Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Comme l'ame est la vie du corps, aussi la charité est la vie et la perfection de l'ame.

Je sais tout cela, lui dis-je; mais je désire savoir comment il faut faire pour aimer Dieu de tout son et son prochain comme soi-même.

cœur,

Il me repartit : « Il faut aimer Dieu de tout son » cœur, et son prochain comme soi-même. »

Me voilà, repris-je, aussi savant que j'étois; je souhaite un moyen propre pour apprendre à aimer Dieu de tout son cœur, et le prochain comme soi

même.

» Le moyen le plus propre, le plus aisé, le plus » court, le plus utile pour aimer Dieu de tout son " cœur.... c'est d'aimer Dieu de tout son cœur...."). Il prenoit ainsi plaisir à me tenir en suspens.

A la fin il s'expliqua et me dit : Plusieurs aussi bien que vous, me demandent des méthodes, des moyens, des secrets de perfection, et je leur réponds que je ne sais point de plus grandes finesses que d'aimer Dieu de tout son cœur.... et tout le secret d'arriver à cet amour, c'est d'aimer; car comme on apprend à étudier en étudiant, à parler en parlant, à courir en courant, à travailler en travaillant, aussi apprend-on à aimer Dieu et le prochain en l'aimant ; et ceux qui prennent une autre méthode, se trompent.

Le bon moyen donc d'aimer Dieu, c'est de l'aimer toujours plus avancez sans cesse, et ne vous amusez point à regarder en arrière. Que les apprentis commencent, et à force d'aimer, ils y deviendront maîtres. Que les plus avancés avancent toujours plus avant, sans penser être arrivés au but car la charité de cette vie peut toujours être augmentée jusqu'au dernier soupir; et les plus avancés disent avec David: Voilà maintenant que je commence, ou avec le grand S. François Quand commencerons-nous à aimer et à servir Dieu de tout notre cœur, et à chérir notre prochain comme nous-mêmes?

CHAPITRE XX VI I.

Suile du même Sujet.

JE savois bien, lui dis-je, que la perfection chré

tienne consiste en la charité; que cette charité c'est d'aimer Dieu pour l'amour de lui-même, et le prochain pour l'amour de Dieu; mais qu'est-ce qu'aimer ? Il me répondit: l'amour est la première passion de notre cœur, qui nous porte à vouloir le bien.

Aimer Dieu et le prochain d'un amour de charité, qui est un vrai amour d'amitié, c'est vouloir du bien à Dieu pour lui-même; et au prochain en Dieu, et pour l'amour de Dieu.

:

Mais quel bien, repris-je, pouvons-nous vouloir à Dieu, qui est le bien souverain et la bonté essentielle ? Nous pouvons, répondit-il, lui vouloir deux sortes de bien celui qu'il a, par complaisance, nous réjouissant de ce qu'il est ce qu'il est, et que rien ne peut être ajouté à la grandeur et à l'infinité de sa perfection intérieure: et celui qu'il n'a pas, le lui vouloir; ou par effet, s'il est en notre pouvoir de le lui procurer; ou par affection et désir, s'il n'est pas en notre pouvoir.

Et quel bien n'a pas Dieu ? repartis-je. C'est ce que j'allois vous dire, répliqua-t-il. C'est celui que l'on appelle extérieur, et qui lui provient de l'honneur et de la gloire que lui rendent les créatures, principalement celles qui sont raisonnables. Si nous aimons véritablement Dieu, nous tâchons de lui procurer ce bien-là par nous-mêmes, rapportant à sa gloire tout notre être, et toutes nos actions, nonseulement les bonnes, mais les indifférentes; et non contens de cela, nous faisons toutes nos diligences et tous nos efforts pour essayer de porter le prochain

à son service et à son amour, afin que partout et en toutes choses Dieu soit honoré.

Aimer le prochain en Dieu, c'est se réjouir du bien qu'il a, en tant qu'il s'en sert utilement pour la gloire de Dieu; c'est lui rendre toute l'assistance possible qu'il exige de nous en son besoin ; c'est avoir le zèle du salut de son ame, et le procurer comme le notre propre, à cause que Dieu le veut, et y prendre plaisir.

C'est-là avoir la vraie charité, et aimer solidement et sincèrement Dieu pour l'amour de lui-même, et le prochain pour l'amour de Dieu.

UNE

СНА

CHAPITRE XXVIII.

De l'Amour des Ennemis.

