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la sincérité de son repentir. Le Bienheureux commande qu'on le lui amène. Les Officiers s'y opposent. Hé bien, leur dit-il, si vous lui défendez de paroître devant moi, vous ne me défendrez pas de paroître devant lui. Vous ne voulez pas qu'il sorte de prison, trouvez bon que j'y entre avec lui, et que je sois compagnon de sa captivité. Encore faut-il consoler ce pauvre Frère qui nous réclame. Je vous promets qu'il ne sortira que de votre consentement.

Il va le voir en prison accompagné de ses Officiers. Il n'eut pas plutôt aperçu ce pauvre homme à ses pieds, qu'il tomba tout couvert de larmes sur son visage, l'embrassa, et le baisa très-amoureusement; et se retournant vers ses Officiers: Est-il possible, leur dit-il, que vous ne voyiez pas que Dieu a déjà pardonné à cet homme ! Y a-t-il quelque condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ? si Dieu le justifie, qui le condamnera? Certes, je sais bien que ce ne sera pas moi. Allez, mon frère, dit-il au coupable, allez en paix, et ne péchez plus, je connois que vous êtes vraiment repentant.

Les Officiers lui disent que c'est un hypocrite, que l'autre, que l'on avoit été contraint de déposer, donnoit bien d'autres signes de pénitence que celui-ci.

Possible, repartit le Saint, se fût-il vraiment converti, si vous l'eussiez traité avec douceur. Prenez garde qu'un jour son ame ne vous soit redemandée. Pour moi, s'il vous plaît de me recevoir caution pour celui-ci, j'y consens. J'estime certainement qu'il est touché comme il faut ; et s'il me trompe, il se fera plus de tort qu'à moi.

Le coupable fondant en pleurs, demande qu'on lui impose telle pénitence que l'on voudra dans la prison, qu'il étoit prêt à tout, sa douleur le persécutant plus que toutes les pénitences qu'on pourroit lui imposer; qu'il se démettra librement de son bénéfice, si Monseigneur le juge à propos.

J'en serois bien marri, reprit le Bienheureux

d'autant que j'espère que comme le clocher tombant a écrasé l'Eglise par son scandale, il l'ornera désormais étant remis sur pied.

Les Officiers se rendent, les prisons sont ouvertes: après un mois de suspension à divinis, il rentre dans l'exercice de sa charge, en laquelle il donna depuis une si bonne odeur en Jésus-Christ, que la prédiction du Saint se trouva véritable.

Comme on parloit un jour en sa présence de la perversion de l'un, et de la conversion de l'autre, il dit cette mémorable parole: « Il vaut mieux faire » des pénitens par la douceur, que des hypocrites » par la sévérité. »

CHAPITRE X.

Son talent pour encourager.

L'AN 1608, je fus nommé à l'évêché de Belley par le grand Henri; et l'an 1609, je fus sacré le 30 août dans l'Eglise cathédrale de Belley par notre Bienheureux, ayant obtenu dispense d'âge, parce que je n'avois alors que vingt-cinq ans dispense qui me fut accordée par le Pape, à cause des besoins de cette Eglise destituée d'évêque depuis quatre années.

Il me vint depuis quelques scrupules sur cette consécration faite avant le temps, que je manifestai à ce Bienheureux conducteur de mon ame, qui me consola, et fortifia de plusieurs raisons; de la nécessité du Diocèse, des témoignages qu'avoient rendu de moi tant de gens de marque et de piété, du jugement du grand Henri, et enfin l'ordre de Sa Sainteté, après quoi, il ne falloit plus que je regardasse en arrière, mais que je m'étendisse selon le conseil de l'Apôtre, à ce qui étoit devant moi: Vous êtes venu à la vigne, me disoit-il, à la première heure de votre jour, gardez d'y travailler si

lâchement, que ceux qui sont arrivés à la dernière, ne vous surpassent en travail et en récompense.

Je lui dis un jour : Mon Père, quelque vertueux et exemplaire que l'on vous estime, vous n'avez pas laissé de faire cette faute de m'avoir sacré trop tôt.

Il me répondit: Il est vrai certes que j'ai commis ce péché, et j'ai peur que Dieu ne me le pardonne point, car jusqu'à cette heure je n'ai pu m'en repentir. Je vous conjure par les entrailles de notre commun Maître, de vivre de telle sorte que vous ne me donniez point sujet de déplaisir à ce sujet. Voyez-vous, j'ai été bien appelé au sacre d'autres Evêques, mais seulement comine assistant; je n'ai jamais sacré que vous; vous êtes mon unique vous êtes mon apprentissage, et mon chef-d'œuvre tout ensemble. Ayons bon courage, Dieu nous aidera. Il est notre aide et notre salut, que craindrons-nous? Il est le protecteur de notre vie, que redouterons-nous ?

