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déclamations injurieuses contre le Saint, le menace d'en venir à une conférence réglée, ce que le Bienheureux accepta.

Une personne de mérite, qui n'étoit pas d'avis que le Bieuheureux s'y exposât, lui représenta l'hu→ meur insolente du ministre, qui avoit une bouche d'enfer, et la langue la plus contagieuse et injurieuse du monde.

Bon, disoit le Bienheureux, voilà justement ce qu'il nous faut.

Et comme cet ami lui représentoit que le ministre le traiteroit indignement, et n'auroit non plus d'égard pour lui que pour un homme de néant :

Encore mieux, répliqua le saint Evêque, c'est ce que je demande : ô que de gloire Dieu tirera de ma confusion!

Mais, repartit l'autre, voulez-vous exposer votre qualité à l'opprobre ?

Notre-Seigneur, reprit le bienheureux, en a bien souffert d'autres : N'en a-t-il pas été rassasié?

Oh! disoit cet ami, vous débutez de trop hant. Que vous dirai-je, continua notre Bienheureux ? J'espère que Dieu me fera la grâce d'endurer plus d'injures qu'il ne m'en sauroit dire; et si nous sommes bravement humiliés, Dieu sera magnifiquement exalté. Vous verrez des conversions à tas ensuite de cela, mille tombant à gauche, et dix mille à droite. C'est la pratique de Dieu, de tirer son honneur de notre humiliation. Les Apôtres ne sortoient-ils pas joyeux des assemblées où ils avoient enduré des affronts pour le nom de Jésus? Ayons bon courage, Dieu nous aidera. Ceux qui espèrent en lui ne manquent de rien, et ne sont jamais confondus.

Mais l'ennemi, de peur de perdre en ce jeu, suggéra tant de raisons de prudence humaine aux suppôts du ministre, qui se défioit de ses forces, qu'ils firent arrêter cette conférence par le lieutenant de Roi, qui étoit encore alors de leur créance,

CHAPITRE XX I V.

Les égards du Bienheureux pour un Ecclésiastique qui avoit été son Précepteur.

LE Bienheureux avoit eu dans sa jeunesse un ecclésiastique fort vertueux, lequel il garda jusqu'à sa mort. Il l'avoit conduit en ses études en Savoie, à Paris et à Padoue, et avoit pris un grand ascendant sur son esprit.

Le Bienheureux lui a toujours porté un grand respect, l'appelant et son Père et son Maître ; et quand il fut évêque, il le fit chanoine en son Eglise, et le pourvut honorablement, lui donnant outre cela et sa maison et sa table.

Ce bon ecclésiastique avoit de son côté un tel zèle de l'honneur de son disciple, qu'il n'eût pu supporter qu'aucun en eût dit en sa présence une seule parole désavantageuse, sans se mettre aussitôt en mauvaise humeur.

Le bon évêque lui représentoit quelquefois qu'il n'étoit pas raisonnable qu'il fût si sensible sur la réputation de son disciple. Quoi, lui disoit-il, suis-je tout parfait ? suis-je Saint ?

Je vous désire tel, disoit le bon ecclésiastique,.

Et quand je le serois, disoit le disciple, les Saints n'ont-ils pas eu des censeurs et des moqueurs? Ontils été exempts du fléau de la persécution, et de la contradiction des langues? Que n'a-t-on pas dit de Notre-Seigneur? S. Paul n'a-t-il pas repris S. Pierre; et lui-même n'a-t-il pas été réputé fou à cause de sa grande science?

Le bon monsieur ne se payoit pas de ces raisons il le reprenoit de ses moindres défauts, ou qui lui sembloient tels, avec une liberté qui eût mis à bout toute autre patience, et qui ne pouvoit être excusée

que par le zèle ardent du maître, et la douceur incroyable du disciple.

Au commencement de son épiscopat, auquel il fut promu environ à l'âge de trente-six ans, donnant libre accès à tout le monde indifféremment, pour être le sel et la lumière de tous, puisque Dieu l'avoit mis sur le chandelier, ce bon précepteur disoit que cela n'étoit pas séant à sa gravité épiscopale; surtout il ne pouvoit souffrir que les femmes l'abordassent et lui parlassent si long-temps. Le saint Prélat qui se reconnoissoit redevable à tous, ne rebutoit personne.

Une fois qu'il le pressoit là-dessus, et le conjuroit de se défaire de tant d'importunités, d'épargner son temps, qu'il l'emploîroit à de meilleures occupations, et surtout d'éviter les mauvais bruits, à quoi cela pourroit donner occasion.

