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les ames qui vont d'elles-mêmes au bien, exercent peu le soin et la vigilance des Pasteurs ; ce sont les défectueuses et difficiles à gouverner.

NOTRE

CHAPITRE XV I.

Aspirer et respirer.

OTRE Bienheureux disoit que par le recueillement intérieur on se retiroit en Dieu, ou l'on attiroit Dieu en soi.

Mais quand et en quel lieu peut-on y avoir recours? En tout temps et en tout lieu. Il n'y a ni repas, ni compagnie, ni emploi, ni occupation, qui puisse l'empêcher, comme aussi il n'empêche ni ne traverse aucune action; au contraire c'est un sel qui assaisonne toute sorte de viande, ou plutôt un sucre qui ne gâte

aucune sauce.

Cela ne consiste qu'en regards intérieurs de soi et de Dieu, de soi en Dieu, de Dieu en soi; et plus ce recueillement est simple, meilleur il est.

Quant aux aspirations, ce sont aussi de courts mais vifs élans en Dieu; et plus une aspiration est véhémente et amoureuse, meilleure elle est.

Tous ces élans ou aspirations sont d'autant meilleurs qu'ils sont plus courts. Celui de S. Bruno me semble excellent à cause de sa brièveté : O bonté ! celui de S. François: Mon Dieu, mon tout ! de S. Augustin: O aimer, ô mourir à soi, ô arriver à Dieu !

Ces deux exercices se tiennent et se suivent comme le respirer et l'aspirer. Et de même qu'en respirant nous attirons l'air frais de dehors en notre poitrine, et en aspirant nous repoussons le chaud; ainsi en respirant par le recueillement, nous attirons Dieu en nous; et en aspirant, nous nous jetons entre les bras de sa bonté. Heureuse l'ame qui respire et aspire de la sorte; car ainsi elle demeure en Dieu et Dieu en elle! CHAPITRE

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CHAPITRE XVII.

Des résolutions en l'Oraison.

IL y a des ames qui se découragent en l'oraison, et

vont jusqu'à en quitter l'exercice, non parce qu'elles y rencontrent des, difficultés, mais parce que, disent-elles, elles sont infidèles aux résolutions qu'elles y prennent, et craignent de se rendre plus coupables, que si elles n'en prenoient point du tout.

Notre Bienheureux regardoit cela comme un trèsdangereux stratagême de l'ennemi. L'on attend bien, disoit-il, une année entière pour recueillir un épi de blé sortant d'un grain que l'on a jeté en terre, et plusieurs années pour manger des pommes provenant d'un pepin que l'on aura semé.

Il ne faut jamais abandonner l'exercice de l'oraison, que pour vaquer à des œuvres plus importantes, et encore faut-il en réparer le manquement par de fréquentes aspirations.

Et dans cet exercice, il ne faut jamais cesser de faire des résolutions, car elles sont tout le fruit de l'oraison. Et quoique l'on n'exécute pas sitôt ces résolutions-là, et qu'aux premières occasions qui se présentent de les mettre en pratique, on saigne du nez et on regarde en arrière, néanmoins ces semences ne laissent point de prendre racine en notre cœur, et de pousser des fruits en une autre saison, lors même que nous nous souvenons le moins de les avoir faites.

Et quand par ces résolutions nous ne ferions autre chose que de nous exercer à la vaillance spirituelle, encore ces bonnes volontés ne laisseroient pas d'être agréables à Dieu, qui entend nos pensées de loin, et découvre nos routes et nos sentiers : quand nous ne ferions que comme ces écoliers qui apprennent dans les Académies à monter à cheval, et à faire des armes,

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encore seroit-ce quelque chose; et tel fuit aujourd'hui, comme disoit cet Ancien, qui combattra courageusement dans une autre occasion.

Il ne faut donc jamais perdre courage, mais dire avec le Prophète : Je me confie au Seigneur; pourquoi diles-vous à mon ame qu'elle s'enfuie au désert tomme le passereau? O mon ame! pourquoi vous attristez-vous, et pourquoi me troublez-vous? Esperez en Dieu. Oui, nous le louerons et servirons encore quelque jour; il est mon salut et ma force, et mon vrai Dieu.

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La défiance de nous-mêmes ne doit jamais nous quitter pendant la vie.

Nous n'avons de nous-mêmes que malice et infirmité; et à l'égard du vrai bien qui est surnaturel et qui tend à l'éternité, nous sommes incapables, de nous comme de nous, d'avoir aucune bonne pensée; toute notre suffisance venant de Dieu, de qui procède tout présent très-bon, et tout don parfait; c'est pourquoi nous avons grand sujet de vivre dans une continuelle défiance de nous-mêmes.

