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CHAPITRE XXIV.

Commander par obéissance.

UNE fille de la Visitation, que l'on destinoit pour

être supérieure, se plaignant à notre Bienheureux, et lui disant qu'elle perdroit le fruit de l'obéissance, il la consola par ces paroles: « Tant s'en faut, lui » dit-il, ma fille, qu'il vous sera extrêmement multiplié ; car si vous demeuriez en l'état de sujétion » vous n'auriez que le fruit de l'obéissance qui vous » seroit imposée par la Supérieure: mais étant Su"périeure, autant de commandemens que vous fe» rez à vos filles seront pour vous autant d'obéis

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sances. »

La fille s'étonnant de ce discours, et lui en demandant l'éclaircissement : Voyez-vous, lui dit-il, ma fille, n'est-ce pas Dieu, qui, par l'élection qu'il fait de votre personne pour commander à une Communauté, vous ordonne de commander? En obéissant donc à ce commandement, et en acceptant humblement la charge qui vous est imposée, ne voyez-vous pas que commandant par obéissance, tous vos commandemens pour autrui seront des obéissances pour vous, d'autant que vous commanderez par obéissance, parce que vous obéissez au commandement qui vous est fait de commander?

Au reste, je vous trouve heureuse d'entrer en charge avec cette aversion de commander, et un grand amour pour l'obéissance; parce que cela fera que vous commanderez par amour et pour l'amour, et ce divin amour rendra votre fardeau léger, et le joug des

autres suave.

JE

CHAPITRE XXV.

De l'Oraison mentale.

E demandai une fois à notre Bienheureux s'il n'étoit pas mieux de ne prendre qu'un point pour faire oraison, et de n'en tirer qu'une affection et une réso lution.

Il me répondit que l'unité et la simplicité en toutes choses, principalement aux exercices spirituels, étoit toujours à préférer à la multiplicité; qu'il n'y avoit que les commençans à qui l'on conseillat d'en pren dre plusieurs.

Sur la multiplicité des affections et résolutions, il me répondit que quand le printemps étoit fort abondant en fleurs, c'étoit alors que les abeilles faisoient moins de miel, d'autant que, prenant beaucoup de plaisir à voltiger sur cette abondance, elles ne se donnoient pas le loisir d'en extraire le suc et l'esprit, dont elles composent leurs rayons. C'est le propre, ajouta-t-il, des bourdons, de faire assez de bruit et peu de fruit.

A la demande s'il n'étoit pas mieux de répéter souvent la même affection et résolution pour l'inculquer davantage, il dit qu'il falloit imiter les peintres et les sculpteurs, qui font leurs ouvrages à force de réitérer les coups de pinceau et de ciseau; et que pour faire de profondes impressions sur nos cœurs, il falloit leur redire souvent la même chose.

Il ajouta que, comme ceux qui, en nageant, remuent trop promptement les jambes et les bras, enfoncent, étant nécessaire de les remuer doucement et à loisir; aussi ceux qui s'empressent trop dans l'oraison, s'évanouissent dans leurs pensées, et leurs pensées dissipées affligent leur cœur.

CHAPITRE XXVI.

Du même sujet.

QUANT à la question qui m'est faite, comment

s'entend ce mot que notre Bienheureux attribue au grand saint Antoine, que celui qui prie doit être tellement attentif à Dieu, qu'il doit oublier qu'il prie; d'autant que cette réflexion sur son action vient de son attention, et est sinon une espèce de distraction, au moins une occasion de distraction, en lui en ouvrant la porte:

Je réponds par la doctrine de notre Bienheureux: « Qu'il faut tenir son ame ferme dans la prière, sans "permettre qu'elle s'applique à faire des retours » pour voir ce qu'elle fait, ou si elle est satisfaite. » Hélas! nos satisfactions et nos consolations ne sa" tisfont "lement ce misérable amour et ce soin que nous avons » de nous-mêmes, hors de Dieu et de sa considéra» tion. Les enfans, certes, que Notre-Seigneur nous » marque devoir être le modèle de notre perfection, » n'ont ordinairement aucun soin, sur-tout en la pré"sence de leurs pères et mères ; ils se tiennent attachés à eux, sans se retourner pour regarder ni leurs »satisfactions, ni leurs consolations, qu'ils pren» nent à la bonne foi, et dont ils jouissent en sim»plicité, sans curiosité quelconque pour en considé»rer ni les causes ni les effets; l'amour les occupant » assez, sans qu'ils puissent faire autre chose. Qui est » bien attentif à plaire amoureusement à l'Amant cé» leste, n'a ni le cœur ni le loisir de retourner sur soi» même, son esprit tendant continuellement du côté " où l'amour le porte. "

