Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ce que je puis pour m'ébranler, je me pique pour me hâter; et plus je me presse, moins j'avance. J'ai de la peine à trouver mes mots, plus encore à les prononcer. Je suis plus lourd qu'une souche; je ne puis ni m'émouvoir, ni émouvoir les autres, et si je sue beaucoup, et n'avance guère; vous allez à pleines voiles, et moi à la rame; vous volez, et je rampe, ou je me traîne comme une tortue; vous avez plus de feu au bout du doigt, que je n'en ai en tout mon corps; une promptitude prodigieuse, et une vivacité semblable à celle des oiseaux; et maintenant on dit que vous pesez vos mots, que vous comptez vos périodes, que vous traînez l'aile, que vous languissez, et faites languir vos auditeurs.

Je vous dirai que cette médecine fut si efficace qu'elle me purgea de cette douce erreur, et me fit reprendre mon premier train.

CHAPITRE XX.

De la Charité de la Chasteté, et de la Chasteté de la Charité.

COMME on parloit devant lui d'une fille de bonne

maison, qui étoit tombée en une faute fort scandaleuse, il dit : « C'est grand cas que chacun a tant » de zèle et de charité pour la chasteté, et peu en » ont pour la chasteté de la charité. »

vent pas,

Il s'expliqua ainsi : Tous ont du zèle pour la conservation de la chasteté ; jusques-là que ceux qui ne l'aiment pas, la louent; et que ceux qui ne l'obserla font observer aux personnes qui dépendent d'eux, en quoi ils sont louables; car on ne peut conserver avec trop de diligence un si riche trésor, vû même que la bienséance publique y est intéressée avec l'honneur des familles.

Mais plût à Dieu que nous eussions autant de zèle pour la chasteté de la charité. J'appelle chasteté de la charité, la pureté et intégrité de cette vertu, la mère, la reine et l'ame de toutes les autres, et sans laquelle ou elles ne sont pas vraies vertus, ou elles sont mortes et sans mérite devant Dieu. Or, il y a tant de charité impure et feinte, et par conséquent qui n'est pas chaste et entière, que c'est une grande pitié. Telle est celle par laquelle on offense la vraie charité de Dieu et du prochain, sous le prétexte de la charité même, qui est une trahison non-pareille, puisqu'elle trahit le traître même qui l'embrasse. J'ai coutume de dire que le zèle est une vertu dangereuse, parce qu'il y a peu de gens qui la sachent pratiquer comme il convient. Plusieurs font comme ces mauvais couvreurs, qui gâtent plus de tuiles qu'ils n'en remettent. C'est en ne regardant que Dieu en toutes choses, et toutes choses en Dieu, que nous arrivons à la chasteté et virginité de la charité, de laquelle si peu de gens sont jaloux de la jalousie de Dieu qui brûloit le grand Apôtre.

Par cette prudente diversion, il écarta bien loin le propos offensant qui blessoit ses oreilles, parce que Dieu y étoit déshonoré par la médisance que l'on faisoit du prochain.

CHAPITRE X X I.

Le cas qu'il faisoit de la douceur. ON lui amena un jeune homme, afin qu'il lui fit

une sévère correction; mais il lui parla avec sa douceur ordinaire, et voyant son endurcissement, il versa des larmes, disant que ce cœur dur et impliable feroit une mauvaise fin.

Comme on lui eut dit que la mère l'avoit maudit:

Ha! dit-il, voilà encore le pire; si cette femme est prise au mot, elle aura beau maudire ses malédictions misérable mère d'un plus malheureux fils.

Il ne fut que trop bon Prophète; car ce jeune garçon périt bientôt après par un misérable duel, et son corps fut mangé par les chiens et les loups, et sa mère en mourut de regret.

Or, comme quelques-uns le reprenoient de sa trop grande douceur en cette correction: « Que vou» lez-vous que j'y fasse, leur disoit-il ? J'ai fait tout » ce que j'ai pu pour m'armer d'une colère qui ne "pèche point; j'ai pris mon cœur à deux mains et " n'ai pas eu la force de le lui jeter à la tête.

❞ ans,

» Et puis, à vous dire le vrai, je craignois d'épan» cher en un quart-d'heure ce peu de liqueur de man » suétude que je tâche de recueillir depuis vingt-deux comme une rosée dans le vase de mon cœur. » Les abeilles sont peu de mois à faire peu de miel, » que l'homme avale en une bouchée. Et puis, à quel » propos parler où l'on n'est point écouté? Ce jeune » homme n'étoit pas capable de remontrance; car la » lumière de ses yeux, c'est-à-dire de son jugement, » n'étoit point avec lui: Je ne lui eusse de rien servi, » et je me fusse peut-être fait grand tort, et j'eusse » imité ceux qui se noyent avec ceux qu'ils pensent » sauver. Il faut que la charité soit prudente et » judicieuse."

