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par la beauté & la délicateffe de fon génie. La Philofophie qu'il alla étudier à Aix, lui ouvrit une nouvelle carriére où il brilla encore plus.

La réputation qu'il fe fit, lui mérita une marque de diftinction, que fa grande jeuneffe ne lui permettoit gueres d'efperer. Il avoit à peine atteint fa feiziémeannée, qu'il fut jugé digne de remplir dans fa patrie une chaire de Profes feur de Rhétorique, emploi qu'il exerça pendant plufieurs années, avec d'autant plus de fuccès, que les Belles-lettres avoient pour lui un attrait particulier; elles firent fon occupation & fes délices, jufqu'à ce qu'il fe fût déterminé à embraffer l'état Eccléfiaftique: l'étude de la Théologie l'oc cupa alors tout en entier, & ce fut en partie aux progrès qu'il y fit, qu'il dut fa nomination à un Canonicat dans la Cathédrale de Digne. Pourvû peu de tems après d'une dignité qu'il avoit obtenue, en vertu de fes grades de Docteur en Théologie, il eut à foutenir un long procès contre plufieurs concurrens qui prétendoient à la même dignité. Obligé après avoir plaidé à Grenoble, de venir folliciter à Paris un Arrêt décifif, il ne fut pas long-tems dans cette Capitale, fans s'y faire un grand nombre d'amis illuftres.

M. Descartes venoit alors de publier fes Méditations Métaphyfiques. M. Gaffendi entreprit de les réfuter, & il le fit avec affez de fuccès, pour mériter de partager avec fon illuftre adverfaire, les fuffrages des plus habiles Philofophes de ce tems-là. » C'étoient, dit M. Perrault, deux >>très-excellens hommes, mais d'un caractére bien diffe»rent. Descartes n'étoit jamais plus aife que quand il avançoit des propofitions contraires aux opinions reçues, »& Gaffendi fe faifoit un plaifir de conformer les fiennes » autant qu'il pouvoit à celles qu'il trouvoit établies. L'un »fe diftinguoit par la profondeur de fes méditations » l'autre par l'étendue de fa Littérature: l'un vouloit que tous ceux qui l'avoient devancé n'euffent prefque rien connu dans les chofes de la nature; l'autre tâchoit à faire

"voir par de favorables interprétations, que les anciens "avoient penfé les mêmes chofes qu'on regardoit comme » nouvelles l'un fembloit entraîné par fes propres lumiéres, l'autre paroiffoit toujours en être le maître: en "un mot l'on eût dit que l'un avoit des connoiffances "plus grandes que fon ame, & que l'autre avoit l'ame plus "grande que toutes fes connoiffances.

M. Gaffendi eut auffi de vives difputes avec le célébre Jean-Baptifte Morin, fi connu par fon dévouement à l'Aftrologic. Celui-ci l'ennemi declaré du fiftême de Copernic, ne put fouffrir que M. Gaffendi, dans une lettre adreffée au fçavant M. Dupuy, cût ofé combattre les ob jections de ceux qui prétendoient que la terre ne fe meut point; & il répondit à cette lettre, par une differtation, où il prétendoit démontrer que l'opinion de M. Gaffendi, au fujet des Atomes & dù Vuide, étoit absolument infoutenable. Cette differtation n'eut pas malheureusement le fuccès que l'Auteur s'en promettoit. Deux fçavans, Mrs. Bernier & Neuré, amis de M. Gaffendi, publierent deux écrits, l'un intitulé Anatomia ridiculi muris, & l'autre, favilla ridiculi muris, qui foudroyoient le pauvre M. Morin, & qui n'étoient que trop propres à le tourner en ridicule. Outré de colére, il eut recours à fa fcience favorite pour fe venger.» Voyant que M. Gaffendi, qui fe mocquoit de fon Aftrologie judiciaire, étoit infirme, & »atteint d'une fluxion fur la poitrine,il fut affez imprudent, »dit M. Maridat, Confeiller au grand Confeil, pour »prédire & faire fçavoir à tout le monde par un imprimé exprès, que M. Gaffendi mourroit fur la fin de Juiller, » ou au commencement d'Août de l'année 1650. & jamais "il ne fe porta mieux qu'en ce tems-là; il reprit même tel>>lement fes forces, qu'il me fouvient, ajoûte M. Maridat que le cinquième de Fevrier de l'année fuivante, nous "montâmes ensemble la montagne de Toulon, pour faire »les expériences du vuide.

Ces expériences, M. Gaffendi les renouvelloit chaque

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jour, & c'étoit fur elles qu'il fondoit toutes fes démonstrations: ce qu'il offroit à l'efprit, il l'avoit auparavant fait toucher au doigt, fi je puis m'expliquer ainfi. Il avoit adopté le fiftême d'Epicure, mais ce fut en le dépouillant de tout ce qui lui paroiffoit ne pouvoir s'accorder avec la raison, ou avec l'expérience. Ce fiftême ainfi accommodé à fa facon, il a eû la gloire de le voir approuvé, & fuivi par un grand nombre de fçavans illuftres de toutes les Nations, qui fe font rendus 'célebres par leur zéle à défendre le fentiment de leur maître.