pas les yeux de Dieu, mais contentent seu

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Notre Bienheureux étoit si amoureux de l'unité, que toute multiplicité lui étoit sinon désagréable,

au moins toujours suspecte. Il approuvoit extrêmement ce conseil que l'on attribue à S. Thomas, qui est, pour bien étudier, de n'avoir qu'un Livre.

A ce propos il louoit ceux qui, pour leur conduite spirituelle, s'attachoient à quelque livre de dévotion, comme le Combat spirituel, qui étoit son cher livre; la Méthode de servir Dieu, qu'avec sa permission je choisis pour le mien; l'Imitation de JésusChrist; la Guide de Grenade, ou son Mémorial, et semblables; non qu'il rejetât les autres, mais il vouloit seulement qu'ils tinssent lieu d'accessoire, et comme de commentaire au livre principal.

Il en étoit de même des exercices spirituels. Il désiroit que l'on fit choix de l'un de ces exercices pour s'y adonner plus fréquemment, soit la présence de Dieu qu'il recommandoit sur-tout; soit la pureté d'intention, dont il faisoit grand état; soit la soumission à la volonté de Dieu, qu'il estimoit beaucoup; soit l'abandon entre les bras de Dieu, et le renoncement à soi-même, qu'il relevoit beaucoup, comme embrassant généralement la perfection Chrétienne.

Il vouloit de même que l'on choisît quelque verlu particulière, comme l'humilité, la douceur, la patience, la mortification, l'oraison, la miséricorde, et semblables, pour s'y appliquer plus fréquemment, disant que presque tous les Saints ont excellé en quelque vertu particulière, et même que chaque Institut en avoit une spéciale qui faisoit son esprit, et que l'on y cultivoit plus particulièrement, sans néanmoins négliger les autres.

Sur ce principe il n'auguroit pas bien de ceux qu'il voyoit voltiger d'exercice en exercice, de livre en livre, de pratique en pratique, les comparant au bourdon qui picote toutes les fleurs sans en tirer aucun miel; toujours apprenant sans arriver à la vraie science des Saints, toujours prenant, amassant et entassant sans se faire riches, parce qu'ils mettent tout cela dans un sac percé, et se creusent des ci

ternes qui ne peuvent retenir l'eau. Esprits inquiets, qui, cherchant la paix dans ces richesses spirituelles, dont ils pensent se meubler, ne l'y trouvent pas; semblables à ces personnes blessées du mal de là jalousie, à qui tout sert d'entretien, et rien de remède.

Sur le sujet de cette multiplicité, il me disoit qu'il estimoit davantage une oraison jaculatoire, ou aspira ration répétée cent fois, que cent oraisons jaculatoires dites chacune une fois; il alléguoit sur cela l'exemple des Saints, comme de S. François, qui passcit quelquefois les jours et les semaines entières à répéter celle-ci : Mon Dieu m'est toutes choses. Et saint Bruno: O bonté ! Et sainte Thérèse : Tout ce qui n'est point Dieu n'est rien. Et il ajoutoit que plus l'abeillé s'arrête sur une fleur, plus elle en tire de miel.

Je confirmerai ceci par ce que dit notre Bienheureux dans un de ses Entretiens : « Ceux, dit-il, qui, » étant dans un festin, vont picotant chaque méts, » et mangent de tout un peu, se détraquent fort » l'estomac, dans lequel il se fait une si grande in" digestion, que cela les empêche de dormir toute » la nuit, ne pouvant faire autre chose que cracher. "Ces ames qui veulent goûter de toutes les métho» des et de tous les moyens qui nous conduisent ou "peuvent conduire à la perfection, en font de mê» me; car l'estomac de leur volonté n'ayant pas assez » de chaleur pour digérer et mettre en pratique tant "de moyens, il se fait une certaine crudité et indi"gestion qui leur ôtent la paix et la tranquillité d'esprit » auprès de Notre-Seigneur, qui est cet unique né» cessaire que Marie a choisi et qui ne lui sera point

"ôté. »

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