NE personne de confiance lui disant qu'elle ne trouvoit rien de plus difficile dans le christianisme que l'amour des ennemis. « Et moi, lui dit-il, je ne »sais comme j'ai le cœur fait, ou comme il a plu » à Dieu de m'en créer un tout nouveau, vu que "non-seulement je n'ai aucune difficulté à pratiquer «ce commandement; mais j'y ai tel plaisir, et y res"sens une suavité si délicieuse et si particulière, » que si Dieu m'avoit défendu de l'aimer, j'aurois » bien de la peine à lui obéir. »

Et ayant été considérablement outragé par un particulier, après plusieurs bonnes raisons qu'il lui dit avec une douceur incomparable, pour l'apaiser, il finit en lui disant: Après tout je veux bien que vous sachiez que quand vous m'auriez crevé un œil, je vous regarderois de l'autre aussi affectueusement que le meilleur ami que j'aie au monde.

Il est vrai, ajouta-t-il, que dans les sens il y a quelque petit combat; mais enfin il en faut venir à

cette parole de David Couroucez-vous, ou comme dit une autre version: Trémoussez un peu, mais ne péchez pas. Oh! non; car, pourquoi ne supporteronsnous pas ceux que Dieu même supporte, ayant ce grand exemple devant les yeux, Jésus-Christ priant en croix pour ses ennemis ?

il ne

Encore ne nous ont-ils pas crucifiés, encore ne nous ont-ils pas persécutés jusqu'à la mort, encore n'avons-nous pas résisté jusqu'au sang. Mais qui ne l'aimeroit, ce cher ennemi, pour qui Jésus-Christ a prié, pour qui il est mort? Car, voyez-vous, prioit pas seulement pour ceux qui le crucifioient, mais encore pour ceux qui nous persécutent, et qui le persécutent en nous, ainsi qu'il témoigna à Saul, quand il lui cria : Pourquoi me persécutes-tu ? Cela s'entend, en mes membres.

A dire la vérité, nous ne sommes pas obligés d'aimer son vice, sa haine, ni l'inimitié qu'il nous porte, car elle déplaît à Dieu qui en est offensé; mais il nous faut séparer le péché du pécheur, le précieux du vil, si nous voulons être comme la bouche du Seigneur.

Če sont les menus feux qui s'éteignent par le vent, les gros s'allument davantage. Le meilleur poisson se nourrit dans les eaux salées de la mer, et les meilleures ames s'engraissent de la grâce parmi les contradictions, dont les eaux ne peuvent éteindre la charité; elles s'élèvent par-là vers Dieu, comme l'Arche de Noé vers le Ciel par les eaux du déluge.

CHAPITRE X X I X.

Du Concours aux Bénéfices.

IL avoit établi le concours pour les bénéfices de son

Diocèse, et il m'a dit plusieurs fois que sans cela la charge pastorale lui eût été insupportable.

Et afin de couper chemin aux brigues et aux faveurs, et se lier les mains, il avoit formé un conseil composé de quelques docteurs et des plus savans et vertueux ecclésiastiques de son Diocèse, entre lesquels il n'étoit que le président, et n'avoit que sa voix, pour le choix de celui des concurrens qui étoit jugé le plus capable. Saint règlement, qu'il seroit à souhaiter de voir pratiquer en tous les Diocèses.

[blocks in formation]

De la Mémoire et du Jugement.

IL se plaignoit un jour à moi de son peu de mémoire.

Ce défaut, lui dis-je, est bien récompensé par le jugement: celui-ci est le maître, l'autre n'est qu'un serviteur, qui fait assez de bruit, mais peu de fruit, si le jugement n'accompagne ses démarches.

Il est vrai, me répondit-il, que les grandes mémoires et les grands jugemens ne font pas d'ordinaire leur résidence en une même maison, et que ce sont comme deux bénéfices incompatibles, et dont on donne peu de dispenses, pour les tenir ensemble. Ces deux qualités subsistent en une même personne en un degré médiocre ; mais dans un éminent et sublime, cela arrive fort rarement.

Je lui nommai pour exemple le grand cardinal du Perron, ce prodige de mémoire et de savoir, lequel aussi abondoit en jugement. Il avoua cet exemple avec un éloge qui témoignoit la grande estime qu'il faisoit de ce grand personnage.

Et à dire le vrai, ces deux qualités sont de tempérament si divers, qu'il est mal-aisé que l'une ne chasse l'autre ; l'une vient de la vivacité, l'autre ne va qu'à pas de plomb. C'est pourquoi, lui disois-je, vous n'avez pas à vous plaindre de votre partage,

« AnteriorContinuar »