[ocr errors]

CHAPITRE

XXII.

On lui demande si les Apôtres alloient en carosse.

L'AN AN 1619, il vint à Paris, accompagnant M. le cardinal de Savoie, qui venoit pour assister aux noces de M. le Prince de Piémont son frère, qui épousoit Madame, sœur du roi, Christine de France.

Un homme de la Religion demanda à lui parler,

et on l'introduisit dans la chambre. Ce personnage lui demande en entrant, sans lui faire autre compliment ni révérence: Est-ce vous que l'on nomme l'évêque de Genève? Monsieur, lui dit notre Prélat, on_mappelle ainsi.

Je voudrois bien savoir de vous, que l'on tient partout pour un homme apostolique, si les Apôtres alloient en carrosse ?

Notre Bienheureux, à cet assaut, se trouva un peu surpris; néanmoins s'étant remis, il s'avisa de ce qui est écrit de S. Philippe aux actes des Apôtres, qui entra dans le char ou carrosse de l'Eunuque de Candace, reine d'Ethiopie, ce qui lui donna sujet de repartir, qu'ils alloient en carrosse quand la commodité et l'occasion s'en présentoient.

L'autre,.secouant la tête: Je voudrois bien que vous me fissiez voir cela dans l'Ecriture; alors il lui allégua l'exemple que nous venons de marquer.

Mais ce carrosse, dit l'autre, n'étoit pas à lui, mais à l'Eunuque, qui l'invita d'y monter.

Je ne vous ai pas dit que ce carrosse fût à lui, mais seulement que quand l'occasion se présentoit, ils alloient en carrosse.

Mais dans des carrosses dorés, brodés et si riches, que le Roi n'en auroit pas de plus précieux, ni traînés par de plus superbes chevaux, ni conduit par des cochers mieux couverts, c'est ce qui ne se lit point, et c'est ce qui me scandalise en vous qui faites le Saint, et que l'on tient pour tel. Vraiment voilà de beaux Saints, et qui vont en Paradis bien à leur aise.

Helas ! Monsieur, lui dit notre Saint, ceux de Genève qui tiennent le bien de mon évêché, m'ont coupé l'herbe si courte, que c'est tout ce que je puis faire de vivre petitement et pauvrement de ce qui me reste. Je n'eus jamais de carrosse à moi, ni le moyen d'en avoir.

Ce carrosse si pompeux et si magnifique où je vous vois tous les jours, n'est donc pas à vous?

Non,

Non, reprit l'évêque, et vous avez raison de l'appeler majestueux; car il appartient à Sa Majesté, et il est du nombre de ceux que le Roi a ordonné pour ceux qui, comme moi, sont à la suite de messieurs les princes de Savoie ; vous le pouvez connoître aux livrées du Roi, que porte celui qui le conduit.

Vraiment cela me contente, et je vous en aime davantage. Vous êtes donc pauvre, à ce que je vois ?

Je ne me plains point de ma pauvreté, puisque j'ai suffisamment pour vivre honnêtement et sans superfluité; et quand j'en sentirois les incommodités, j'aurois tort de me plaindre d'une chose que JésusChrist a choisie pour son partage durant tout le cours de ses jours, vivant et mourant entre les bras de la pauvreté.

Au reste, la maison qui m'a donné la naissance étant dans la sujétion de la Maison de Savoie, j'ai tenu à honneur d'accompagner M. le cardinal de Savoie en ce voyage, et de me trouver à la célébrité de l'alliance que M. le prince de Piémont son frère contracte avec la France, épousant Madame, sœur de Sa Majesté.

Tout ceci contenta de telle sorte ce protestant, qu'il lui promit de l'avoir désormais en estime, et qu'il se retira avec beaucoup de satisfaction.

CHAPITRE X X I I I.

Le Bienheureux accepte le défi d'un Ministre.

LE Bienheureux, prêchant à Grenoble le carême

et l'avent, eut un tel concours à son auditoire, nonseulement des catholiques, mais encore des protestans de la confession de Genève, que les prêches étoient déserts.

Un des ministres, homme turbulent, voyant son auditoire désert, après beaucoup d'invectives et de

C

« AnteriorContinuar »