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je lui dis avec la confiance que me donnoit la qualité de fils: Mon père, il me semble que pour un homme de votre taille, vous allez bien vite. J'ai pris garde ce matin à votre préparation et à votre action de grâces, j'ai trouvé l'une et l'autre fort prompte.

O Dieu ! ce me dit-il, que vous me faites plaisir, de me dire ainsi rondement mes vérités, et m'embrassa en disant ceci Il y a trois ou quatre jours que j'en ai une de pareille étoffe à vous dire, et je ne savois par où m'y prendre ; mais que dites-vous vous-même de vos longueurs, qui morfondent tout le monde? Chacun s'en plaint, et tout haut; possible cependant que cela n'est pas encore venu jusqu'à vous, tant il y a peu de gens qui osent dire aux Pontifes leurs vérités. C'est sans doute parce qu'il n'y a ici personne qui vous aime autant que moi, que l'on m'en a donné la commission; ne doutez point que je ne sois fondé en bonne procuration, sans qu'il soit besoin de vous en montrer les signatures: un peu de ce que vous avez de trop nous feroit grand bien à tous deux; vous iriez plus promptement, et je n'irois pas si vile. Mais n'est-ce pas une belle chose que l'évêque de Belley reprenne celui de Genève d'aller trop vite, et celui de Genève celui de Belley d'aller trop lentement; n'est-ce pas le monde renversé ?

Pensez que ceux qui désirent assister à votre Messe, ont bien affaire de vos grands agios, et de tant de suffrages et actes que vous faites dans l'oratoire de votre Sacristie, et encore moins ceux qui attendent que vous ayez dit la Messe pour vous parler d'affaires.

Mais, mon Père, lui dis-je, comment faut-il se disposer pour la sainte Messe ? Que ne faites-vous, me répondit-il, cette préparation dès le matin, en l'exercice de l'oraison à laquelle je sais, ou au moins je pense, que vous ne manquez pas.

Je me lève à quatre heures en été, lui dis-je, et je ne vais à l'Autel qu'à neuf ou dix heures.

Estimez vous, reprit-il, que cet intervalle de

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quatre à cinq heures soit fort grand devant celui aux yeux duquel mille ans sont comme le jour d'hier qui est passé ?.

Et l'action de grâces, quoi?

Attendez à la faire en votre exercice du soir; aussibien ne faut-il pas, en examinant votre conscience, que vous pesiez une action si remarquable, et le remercîment n'est-il pas un des points de l'examen ? L'une et l'autre se peuvent faire, et plus à loisir, et plus tranquillement le soir et le matin; cela n'incommode personne, se fait mieux et plus mûrement, ne traverse en rien les fonctions de votre charge, ne donne aucun ennui au prochain.

Mais ne prendra-t-on point aussi mauvaise édification, ajoutai-je, de voir faire tout cela avec tant de promptitude, puisque Dieu en courant ne veut être adore? Nous avons beau courir, reprit-il, Dieu va encore plus vite que nous : c'est un esprit qui sort de l'Orient, et paroît au même instant à l'Occident. Tout lui est présent; il n'y a ni passé ni futur pour lui où pouvons-nous aller devant son esprit ? J'acquiesçai à cet avis, et depuis m'en suis bien trouvé.

CHAPITRE XVIII.

Ne point se rebuter des peines attachées aux fonctions du Ministère.

GARDEZ-VOUS,

ARDEZ-VOUS, me dit-il, de la tentation qui vous fait désirer de quitter votre charge, et de renoncer à votre évêché, pour vous retirer en une vie privée et solitaire.

Votre épouse est sainte (entendant l'Eglise, de laquelle en me sacrant il m'avoit donné l'anneau) et plus capable de vous sanctifier, que la femme fidèle dont parle l'apôtre.

Il est vrai que la multitude des enfans spirituels qu'elle met sur vos bras, vous donne de la peine qui est une espèce de martyre; mais souvenez-vous que dans cette amertume très-amère vous trouverez la paix de votre ame, paix de Dieu au-dessus de tout sentiment. Que si vous la quittez pour chercher le repos, possible, Dieu permettra que votre prétendue tranquillité sera troublée de tant de persécutions et de traverses, que vous serez comme ce bon frère Léonice, qui étoit souvent visité des consolations célestes dans le tracas du ménage en son monastère desquelles il fut privé, quand il eut par importunité obtenu de son Supérieur la retraite en sa cellule, pour vaquer plus utilemeut, disoit-il, à la contemplation.

