eut mis en état de voir le jour: ils parurent en 1637. fous le tître fuivant: Difcours de la methode pour conduire la raifon, & chercher la vérité dans les fciences, plus la Dioptrique, les Météores & la Géométrie qui font des effais de cette methode.

L'Auteur cominence fon difcours préliminaire par diverfes confidérations touchant les fciences, puis il propofe les principales régles de la methode qu'il a fuivie dans la recherche de la vérité. Il paffe enfuite à quelques maximes

+Alcmaer

de morale qu'il a tirées de cette méthode, & il fait une déduction des raifons, par lefquelles il prouve l'éxiftence de Dieu, & l'immortalité de l'ame qui font les fondemens: de fa Métaphifique; après cela il expofe l'ordre qu'il a fuivi dans les questions de Phifique, dont il eft traité dans cet ouvrage; il donne auffi l'explication du mouvement du cœur, & de quelques autres difficultés qui regardent la Médecine, avec la difference qui fe trouve entre notre ame & celle des bêtes.

Son premier effai qui traite de la Dioptrique, eft partagé en dix parties, qui font autant de fçavans difcours fur la lumiére, fur la réfraction, fur l'œil & les fens, fur les images qui fe forment dans le fond de l'œil, fur la vifion, fur les lunettes & la taille des verres.

Dans fon traité des Météores, divifé auffi en dix parties, il parle des corps terreftres, des vapeurs & exhalaifons, du fel, des vents, des nuës, de la pluye, de la neige & de la grêle, des tempêtes, de la foudre, & des autres feux qui s'allument en l'air, de l'arc-en-ciel, de la couleur des nuës, des cercles, ou couronnes qui paroiffent quelquefois autour des Astres, des Parhelies ou apparitions de plufieurs Soleils.

Son dernier effai qui eft fon traité de Géométrie, divifé en trois livres, a pour principal objet, la conftruction des problêmes. Ce ne font point ici au refte de fimples élemens de cette fcience, l'Auteur ne s'attache qu'aux questions les plus fublimes & les plus abftraites, & fupprime les principes de la plus grande partie de fes régles, & leurs démonstrations.» Je içais, dit-il dans une lettre qu'il écrit "au Médecin Plempius, que le nombre de ceux qui pour»ront entendre ma Géométrie fera fort petit: car ayant «omis toutes les chofes que je jugeois n'être pas inconnuës » aux autres, & ayant tâché de comprendre ou du moins » de toucher plufieurs chofes en peu de paroles, même "toutes celles qui pourront jamais être trouvées dans cette fcience, elle ne demande pas feulement des Lecteurs

"très-fçavans dans toutes les chofes qui jufques-ici ontété » connuës dans la Géométrie & dans l'Algébre, mais aussi » des personnes très-laborieuses, très-ingénieuses & très

» attentives.

La verité eft qu'il eût été à défirer que ce fçavant homme eût voulu fe rendre un peu plus intelligible, & rien, ce femble, ne peut excufer fon obfcurité étudiée: c'étoit là cependant fon ouvrage favori, comme il le témoigne dans une lettre qu'il écrivit à un de fes amis. » Quant à ma Géo» métrie, dit-il, que peu de gens peuvent entendre, fi vous "défirez que je vous mande quelle eft l'opinion que j'en »ai, je crois qu'il eft à propos que je vous dise, qu'elle eft » telle que je n'y fouhaite rien davantage.

Si cet ouvrage acquit à fon Auteur la réputation du plus grand Géométre, que le monde eut vû naître, fes méditations fur l'éxiftence de Dieu, & fur la diftinction réelle de l'ame avec le corps, le firent confidérer comme le plus fublime Métaphificien de fon fiécle.

Dans la premiére de ces Méditations, il propofe les raifons pour lesquelles nous devons douter généralement de toutes chofes, & particuliérement des chofes matérielles, jufqu'à ce que nous ayons établi de meilleurs fondemens dans les fciences que ceux que nous avons eus jufqu'à préfent. Il fait voir que l'utilité de ce doute général confifte à nous délivrer de toutes fortes de préjugés, à détacher notre efprit des fens, & à faire que nous ne puiffions plus douter jamais des chofes que nous recon

noitrons enfuite être très-véritables.

Dans la feconde il fait voir que l'efprit ufant de fa liberté, pour fuppofer que les chofes de l'éxiftence defquelles il a le moindre doute, n'éxiftent pas en effet, reconnoit cependant qu'il eft impoffible qu'il n'éxifte pas lui-même: ce qui fert à lui faire diftinguer les chofes qui appartiennent à l'efprit, ou à la nature intellectuelle, d'avec celles qui appartiennent au corps.

Dans la troifiéme, il developpe bien au long le prin

cipal argument qu'il a pour prouver l'éxiftence de Dieu. Dans la quatrième, il prouve que toutes les chofes que nous connoissons fort clairement & fort diftinctement font toutes vraies; il y explique auffi en quoi confiste la nature de l'erreur, ou de la fauffeté.

Dans la cinquième, il explique la nature corporelle en général, il y démontre encore l'éxistence de Dieu, par une nouvelle raison, il y fait voir, comme il eft vrai, que la certitude même des démonstrations Géométriques dépend de la connoiffance de Dieu.

Dans la fixième enfin, il diftingue l'action de l'entendement, d'avec celle de l'imagination, & donne les marques de cette distinction. Il y montre que l'ame de P'homme eft réellement diftincte du corps, & que néanmoins elle lui eft fi étroitement unie, qu'elle ne compofe que comme une même chose avec lui. Il y expofe toutes les erreurs qui procédent des sens, avec les moyens de les éviter; enfin il y rapporte toutes les raifons defquelles on peut conclure l'éxistence des chofes matérielles.

Si lAuteur avoit quelque eftime pour cet ouvrage, elle étoit particuliérement fondée fur l'intention qu'il avoit eue, de renfermer tous les principes de fa Philofophie, dans ces fix méditations; c'est ce qu'il écrivit au pere Merfenne quelque tems avant que cet ouvrage eût été rendu public, » Entre nous, dit-il à ce Pere, ces fix méditations contien"nent tous les fondemens de ma Phifique, mais il ne faut "pas le dire s'il vous plait, car ceux qui favorifent Aristote »feroient peut-être plus de difficulté de les approuver; »j'efpere que ceux qui les liront, s'accoutumeront infen»fiblement à mes principes, & qu'ils en reconnoitront la » vérité, avant que de s'appercevoir qu'ils détruifent ceux » d'Ariftote.

Nous ne rapporterons pas tous les éloges que les fçavans ont donnés à cet excellent ouvrage. Le fçavant pere Rapin dans fa comparaifon de Platon & d'Ariftote, dit que M. Defcartes a approfondi les matiéres de la Métaphi

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