que conseille l'Apôtre S Pierre, quand il dit: Soyez soumis à toute créature pour Jésus-Christ.

C'est par cette obéissance universelle à toute créature, que nous nous faisons tout à tous, pour les gagner tous à Jésus-Christ. C'est par elle que nous regardons comme supérieurs toutes personnes, nous rendant serviteurs de tous pour Notre-Seigneur.

Aussi ai-je pris garde que quand quelqu'un l'abordoit, jusqu'aux plus petits, il prenoit la contenance d'un inférieur devant son supérieur, ne congédiant personne, ne refusant point de converser, ni de parler, ni d'écouter, et ne donnant le moindre signe d'ennui, d'impatience, ni d'inquiétude, quelqu'importunité qu'on lui fît, et quelque temps qu'on lui fit perdre.

Son grand mot étoit : « Dieu me veut ainsi, il " veut cela de moi, que me faut-il plus ? Tandis que je fais cette action, je ne suis pas obligé d'en faire une autre. Notre centre est la très-sainte volonté » de Dieu hors delà, ce n'est que trouble et em» pressement. »

CHAPITRE XI V.

Son attachement à la justice, et son mépris des choses temporelles.

UNE personne de distinction s'adressa à notre

Saint pour en obtenir un Monitoire. N'en ayant pas jugé la cause juste, il tâcha par les plus douces paroles et les meilleures raisons, de persuader à cette personne de se désister de sa demande.

L'autre, piqué de ce refus, crioit tout haut à l'injustice, sans que le Saint lui répliquât autre chose, sinon qu'il étoit marri que sa conscience ne lui permît pas de lui donner satisfaction.

Ba

« Je ne suis ami, ajouta-t-il, que jusqu'à l'Autel, » et jusqu'où le service de Dieu et la liberté de ma → conscience ne sont point offensés. Demandez-moi » ce qui est juste, et vous serez écouté. »

Le demandeur, plus irrité que devant, se pourvoit au sénat de Chambéry, obtient le pouvoir de se pourvoir par Monitoire, et le lui fait signifier. A cela T'homme de Dieu se comporta comme un rocher parmi les vagues. Le Bienheureux ne fit autre réponse, sinon qu'il avoit son ame à sauver, et sa conscience à garder, et qu'il étoit prêt de rendre raison de son déni. L'affaire alla si loin, que l'on fut sur le point de saisir son temporel.

Cet orage étant calmé, comine on lui en parloit, il répondit doucement : « S'ils m'eussent ôté mon temporel, ils m'eussent fait le plus grand bien qui » me put jamais arriver; car ils m'eussent rendu tout "spirituel, et en ce cas, je les eusse jugés; car » n'est-il pas dit, que l'homme spirituel juge tout, » et n'est jugé de personne. "

L'entretenant une autre fois sur ce sujet, il me dit que ces saisisseurs lui avoient fait grand tort de ne s'emparer pas de son temporel, d'autant que Dieu le lui eût rendu au centuple. « Pensez-vous, disoit-il, " que mes diocésains m'eussent laissé mourir de » faim?je suis certain que j'eusse été plus en peine » de refuser que de prendre. »

66

SE

CHAPITRE X V

Déférence merveilleuse.

E soumettre aux Supérieurs, c'est plutôt justice qu'humilité; puisque la raison veut que nous les reconnoissions pour nos maîtres. Se soumettre à ses égaux, c'est amitié, ou civilité, ou bienséance. Se soumettre

à ses inférieurs, c'est le vrai point de l'humilité ; parce que cette vertu nous faisant connoître que nous ne sommes rien, nous met sous les pieds de tout le monde.

Notre Bienheureux a pratiqué cette humilité en un degré éminent. Il obéissoit à son homme de chambre en ce qui regardoit son coucher et son lever, son habiller et déshabiller, comme s'il eût été le serviteur, et l'autre le maître. Quand il veilloit bien avant dans la nuit, soit pour étudier, soit pour écrire des Lettres, il l'invitoit à s'aller coucher, de peur qu'il ne s'ennuyât à attendre.

Une fois en été il se réveilla de grand matin; et ayant quelque chose de grande importance dans l'esprit, il l'appela pour le venir habiller. L'autre dormoit si profondément, qu'il n'entendit point sa voix. Le bienheureux Prélat se lève, pensant qu'il ne fût point en sa garde-robe; et y regardant, il vit qu'il dormoit de si bonne grâce, qu'il eut peur de nuire à sa santé s'il l'éveilloit; il s'habille et se met à prier, à étudier, à écrire.