<< Sachez, (ô que ce mot m'est demeuré profondément gravé dans le souvenir !) que Dieu hait la paix de ceux qu'il a destinés à la guerre. Il est le »Dieu des armées et des batailles, aussi-bien que "le Dieu de paix. »

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Quoiqu'il m'eût sacré Evêque à l'âge de vingt-cinq ans, par dispense du Saint-Siége, il vouloit néan moins que je me misse à toutes les fonctions Pastorales. Il vouloit que je célébrasse la Messe tous les jours, que j'administrasse toutes sortes de Sacremens, que je visitasse, prêchasse, catéchisasse ; en un mot, que je fusse à tout, sans aucune exception, pour accomplir mon ministère.

Un jour, las et accablé de tant de fatigues, comme je m'en plaignois à lui, il me répondit que je me souvinsse de ce qui est écrit: que la femme qui enfante a beaucoup de tristesse, mais qu'elle a de la joie aussitôt qu'elle a mis un homme au monde.

Quel honneur pour vous, que Dieu daigne s'en servir pour délier tant de délier tant de pauvres ames, les retirer de la mort du péché, et les ramener à la vie de la grace! Il en est comme des vendangeurs et des moissonneurs, qui ne sont jamais si contens et si joyeux

que quand ils plient sous leurs faix. Qui les a jamais ouïs se plaindre de l'excès de la moisson ou de la vendange?

Je vois bien pourtant que vous voulez que je vous plaigne un peu, et que je souffle sur votre agréable mal: Hé bien! ainsi soit-il. Je vous avoue done que comme on appelle martyrs ceux qui confessent Dieu devant les hommes, il n'y auroit pas grand danger d'appeler encore martyrs, en quelque manière, ceux qui confessent les hommes devant Dieu, même confesseurs et martyrs tout ensemble, m'encourageant à demeurer en cette croix, et d'y persévérer jusqu'à la fin.

Il faudra donc, lui dis-je, appeler plus que martyrs, ceux qui confessent les scrupuleux et les scrupuleuses.

Oh! vraiment, reprit-il, vous avez raison; et vaudroit autant exposer un visage frotté de miel à une ruche d'abeilles.

CHAPITRE XI X.

M. de Belley veut imiter le Bienheureux dans sa manière de prêcher,

JE l'avois en une si haute estime, que toutes ses façons de faire me ravissoient. Il me vint en l'esprit de l'imiter dans sa manière de prêcher. Ne vous imaginez pas, néanmoins, que je voulusse l'imiter en la hauteur de ses pensées, en la profondeur de sa doctrine, en la force de ses raisonnemens en la bonté de son jugement, en la douceur de ses paroles, en l'ordre et la liaison si juste de ses discours, et en cette douceur incomparable qui arrachoit les rochers de leurs places. Tout cela étoit hors de ma portée. Je fis comme ces mouches, qui ne pouvant se

prendre au poli de la glace d'un miroir, s'arrêtent sur la bordure. Je m'amusai, et comme vous allez entendre, je m'abusai, en me voulant conformer à son action extérieure, à ses gestes, à sa prononciation, tout cela en lui étoit lent et posé. La mienne étoit toute autre ; je fis une métamorphose si étrange, que je n'étois plus reconnoissable, ce n'étoit plus moi. J'avois gâté mon propre original, pour faire une fort mauvaise copie de celui que je voulois imiter.

Notre Bienheureux fut averti de tout ce mystère, lequel me dit un jour, après avoir bien tournoyé : A propos de sermons, mais il y a bien des nouvelles; on m'a dit qu'il vous a pris envie de contrefaire l'évêque de Genève en prêchant. Je repoussai cet assaut en lui disant: Hé bien ! est-ce un si mauvais exemplaire; à votre avis, ne prêche-t-il pas mieux que moi ?

Ha! certes, répliqua-t-il, voilà une attaque de réputation Oh! non, à la vérité il ne prêche pas si mal; mais le pis est, que l'on m'a dit que vous l'imitez si mal, que l'on n'y connoît rien, sinon un essai si imparfait, qu'en gâtant l'évêque de Belley, vous ne représentez nullement celui de Genève; de sorte qu'il seroit besoin d'imiter ce mauvais peintre qui écrivoit le nom de ce qu'il vouloit peindre, sur les figures qu'il barbouilloit.

Laissez-le faire, repris-je, et vous verrez que petit à petit, d'apprenti il deviendra maître, et que ses copies à la fin passeront pour des originaux.

Joyeuseté à part, reprit-il, vous vous gâtez, et vous démolissez un bâtiment, pour en refaire un contre toutes les règles de la nature et de l'art; et puis en l'âge où vous êtes, quand vous aurez, comme le camelot, pris un mauvais pli, il ne sera pas aisé de le changer.

O Dieu si les naturels pouvoient s'échanger, que ne donnerois-je pas de retour pour le vôtre ? Je fais

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