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la vertu, est de ne laisser passer aucune occasion de pratiquer l'humilité, dont il y en a de passives, et d'autres actives. La plupart ne veulent tâter que de celles-ci, et ont les autres à contre-cœur. Je veux dire que nous prenons bien plaisir à nous humilier nousmêmes, soit en paroles, soit en œuvres; mais non pas à être humiliés par autrui. Chacun se veut payer par ses mains, et de telle monnoie qu'il lui plaît. Chacun se veut corriger et reprendre soi-même, et non pas être corrigé ni repris par autrui.

Et cependant il est certain qu'une once d'humiliation et de correction venant d'autrui, vaut mieux que plusieurs livres qui viennent de nous-mêmes. Notre choix, notre goût gåtent pour l'ordinaire nos meilleures actions, et lorsque nous pensons qu'elles sont pleines de suc et de solidité, elles se trouvent pleines de vent et de poussière; comme ces fruits qui croissent au rivage de la mer Morte, qui ont l'écorce belle et vermeille, mais qui sont remplis de poussière.

CHAPITRE XX.
Du parler.

LA parole montre l'homme; la langue a sa racine au cœur. Voulez-vous connoître si un homme a le jugement sain et la volonté bonne, prenez garde à ses discours, étudiez ses paroles, et quelque caché qu'il soit, vous reconnoîtrez ce qu'il est.

Les Médecins même n'ont point de meilleur moyen pour reconnoître l'état d'un malade. On juge de la racine de l'arbre par les feuilles et par les fruits, et de la racine de la conscience par les paroles, parce -que la bouche parle de l'abondance du cœur.

A quoi j'ajouterai ce mot de notre Bienheureux, que qui retrancheroit le péché de la langue, ôteroit du monde la troisième partie des péchés. Quiconque ne pèche point par la langue, dit St. Jacques, est un homme parfait.

CHAPITRE XXI.

D'un Prédicateur qui resta tout court.

UN certain Religieux, qui avoit parmi les siens une

grande réputation de doctrine, y étant Lecteur en Théologie, et qu'ils faisoient passer par-tout pour un célèbre Prédicateur, étant venu à Annecy, désira, avec une extrême passion de prêcher en la présence de notre Bienheureux, et d'y étaler son éloquence, afin d'avoir quelque notable station d'Avent ou de Carême.

Notre Saint, qui ne refusoit ni sa chaire ni ses oreilles à aucun Prédicateur orthodoxe, condescendit aisément à son désir, et se trouva sur son trône, environné de ses Chanoines, de son Clergé et de son peuple, à cette prédication si étudiée, et à laquelle tous ses frères n'avoient pas manqué de convier toute

la ville.

Là, ce bon personnage s'embarrassant dans ses idées par quelque secret jugement de Dieu, tomba dans une telle confusion, qu'ayant parlé quelque temps à bâtons rompus sans savoir ce qu'il disoit, à la fin il se tut tout-à-fait, sa mémoire ne lui suggérant rien de meilleur que le silence.

Il sortit donc de cette façon avec une honte étrange, et il prit cette honte si à cœur, qu'il entra dans une mélancolie voisine de la frénésie et du désespoir. Il disoit des choses qui faisoient frémir à entendre, s'en prenant à Dieu même. Il en vint jusqu'à ce point de vouloir mourir, ne pouvant plus, disoitil, survivre à cet affront, ni fermer l'œil, ni jour ni nuit.

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A la perte du repos il voulut joindre celle des repas, pour se laisser mourir de faim. Ils furent contraints d'appeler le S. Evêque pour le consoler, et lui suader de manger.

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Le Bienheureux, qui m'a lui-même raconté cette histoire, m'a dit que dans un personnage d'un Institut si austère, il n'eût jamais imaginé tant d'immortification.

Enfin avec beaucoup de peine, et après plusieurs menaces de damnation, il le fit résoudre à manger; mais à condition qu'on lui promit de le changer, non-seulement de province, mais de nation.

Sur ce sujet il me dit qu'il eût souhaité en ce Religieux moins de nudité corporelle, et plus de spiri tuelle; moins d'austérité extérieure, et plus de mortification intérieure. Et parlant d'un Institut où l'on s'applique beaucoup à la science, et dont il fait parade: Je lui souhaiterois, disoit-il, un peu moins de la science qui enfle, et un peu plus de la charité qui édifie; un peu moins de suffisance, et un peu plus d'humilité.

