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et sa puissance diminuée? Et ne peut-il pas faire encore, sortir l'eau vive et désaltérante de la mâchoire d'un âne ?

Mais ce n'est pas à cela que pensent ces bons personnages, mais à ma gloire, à moi; comme si nous la devions désirer pour nous, et non pas la rapporter à Dieu, qui opère en nous tout ce qui en sort de bon., Or, selon l'esprit de l'Evangile, tant s'en faut que nous devions nous arrêter à l'applaudissement du monde. qu'au contraire S. Paul déclare que plaire aux hommes est une mauvaise marque de serviteur de Dieu : L'amilié du monde étant ennemie de Dieu.

Sur ce fondement, si ce livre m'avoit acquis quelque vaine estime, je devrois en faire quelqu'autre de moindre prix pour rabattre ces fumées, et pour acquérir ce bienheureux mépris des hommes, qui nous rend d'autant plus agréables à Dieu, que nous sommes plus crucifiés au monde.

CHAPITRE XIII.

Conduites différentes de deux notables Directeurs. Lg Bienheureux étant à Paris en 1619, plusieurs

ames pieuses l'abordèrent pour le consulter sur ce qui regardoit leur intérieur et le bien de leur salut. Il eut le moyen par-là de considérer la variété des traits dont Dieu se sert pour attirer et conduire les ames à lui, et aussi de remarquer les différentes conduites des serviteurs de Dieu en la direction des ames.

Entr'autres il me dit un jour, qu'il avoit pris garde à deux notables personnages, célèbres pour la prédication, et qui s'appliquoient à la direction, tous deux très-fidèles serviteurs de Dieu et d'une vie très-exemplaire, mais pourtant si différens en leurs conduites, qu'elles sembloient presque opposées, bien qu'elles

visassent au même but, qui étoit de faire servir et glorifier Dieu parfaitement.

L'un, disoit-il, extrêmement sévère et terrible tant en ses prédications qu'en sa conduite sur les ames, où il ne parle que de mortifications, austérités, examens continuels et autres exercices rigoureux; et par cette crainte dont il remplit les esprits, il les porte à une exacte observance de la loi de Dieu, et à un extrême soin de leur salut, sans néanmoins les gêner par aucuns scrupules, mais les tenant dans une sujétion merveilleuse. L'effet de sa conduite est tel, que Dieu est fort craint et redouté, le péché fui comme le serpent, et les vertus ponctuellement pratiquées.

L'autre, par le contre-pied, mène les ames à Dieu. Ses prédications ne sont que d'amour de Dieu. Il fait plus aimer la vertu que hair le vice, et plus aimer celle-là, parce qu'elle plaît à Dieu, que parce qu'elle est agréable en elle-même ; et plus hair celui ci, parce qu'il déplait à Dieu, que pour le dommage qu'il cause à celui qui s'y livre. L'effet de cette conduite est, que les ames en conçoivent un grand amour pour Dieu, mais un amour pur et ført, et une grande dilection du prochain pour l'amour de Dieu.

Je ne pus, en entendant ce récit, m'empêcher d'admirer les voies de Dieu, et ses divines inventions pour le bien des ames qu'il appelle à son service, et comme par diverses routes on peut arriver au même

terme.

CHAPITRE XIV.

Comment il faut se comporter dans les calomnies.

ON

N demandoit une fois à notre Bienheureux s'il ne falloit pas repousser la calomnie avec les armes de la vérité.

Il répondit qu'en semblable occasion plusieurs vertus demandoient à être exercées.

La première est la vérité, à laquelle l'amour de Dieu et de nous-mêmes en Dieu nous oblige de rendre témoignage; mais témoignage doux et paisible, sans trouble ni empressement, et sans souci de l'évènement. Notre Sauveur étant accusé d'avoir le démon, répondit tout simplement: Je nai point le démon. Vous blåme-t-on de quelque grand et scandaleux défaut ? Si vous ne le reconnoissez point en vous, dites tout simplement et sans émotion que vous ne l'avez pas.

