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CHAPITRE V I.

Patience notable.

E Bienheureux s'étoit rendu caution d'une somme considérable pour un Gentilhomme qui lui étoit ami et allié. Au terme convenu le créancier presse le bon Evêque pour être payé, lequel lui remontre avec toute la douceur possible, que le Gentilhomme avoit vaillant cent fois plus que la somme qui lui étoit due; qu'étant assuré du principal il n'étoit pas difficile d'avoir satisfaction de l'intérêt; que le débiteur étant à l'armée au service du Prince, il ne pouvoit pas quitter pour venir lui donner contentement, et le conjura d'avoir un peu de patience.

Le créancier, soit qu'il fût pressé, soit qu'il fût de mauvaise humeur, ne se contente point de ces excuses si justes et si raisonnables, mais demande, redemande, à temps, à contre-temps, crie, tempête, et fait résonner ses plaintes partout.

Le Bienheureux ne lui demande que le temps d'avoir des nouvelles du Gentilhomme, pour lui donner toute satisfaction. L'autre ne veut point attendre ce délai, usant de termes âpres et de reproches indécens.

Le Bienheureux lui dit, avec une mansuétude incroyable: Monsieur, je suis votre Pasteur, auriezvous bien le courage, au lieu de me nourrir comme mon ouaille, de m'ôter le pain de la bouche ? Vous savez que je suis réduit à l'étroit, et que je n'ai que justement et petitement ce qu'il faut pour mon entretien je n'eus jamais devant moi la somme que vous me demandez, et que j'ai néanmoins cautionnée par charité: me voulez-vous discuter avant le principal débiteur ? J'ai quelque patrimoine, je

vous l'abandonne; voilà mes meubles, mettez-les sur le carreau, 'vendez-les, je me remets à votre volonté. Je vous demande seulement que vous m'aimiez pour Dieu, et que vous ne l'offensiez point par colère, par haine, ou par scandale; si cela est, me voilà content.

L'autre répondit, que toutes ces paroles n'étoient que fumée et eau bénite de Cour. Enfin il tonne sans néanmoins étonner l'homme de Dieu; il vomit mille injures que le Bienheureux recueilloit comme des bénédictions, et comme s'il lui eût jeté des perles et des roses au visage : touché néanmoins d'une douleur intérieure de cœur de voir Dieu si outrageusement offense; pour trancher donc d'un revers tant d'offenses, et ne point faire de sa patience une planche à tant de péchés, il lui dit, avec une sérénité merveilleuse Monsieur, mon indiscrète caution est cause de votre colère ; je m'en vais faire toutes les diligences possibles pour vous donner contentement mais après tout, je veux bien que vous sachiez, que quand vous m'auriez crevé un œil, je vous regarderois de l'autre aussi affectueusement que le meilleur ami que j'aie

au monde.

L'autre se retire tout confus, quoiqu'il murmurât entre ses dents, disant assez intelligiblement des paroles choquantes. Le Bienheureux avertit le Gentilhomme qui vint en diligence, et délivra le Bienheureux par un prompt paiement de cet injurieux créaneier, lequel plein de honte et de confusion, vint trouver le Bienheureux, et lui demander mille pardons. Il le reçut à bras ouverts, et l'aima avec des tendresses particulières, l'appelant son ami reconquis.

JE

CHAPITRE VII

Son adresse à excuser le Prochain

me plaignois à notre Bienheureux de quelques petits Gentilshommes de campagne, qui étant pauvres comme Job, faisoient les grands Seigneurs, ne parlant que de leur noblesse et des hauts faits de leurs ancêtres.

Il me repartit avec une grâce merveilleuse : Que voulez-vous? que ces pauvres gens soient doublement pauvres au moins s'ils sont riches d'honneur, il pensent d'autant moins à leur pauvreté, et font comme ce jeune Athénien, qui dans sa folie se tenoit pour le plus riche de son pays, et étant guéri de sa foiblesse d'esprit par le soin de ses amis, les fit appeles en Justice, pour se voir condamner à lui rendre son agréable rêverie.