Ce garçon s'étant éveillé et habillé, entra en la chambre de son maître, et le vit qui travailloit. Il lui demanda brusquement, qui l'avoit habillé : « Moi» même, lui dit le saint Prélat; ne suis-je pas assez grand et assez fort pour cela? L'autre en gron»dant: Vous coûteroit-il tant d'appeler? Je vous » assure, mon enfant, lui dit le bienheureux Fran»çois, qu'il n'a pas tenu à cela, et j'ai crié plusieurs » fois; enfin estimant que vous fussiez dehors, je me " suis levé pour voir où vous étiez; et je vous ai » trouvé dormant de si bonne grâce, que j'ai fait cons»cience de vous éveiller. Vous avez bien meilleure "grâce, lui dit le garçon, de vous moquer ainsi de " moi. O mon ami! reprit le Prélat, je ne l'ai pas » dit par un esprit de moquerie, mais oui bien certes, » en esprit de joyeuseté: allez, je vous promets " que je ne cesserai plus d'appeler que vous ne

"

» soyez réveillé, ou que je ne vous aille faire lever; » et puisque vous le voulez ainsi, je ne m'habillerai plus sans vous. »

IL avoit un domestique de bonne mine, vertueux, gracieux, et de fort aimable conversation. Plusieurs bourgeois le désirèrent pour gendre.

Il en fit parler au Bienheureux, qui lui dit un jour : Mon cher..... j'aime votre ame comme la mienne propre, et il n'y a sorte de bien que je ne vous désire, et que je ne voulusse vous faire, si j'en aveis le moyen; je crois que vous n'en pouvez douter.

Vous êtes jeune, et possible que votre jeunesse donne dans les yeux de quelques personnes qui vous désirent; mais il m'est avis que c'est avec plus d'âge et de jugement qu'il faut entrer en ménage pensez-y bien; car, quand on est embarqué, il n'est plus temps de s'en repentir.

Le mariage est un certain ordre, où il faut faire la profession devant le noviciat; et s'il y avoit un an de probation comme dans les cloîtres, il y auroit peu de profès.

Au reste, que vous ai-je fait, que vous vouliez me quitter? Je suis âgé; je mourrai bientôt, et alors vous pourrez vous pourvoir comme il vous plaira. Je vous laisserai à mon frère, qui aura soin de vous placer aussi avantageusement que les partis qui se présentent.

A ces paroles, le jeune homme se jeta aux pieds de son Maître, lui demandant pardon de la pensée qu'il avoit eue de le quitter, et lui faisant de nouvelles protestations de fidélité, et de le servir à la mort et à la vie.

Non, lui disoit-il, mon enfant, je n'entreprends pas sur votre liberté, je la voudrois racheter, comme S. Paulin, de la perte de la mienne; mais je vous donne un conseil d'ami, et tel que je donnerois à mon propre frère, s'il étoit de votre âge.

C'est ainsi qu'il traitoit ses domestiques en vrai père de famille, les regardant non comme ses serviteurs, mais comme ses propres frères et ses enfans.

CHAPITRE XVII.

De la préparation à la sainte Messe, et de l'action

de Grâces.

ON N l'avoit averti que j'étois extrêmement long à me préparer avant la sainte Messe, et que cela incommodoit beaucoup de monde.

Il voulut me corriger de cela. Il m'étoit venu voir à Belley, selon la coutume de nos visites annuelles réciproques. Il arriva que durant le temps de son séjour en notre maison, il eut un matin quantité de dépêches à faire, qui l'arrêtèrent fort tard en la chambre; onze heures approchoient, et il n'avoit point encore dit la Messe, ce qu'il n'omettoit aucun jour, s'il n'étoit malade ou fort incommodé.

Il vient donc à la Chapelle revêtu de son rochet et camail, et après avoir salué ceux qui étoient-là, il fait une assez courte prière au pied de l'Autel, s'habille et dit la Messe. L'ayant achevée, il se remet à genoux; et après une prière assez courte, il nous vint trouver avec un visage si serein, qu'il me paroissoit comme un Ange, et fut en conversation jusqu'à ce qu'on nous appelât pour la table, qui fut peu après.

Moi qui étudiois toutes ses actions, je me trouvai surpris de l'abrégé de cette préparation, et de cette action de grâces. Le soir, comme nous fûmes seuls,