Ce mot me fait souvenir d'un autre de M. le Cardinal de Berulle, qui parlant d'un Docteur fort profond Théologien, mais peu agile et peu habile in agibilibus: Je lui désirerois, disoit-il, un peu moins de Théologie, et un peu plus de sens commun; il n'en mériteroit pas moins le nom de sapientissimus.

CHAPITRE XXII

Des aridités spirituelles.

C'EST le propre des enfans d'aimer le sucre et les

dragées, et ils n'ont pas assez de jugement pour connoître que ces douceurs leur sont nuisibles et leur engendrent des vers. C'est aussi le fait des esprits peu fermes en la piété, de ne faire de progrès en la vertu, qu'à mesure que Dieu leur fait pleuvoir la manne des

consolations intérieures. L'aridité se fait-elle sentir, les voilà languissantes, lâches et pesantes à ellesmêmes et à autrui; leurs pensées les inquiètent et

tourmentent leur cœur ; en un mot, ils sont comme les enfans d'Ephrem, qui faisoient merveille en tirant au blanc, mais qui prenoient la fuite quand ils voyoient l'ennemi.

«Il ne faut pas faire ainsi, dit notre Bienheureux : » au contraire, plus Dieu nous prive de consolation, » et plus nous devons travailler pour lui témoigner "notre fidélité. Un seul acte fait avec sécheresse

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d'esprit, vaut mieux que plusieurs faits avec une » grande tendresse, parce qu'il se fait avec un amour » plus fort, quoiqu'il ne soit pas si tendre ni si » agréable,»

Un vaillant soldat va de sang froid dans les périls et dans les hasards, mais le commun n'y va que lorsqu'il est poussé. On est contraint, pour l'y faire aller, 'user du bruit du tambour et des trompettes.

Celui qui est vaillant dans les choses de l'esprit, ne s'abat point dans les sécheresses et les aridités ; c'est alors qu'il redouble sa constance. Il n'y a que les lâches et timides espions d'Israël, qui s'effraient à la vue des habitans de la Terre promise. Qui sert Dieu pour des consolations, aime mieux les consolations de Dieu, que le Dieu des consolations; et qui fuit la Croix, n'est pas digne de le suivre, ni d'être disciple d'un tel Maître.

CHAPITRE XXIII.

De la modestie au coucher.

CEST une action à laquelle peu de personnes prennent garde, n'y observant aucune règle de circonspection et de bienséance.

Nous devons nous coucher décemment, et penser que l'œil de Dieu, qui ne dort point, nous voit en eette action, et pareillement nos Anges Gardiens,

aussi bien que les malins esprits, qui, sur-tout là, nous tendent des piéges.

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« Nous devons, dit notre Bienheureux, avoir "Dieu devant les yeux toujours et en tout lieu, aussi » bien étant seul qu'en compagnie et en tout temps » oui, même en dormant. Un grand Saint l'écrivit à >>son Disciple, disant qu'il se couchât modestement " en la présence de Dieu, de la même manière » que feroit celui à qui Notre-Seigneur étant en»core en vie, commandergit de dormir et se cou» cher en sa présence; et, dit-il, quoi que vous ne » le voyiez pas, et n'entendiez pas le commande»ment qu'il vous en fait, ne laissez pas de le faire » tout de même que si vous le voyiez, parce qu'en » effet il vous est présent et vous garde pendant que » vous dormez. O mon Dieu! combien nous couche» rions-nous modestement et dévotement, si nous » vous voyions; sans doute nous croiserions les bras " sur nos poitrines avec une grande dévotion. »

Quelques serviteurs de Dieu récitent en cette occasion ces saintes paroles: Je dors, mais mon cœur veille. Gardez-moi, Seigneur, comme la prunelle de votre œil; protégez-moi sous l'ombre de vos ailes; environnez-moi de votre vérité comme d'un bouclier, et me préservez des craintes nocturnes. En lui je dormirai en paix et me reposerai: car il m'a établi en une singulière espérance en sa bonté. Si Dieu ne garde la cilé, en vain veille celui qui la garde.

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