Que voulez-vous ? c'est le propre de la Noblesse d'avoir contre mauvaise fortune bon cœur. Elle est généreuse comme la palme qui se relance contre son faix. Plût à Dieu qu'ils n'eussent point de plus grands défauts! c'est de ces malheureux et détestables duels qu'il se faut plaindre; et dit cela en soupirant.

Un jour, comme on parloit devant lui avec de grandes exclamations, et même avec des invectives véhémentes, d'une faute extrêmement scandaleuse, quoiqu'elle fût d'infirmité, commise par une personne de Communauté, il ne disoit autre chose sinon Misère humaine, misère humaine. Une autre fois : O que nous sommes environnés d'infirmités : une autre fois Que pouvons-nous faire de nous-mêmes que faillir? une autre fois : Nous ferions peut-être pire, si Dieu ne nous tenoit pas la main droite, et ne nous conduisoit en sa volonté.

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A la fin, comme l'on pressoit cette chute avec des exagérations aiguës et piquantes, il s'écria : « O la » bienheureuse faute ! qu'elle sera cause d'un grand » bien ! cette ame étoit perdue avec plusieurs autres, » si elle ne se fût perdue; sa perte sera son gain et » l'avantage de plusieurs autres ! » Quelques-uns méprisèrent cette prédiction.

Néanmoins l'évènement la fit trouver véritable; car la confusion de la pécheresse donna de la gloire à Dieu, non - seulement par sa conversion qui fut signalée, mais par celle qu'elle inspira par son exemple à toute la Communauté qui étoit fort déréglée.

CHAPITRE VIII

De la Répréhension.

CE cher Père me reprenoit souvent de mes défauts,

et puis me disoit : J'entends que vous me sachiez beaucoup de gré de cela; car ce sont-là les plus grands témoignages d'amitié que je vous puisse rendre; et je connoîtrois à cela si vous m'aimiez bien, si vous vouliez me rendre le réciproque; mais je n'aperçois en vous que froideur de ce côté-là: vous êtes trop circonspect; l'amour a le bandeau sur les yeux, il ne regarde pas à tant de circonstances, il va de front et sans tant de réflexion.

Parce que je vous aime extrêmement, je ne puis souffrir en vous la moindre imperfection. Je voudrois que mon fils fût tel que saint Paul désiroit son Timothée, irrépréhensible. Des mouches en un autre que je n'aimerois pas tant, me sont des éléphans en vous que j'aime en vérité, et comme Dieu sait.

Le Chirurgien ne seroit-il pas à blâmer, et plutôt impitoyable que pitoyable, qui laisseroit périr un homme pour n'avoir pas le courage de panser

sa plaie. Un coup de langue donné bien à propos est aussi utile quelquefois pour la sainteté d'une ame, qu'un coup de lancette donné comme il faut pour la santé du corps. Il ne faut qu'une saignée faite à propos pour redonner la vie, et qu'une répréhension faite aussi à propos pour sauver une ame de la mort éternelle.

CHAPITRE I X.

Sa Charité envers les Ecclésiastiques.

UN Ecclésiastique de son Diocèse avoit été mis

en prison pour quelque scandale. Le Bienheureux fut prié avec instance par ses Officiers d'en laisser faire la correction selon les lois. Il lia donc les mains à sa douceur, et les laissa faire. Outre les pénitences qu'on lui fit faire avant que de sortir de prison, il fut interdit pour six mois des fonctions Ecclésiastiques. Tant s'en faut que tout cela le corrigeât, qu'au contraire devenant plus mauvais, on fut contraint de le priver de son bénéfice, et de le bannir du Diocèse. Etant en prison il n'y avoit rien de si traitable, de si humilié, et de si reprenant en apparence; il pleuroit, il prioit, il promettoit, il protestoit. Quand on parla de lui ôter son bénéfice, il feignit de vouloir mieux faire; mais après avoir trompé tant de fois la Justice, il trouva fermée la porte de miséricorde.

Un autre Ecclésiastique, quelques années après, fut aussi emprisonné pour des fautes qui n'étoient pas moindres. Les Officiers voulurent le traiter de la même façon, et empêcher qu'il n'eût recours à la pitié du Bienheureux François son Evêque, qu'il réclamoit à toute heure, se disant tout prêt de se démettre de sa charge, pourvu que ce fût à ses pieds, se promettant qu'il pourroit lire dans ses yeux

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