Notre Bienheureux, ensuite de la doctrine de son cher livre le Combat spirituel, tenoit cette défiance pour la base de l'édifice de la perfection intérieure.

C'est une maxime reçue dans le monde, que la défiance est la mère de sureté, d'autant qu'elle fait tenir sur ses gardes : c'en est aussi une matière de vie spirituelle, à raison de quoi l'Ecriture nous avertit en tant d'endroits d'avoir attention sur nous, et de penser à nos voies: Qui néglige sa voie sera tué; qui méprise les petites choses tombera peu à peu.

Comme ceux qui marchent sur la corde, tiennent des contre-poids pour se conduire en équilibre sur un

si dangereux plancher, de même nous devons, en cette vie, où nous marchons en des lieux si glissans, que celui qui est debout a bien de la peine à se tenir droit,) marcher entre la crainte et l'espérance, qui sont les deux pieds de la défiance de nous-mêmes, et de notre confiance en Dieu.

Le souvenir de nos fautes passées nous doit apprendre combien nous sommes fragiles, et que sans la grace nous retomberions dans notre premier état, et ferions peut-être encore pis, les rechutes étant ordinairement plus dangereuses que les maladies.

Il ne faut jamais se confier en sa vertu passée, ni en la multitude des richesses spirituelles et des bonnes habitudes que l'on pense avoir amassées; car notre infirmité est si grande, qu'il ne faut qu'un moment pour perdre ce que l'on a été long-temps à acquérir, comme il ne faut qu'un quart d'heure pour voir consumer par un incendie une maison que l'on aura remplie de biens pendant le cours et par le travail de plu sieurs années.

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Je confirmerai ceci par une histoire rapportée par notre Bienheureux. « Nous avons besoin, dit-il, de » veiller à toute heure, quelqu'avancés que nous soyons » en la perfection, d'autant que nos passions renais"sent, même quelquefois après avoir vécu longue"ment en religion, et après avoir fait un grand progrès en la perfection, ainsi qu'il arriva à un Reli»gieux de S. Pacome, nommé Sylvain, lequel, étant » dans le monde, étoit comédien de profession, et » s'étant converti et fait Religieux, passa l'année de "sa probation, et même plusieurs autres après, dans » une mortification très-exemplaire, sans qu'on lui » vit jamais faire aucun acte de son premier métier : vingt ans après, il pensa qu'il pouvoit bien faire » quelque badinerie, sous prétexte de récréer ses » frères, croyant que ses passions fussent déjà telle»ment mortifiées, qu'elles n'eussent plus le pouvoir "de le faire passer au-delà d'une simple récréation,

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» mais le pauvre homme fut bien trompé; car la pas. »sion de la joie se réveilla tellement, qu'après les ba» dineries, il parvint aux dissolutions; de sorte qu'on "résolut de le chasser du Monastère, ce que l'on eût » fait sans un de ses frères Religieux, lequel se rendit » caution pour Sylvain, promettant qu'il s'amenderoit ; » ce qui arriva, et il fut depuis un grand Saint.

CHAPITRE XIX.

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A quoi l'on peut connoître si l'on avance dans la vertu.

ENTRE plusieurs moyens il faisoit beaucoup de cas

de celui-ci, savoir: d'aimer la correction et répréhension; car comme c'est signe d'un bon estomac, quand il digère facilement les viandes dures et grossières, aussi est-ce une bonne marque de santé spirituelle de pouvoir dire avec le Prophète : Le juste me corrigera dans sa miséricorde, mais l'huile du pécheur, c'est-à-dire, du flatteur, n'engraissera point ma tête.

C'est un grand témoignage que l'on hait le vice, et que les fautes que l'on commet procèdent plutôt de surprise, d'inadvertance et de fragilité, que de malice et de propos délibéré, quand on a agréables les avertissemens qui nous font penser à nos voies. Qui aime la correction, aime la vertu contraire au défaut dont il est repris, et fait son profit de ces avertissemens, pour éviter le vice qui lui est opposé.

Le malade désireux de sa santé prend avec courage les remèdes qui lui sont ordonnés, quelqu'âpres, amers et douloureux qu'ils puissent être. Celui qui est désireux de la vertu, en laquelle consistent la pleine santé et la vraie sainteté de l'ame, ne trouve rien de difficile, pas même les corrections et répréhensions, pour arriver à ce but.

Un autre moyen pour connoître si l'on avance dans

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