Diftingué par fa science, il ne l'étoit pas moins par fes vertus. Accoutumé à foumettre au tribunal de fa raison tout ce que l'Eglise a abandonné aux difputes des hommes, il ne vouloit plus raisonner, il ne vouloit que croire & il croyoit humblement & fermement tout ce qui fait l'objet de notre foi. Plein d'une véneration profonde pour les faints mistéres de notre Religion, il les célébroit avec une piété, une tendreffe de dévotion qui paffoit dans le cœur de ceux qui le voyoient à l'Autel. Sa coutume étoit d'aller tous les Dimanches & toutes les Fêtes offrir le Saint Sacrifice de la Messe, dans l'Eglife des Peres Minimes de la Place Royale ; & après avoir fatisfait à fa dévotion, il paffoit une partie de la matinée à s'entretenir avec le Pere Merfenne, & d'autres fcavans, que le défir de profiter de fes lumiéres affembloit dans ce lieu.

Ses qualités du cœur, fa droiture, fa probité, fa modeftie, fa candeur plus encore que fes rares talens, lui avoient gagné la confiance & l'eftime des perfonnes du plus haut rang, qui toutes s'emprefferent à le pofféder. M. de Montmort, le généreux Protecteur des fciences & des Sçavans, fe fit un honneur d'offrir à ce grand homme une retraite dans fa maisen.

Ce fut dans cet afile, que l'homme illuftre dont je viens d'ébaucher le portrait, termina fa glorieuse carriére. La douceur qui pendant toute la vie avoit été fa vertu caracteriftique, fe fit encore admirer dans fes derniers momens. Convaincu

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Convaincu que l'épuifement, qui le conduifoit au tombeau,
ne venoit que des faignées trop fréquentes qui lui avoient
été faites, il voulut bien fouffrir qu'on le faignât une
derniére fois ; & loin qu'il lui échapât la moindre plainte,
il remercia celui qui venoit de lui rendre un fi mauvais
office, ajoûtant qu'il valloit mieux s'endormir doucement
au Seigneur après avoir ainfi perdu toutes fes forces, que
de perdre la vie avec de plus vifs fentimens de douleur.
Ainfi mourut ce Héros Chrétien: il décéda le
25 Oc-
tobre 1655. âgé d'environ foixante-quatre ans. Les pau-
vres de Digne eurent la meilleure part à fon teftament; il
fonda pour eux des aumônes annuelles, qui fe diftribuent
encore toutes les années : il fonda auffi pour le repos de fon-
ame, une Messe à perpétuité, qui fe dit tous les ans dans
une des Chapelles de la Cathédrale de la même Ville.
Son corps fut inhumé à faint Nicolas des Champs, où
l'on voit fon Epitaphe fur un tombeau de marbre. Au bas.
de fon portrait, gravé par le célebre Nanteuil, on lit
les quatre vers fuivans,

Hic eft ille dedit cui fe natura videndam
Et fophia æternas cui referavit opes.
Invida,non totum rapuiftis fidera; vultum
Nantolius, mentem pagina docta refert.

C'eft en particulier aux foins de M. de Montmort, Doyen des Maîtres des Requêtes, & à ceux de M. Henrys, Avocat au Parlement de Paris, que l'on doit l'édition des ouvrages de M. Gaffendi, imprimés à Lyon en 1658. en fix volumes in-fol.

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P

PIERRE DE FERMAT.

IERRE DE FER MAT, Confeiller au Parlement de Toulouse, naquit dans cette Ville vers l'an 1595. Pour faire l'éloge de ce grand homme, peut-être fuffiroit-il de le faire connoître par les difputes qu'il a cuës avec le célébre M. Defcartes, & par les glorieuses. marques d'eftime dont il a été honoré par fon adverfaire. »M. de Fermat, dit l'Auteur de la vie de M. Defcartes,, "'n'étoit pas feulement l'un des plus beaux efprits de fon tems, pour la délicateffe & le goût de la véritable beauté »des chofes, il avoit encore le génie d'une fi vaste éten»duë, qu'ayant embraffé la connoiffance de plufieurs fciences très-éloignées les unes des autres, il les poffédoit auffi parfaitement que s'il ne fe fût appliqué qu'à une en particulier. Il étoit grand Humaniste, Poëte délicat, » tant en Latin qu'en François & en Espagnol, fcavant » dans les langues vivantes & les langues mortes, très» versé dans toute l'antiquité: d'un efprit fi pénétrant qu'il » n'y avoit aucun endroit dans les Auteurs, quelqu'obscur » & difficile qu'il fût, dont il ne découvrît aifément le » vrai fens. Il étoit de plus très habile dans la Jurifprudence, & il rempliffoit les devoirs de fa charge avec une application, & une fuffifance qui l'a fait paffer pour "un des plus grands Jurifconfultes de fon tems. Mais ce qui fait voir que fon efprit étoit d'une force, & d'une "profondeur égale à fon étendue, c'eft qu'il étoit devenu »fi grand Mathématicien, qu'après M. Defcartes, & le »fils de M. le Préfident Pafcal fon ami, le public n'a trouvé perfonne parmi les premiers hommes de cette »profeffion, qui méritât de lui être préferé. Il excelloit dans toutes les parties des Mathématiques, mais parti» culiérement dans la science des nombres, dans la belle

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