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CHAPITRE X I.

Des paroles d'humilité.

IL ne vouloit point que l'on proférât des paroles d'humilité, si elles ne partoient d'un sentiment trèssincère et véritable. Il disoit « que de semblables paroles étoient la fine fleur, la crême, et l'élixir » de l'orgueil le plus délié. Le vrai humble ne veut point paroître tel, mais l'être. L'humilité est si » délicate, qu'elle a peur de son ombre, et ne peut » ouir nommer son propre nom sans courir le ris"que de se perdre.

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Celui qui se blâme va indirectement à la louange, et fait comme celui qui rame, lequel tourne le dos au lieu où il tend de toutes ses forces.

Il seroit bien fâché que l'on crût le mal qu'il dit de lui, et c'est par orgueil qu'il veut être estimé humble.

CHAPITRE

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Sentimens de défiance du Bienheureux.

UN jour le Bienheureux fut obligé de passer par

la ville de Genève, pour aller conférer des affaires de la Religion avec M. le Baron de Lux, chevalier de l'ordre, et lieutenant de Roi en Bourgogne, venu exprès par ordre de Sa Majesté. Le Bienheureux en ce passage s'exposa beaucoup; et comme je lui en parlai une fois en bonne compagnie, où chacun disoit son sentiment là-dessus, il s'accusa lui-même d'imprudence, sans s'excuser sur ses gens qui, en effet, l'avoient conduit à ce dangereux pas, s'assurant qu'on n'eût ôsé l'attaquer, ni lui faire du mal.

Il m'arriva de lui dire : Hé bien ! mon Père, le pis aller eût été votre mieux; quand ce peuple vous eût assommé, d'un confesseur ils eussent fait un martyr.

Que savez-vous, me dit-il, si Dieu m'eût fait cette grâce, et m'eût donné la constance nécessaire pour arriver à une telle couronne ?

Je répondis que ma conjecture étoit bien fondée, de penser qu'il eût mieux aimé souffrir mille morts, que de renoncer à la Foi.

Je sais bien, reprit-il, ce que j'eusse dû faire, c'est cela même que vous dites; mais suis-je prophète, pour deviner ce que j'eusse fait? S. Pierre, patron de l'Eglise de Genève, étoit bien aussi résolu que moi, vous savez néanmoins ce qu'il fit à la simple voix d'une servante. Bienheureux celui qui est toujours en crainte, et en défiance de sa propre foiblesse, et qui ne s'appuie point sur lui-même, mettant toute sa confiance en Dieu. Nous pouvons tout, quand il nous fortifie; sans lui, rien.

B

CHAPITRE X II I.

De l'obeissance des Supérieurs.

MON Père, lui dis-je un jour, comment est-il possible que ceux qui sont en supériorité, puissent » pratiquer la vertu d'obéissance ?»

Il me répondit : ils le peuvent beaucoup mieux et plus héroïquement que ceux qui sont en sujétion. Cette réplique m'étonna, et le priant de me la développer, il me l'expliqua de cette façon.

Ceux qui sont obligés à l'obéissance, ne sont sujets pour l'ordinaire qu'à un Supérieur; le commandement duquel ils doivent tellement préférer à tout autre, que même ils ne peuvent pas obéir à un autre sans la permission ou l'agrément de ceux auxquels ils sont sujets.

Mais ceux qui sont en supériorité ont leurs coudées plus franches, pour obéir plus amplement, et obéir même en commandant; parce que s'ils considèrent que c'est Dieu qui les a mis sur la tête des autres, et qui leur commande de leur commander, s'ils ne commandent que pour obéir au commandement de Dieu, qui ne voit que même leur commandement est un acte d'obéissance.

Cette espèce d'obéissance peut même être pratiquée par les Souverains, qui n'ont que Dieu audessus d'eux, et qui n'ont que Dieu à qui ils doivent rendre compte de leurs actions.

Ajoutez, qu'il n'y a puissance si sublime qui ne reconnoisse même en terre quelque sorte de supériorité; au moins quant au spirituel, à la conduite de son ame et à la direction de sa conscience.

Mais voici un degré bien plus haut d'obéissance auquel se peuvent élever tous Supérieurs ; c'est celui

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