Il lui dit, monsieur d'Aage, que voulez-vous ? la charge des ames n'est pas de porter les forts, mais de supporter les foibles. Il ne faut point se mêler de ce travail, ou il s'y faut donner tout à fait. Dieu hait les tièdes, et veut être servi sans mesure. J'aime certes la prudence du serpent, mais incomparablement plus la simplicité de la colombe. Dieu, qui est la charité même, m'ayant attaché à cet emploi de charité, fait qu'en tout cela je ne regarde que son amour. Tant que je me tiendrai à lui, il ne m'abandonnera pas. Il ne délaisse jamais ceux qui le cherchent et qui le recherchent de tout leur cœur. Ayons bon courage, il nous aidera, et ne permettra pas que nous tombions pour nous blesser. Il nous soutiendra de sa main, il est un aide puissant; ceux qui sont en sa main ne peuvent périr. Il nous peut retirer des abîmes de la terre, combien plus aisément nous empêcher d'y descendre. Il mortifie, il vivifie. Il mène aux enfers et en retire. Avec lui nous ne devons pas craindre les milliers de combattans, et avec lui nous sommes assez forts pour surmonter toute sorte d'obstacles.

CHAPITRE X X V.
De la Perfection.

JE n'entends parler que de perfection, disoit quelquefois notre Bienheureux, et je vois fort peu de personnes qui la pratiquent. Chacun en fait une à sa mode; les uns la mettent en l'austérité des habits. d'autres en celle du manger, d'autres en l'aumône, d'autres en la fréquentation des Sacremens, d'autres en l'Oraison, d'autres en certaine sorte de contemplation passive et suréminente, d'autres en ces grâces extraordinaires, que l'on appelle gratuitement données ; et tous ceux-là se trompent, prenant les moyens ou les effets pour la cause.

Pour moi je ne sais ni ne connois point d'autre perfection que d'aimer Dieu de tout son cœur, et son prochain comme soi-même. Toute autre perfection sans celle-ci, est une fausse perfection. La charité est le seul lien de perfection entre les chrétiens, et la seule vertu qui nous unit à Dieu et au prochain comme il faut, en quoi consiste notre fin et consommation dernière. C'est-là la fin de toute consommation, et la consommation de toute fin. Ceux-là nous trompent, qui nous forgent d'autres perfections.

Toutes les vertus qui semblent les plus grandes et les plus excellentes, ne sont du tout rien sans charité, ni la foi même, quand elle transporteroit les montagnes, et qu'elle pénètreroit les mystères ; ni la prophétie, ni le langage des hommes et des Anges, ni l'aumône de tous ses biens, ni même le martyre, fût-il du feu, tout cela ne sert de rien sans la charité. Quiconque n'est point en la charité est dans la mort ; et toutes les œuvres, quelque bonté apparente qu'elles aient, sont des œuvres mortes et de nul prix pour l'éternité.

Je sais que les austérités, l'oraison et les autres exercices de vertus, sont de fort bons moyens pour avancer en la perfection, pourvu qu'ils soient pratiqués en charité, et par le motif de la charité. Il ne faut pourtant pas mettre la perfection dans les moyens, mais dans la fin où ces moyens conduisent; autrement ce seroit s'arrêter dans le chemin et au milieu de la course, au lieu d'arriver au but.

CHAPITRE

COMME

X X V I.

Suite du même Sujet.

OMME je lui demandois ce qu'il falloit faire pour arriver à cette perfection:

« Il faut, reprit-il, aimer Dieu de tout son cœur, » et son prochain comme soi-même. »

Je ne vous demande pas ce que c'est que la perfection, lui repartis-je, je demande le chemin qu'il faut tenir pour y arriver.

"La charité, me dit-il, est une vertu admirable, » elle est et moyen et fin tout ensemble; elle est le » chemin et le terme; elle est la voie pour aller à » elle-même, c'est-à-dire, pour faire progrès en la » perfection." Je veux vous montrer une voie encore plus excellente, dit S. Paul, et aussitôt il fait une ample description de la charité.

Toute vertu est morte sans elle; pour cela elle est la vie. Nul n'arrive sans elle à la dernière et sonveraine fin qui est Dieu; pour cela elle est la voie. Sans elle il n'y a point de vraie vertu ; pour cela elle est la vérité. Elle est la vie de l'ame, car c'est par elle que nous sommes transférés de la mort du péché à la vie de la grâce. C'est elle qui rend la foi, l'espérance et toutes les autres vertus vives et animées.

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