2. Si l'on continue à vous le reprocher, l'humilité demande ici sa part, et l'occasion est belle de la pratiquer, disant que vous en avez bien de plus grands et qui ne sont pas connus; que vous êtes misérable et que votre misère doit plutôt exciter la compassion que le courroux; que si Dieu ne soutenoit votre fragilité, vous commettriez des crimes bien plus énormes. Cette humilité ne préjudicie nullement à la vérité. N'est-ce pas par un sentiment de vraie humilité et d'humble vérité, que David disoit que, si Dieu ne l'eût assisté son ame eût été habitante de l'enfer?

3. Persévère-t-on à vous persécuter? voici le silence qui demande son rang, et qui desire s'y opposer en pratiquant cet enseignement du Roi Prophète : Je suis devenu comme un homme qui n'a ni oreilles, ni bouche pour repartir. Si la réplique est l'huile de la lampe

de la calomnie, le silence est l'eau qui l'éteint. Répondez-vous ? vous l'irritez; vous taisez-vous? vous l'apaisez.

4. Le silence est-il infructueux ? voici la patience qui demande sa place, et qui vous présente un bouclier d'une trempé impénétrable. C'est elle, dit le Texte Sacré, qui rend notre œuvre parfaite. C'est elle qui, jointe à la charité, nous place dans les béatitudes de la faim de la justice, et de la persécution pour la justice.

5. Redouble-t-on la calomnie? voici la constance qui est une patience redoublée, et qui résiste aux maux les plus violens.

6. La calomnie pour tout cela ne cesse point? voici la longanimité, qui est une patience de longue durée. 7. A la longanimnité succède la persévérance, qui va jusqu'au bout de la carrière et qui remporte la couronne.

8. La prudence, la douceur, la modestie en paroles, veulent aussi chacune y représenter leur personnage; mais sur-tout la maîtresse du chœur des vertus, leur reine, leur vie, leur ame, la très-sainte charité, puisque sans elle tout ce monceau de vertus ne seroit qu'un tas de pierres. C'est elle qui jette des charbons ardens au visage de ceux qui nous calomnient, qui nous fait bénir ceux qui nous maudissent, et prier pour ceux qui nous persécutent. C'est elle qui souvent leur change de telle sorte le courage, qu'elle les rend de persécuteurs nos protecteurs, et de calomniateurs nos panégyristes.

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LE Concile de Trente dit que cette charge est redoutable aux épaules des Anges mêmes; et S. Grégoire appelle le gouvernement des ames, l'art des arts.

Un Pasteur se plaignant un jour à notre Bienheureux des épines de sa vocation, des sollicitudes qui en sont inséparables, mais principalement de l'indocilité des peuples et de leur tête dure :

Il répondit que leur dureté ne devoit pas tant être considérée que la délicatesse de plusieurs Pasteurs, qui se rebutent souvent et tombent en impatience, quand ils voient que la semence de leurs remontrances et de leurs travaux ne fait pas le rapport et n'a pas le succès qu'ils désireroient.

Le laboureur n'est pas blâmé pour ne pas faire une abondante récolte, mais s'il ne cultive pas bien son champ, et n'y fait pas toutes les façons nécessaires.

Le découragement en cette occasion est une marque de grand amour-propre, et d'un zèle accompagné de peu de science. La bonne leçon pour les Pasteurs est celle que l'Apôtre fait à tous en la personne de Timothée Faites instance, préchez à temps et à contretemps, reprenez, suppliez, reprochez en toute patience et doctrine; où vous voyez que le mot de patience est la clef de tout ce secret. C'est avec cette vertu que nous possédons nos ames en paix.

:

Il ajouta ce beau mot de S. Bernard : Onus animarum, non validarum est, sed infirmarum: La charge n'est pas de celles qui sont fortes, mais de celles qui sont foibles; et l'expliqua par ces deux comparaisons.

Les plumes chargent à la vérité les oiseaux, et néanmoins sans cette charge ils ne pourroient pas s'élever dans les airs. La charge des ames saintes et vertueuses est un faix de cinnamome, qui soulage par sa suavité celui qui le porte; et ces ames-là servent aux Pasteurs à les faire voler vers le Ciel et courir en la voie des Commandemens de Dieu.

L'autre comparaison Voyez-vous, disoit-il, un berger qui conduit un troupeau de cent brebis; si quelqu'une se rompt la jambe, il la charge sur ses épaules pour la rapporter au bercail, et celle-là seule lui pèse plus que toutes les autres qui marchent bien:

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