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ment de cœur, si le parler les incommodoit, et puis les laissoit un peu en repos. «O Jésus ! je me donne, je m'abandonne à vous! O Dieu ! je suis à vous, » sauvez-moi pour votre gloire. O Père ! je remets » mon ame, mon corps, tout mon être entre vos » mains. O Dieu ! votre volonté soit faite : oui, Sei»gneur, Jésus, votre volonté, non la mienne; » et entre chaque inspiration, laissoit une assez bonne pause pour la leur laisser goûter.

Il souffroit avec peine de voir que l'on tourmentât un pauvre agonisant par de longues exhortations. Ce n'est pas alors le temps de prêcher, ni même de lui faire faire de longues prières, Il le faut seulement maintenir dans la soumission à la divine volonté, qui doit être son élément éternel, et son occupation perpétuelle dans le Ciel.

Il rendoit quelquefois cet office de piété et de miséricorde aux criminels, de les accompagner au supplice et de les aider à bien mourir, et se servoit de la même conduite que nous venons de dire à l'égard des malades.

Après avoir ouï la décharge de leurs consciences, il les laissoit un peu respirer; puis par intervalle leur suggéroit des actes de foi, puis d'espérance, puis d'amour, et ensuite de repentir et de résignation à la volonté de Dieu, d'abandon à sa miséricorde, sans ajouter à leur affliction celle de l'importunité inséparable d'un discours continuel.

Ce bienheureux Prélat réussissoit si heureusement dans ce mélange, qu'il a quelquefois accompagné à la mort des misérables qui y alloient avec des joies et des contentemens, qu'ils n'avoient jamais expérimentés durant le cours de leur vie déréglée, se tenant plus heureux de mourir de la façon, que de vivre davantage en la manière qu'ils avoient fait. "C'est, leur disoit-il, en baisant amoureusement le pied de la justice de Dieu, que l'on arrive fort » assurément entre les bras de sa miséricorde; et il D

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faut tenir pour tout assuré, que ceux qui espèrent »en sa bonté ne sont point confondus. >>

Il leur inspiroit ces sentimens de confiance d'une manière si amoureuse, qu'il les réduisoit à la pratique de ces paroles de S. Augustin: Il m'est meilleur de mourir en aimant Dieu, que de vivre en l'offensant.

CHAPITRE I V.

Grande confiance en Dieu.

JE me plaignois à lui du fardeau de la charge épis→

copale, et lui protestois que si je l'eusse connu avant que de m'y engager, je ne l'eusse jamais fait. J'ajoutois que ce n'étoit pas sans raison que le Concile de Trente l'appelle un fardeau redoutable aux épaules des Anges mêmes.

« Vraiment, me répondit-il, c'est bien à vous » à vous plaindre, qui n'avez qu'un petit jardin à » cultiver, et jardin net des halliers de l'hérésie. » Comment gémiriez-vous donc, si vous étiez chargé » d'un Diocèse pesant comme le mien, qui est la » sentine de toutes les erreurs, et la retraite de tous » les apostats qui quittent le sein de la vraie Eglise ?»

Je ne pense pas, lui disois-je, qu'il y ait de Diocèse en toute la France mieux policé, ni plus exemplaire que le vôtre, ni mieux fourni de bons Pasteurs et de sages et vertueux ecclésiastiques.

Hélas! il est vrai, répondit-il, que Dieu qui est bon, nous envoie le vent selon la voile, et nous fait tirer quelque profit de notre tribulation; autrement si Dieu ne nous eût laissé ce peu de semence de piété, ne serions-nous pas devenus comme Sodome ? Nonobstant cela nous gémissons sur les rivages de ce grand fleuve qui sort de notre Babylone; et nous nous consolons sur la bienheureuse espérance que

le

Père des lumières éclairera un jour ces ténèbres, et qu'après ces obscurités il fera luire son soleil sur ces pauvres gens, qui sont assis dans la région de l'ombre de la mort.

Vous feriez, continua-t-il, de belles lamentations, si vous aviez un tel faix sur les bras. Mais, disois-je, pourquoi vous embarrasser de ceux qui sont dehors, et qui se sont soustraits volontairement à l'Eglise leur mère ? les ouailles qui vous restent, ont tant de docilité, qu'elles sont votre joie et votre couronne dans le Seigneur.

Je vous prends par votre bouche, mon serviteur, me dit-il; et pourquoi ne regardez-vous pas vos ouailles du même œil que vous regardez les miennes ? Pensez-vous que j'estime que les vôtres aient moins de docilité ? Îl faut avoir l'esprit juste, et ne faire pas tant d'état du bien que Dieu fait à autrui, que nous méprisions ou méconnoissions celui qu'il nous fait. C'est le propre d'un esprit bas de dire: Les moissons de notre voisin sont toujours plus amples que les nôtres, et ses troupeaux plus gras. Il faut bénir Dieu de l'un, et n'être pas ingrat de l'autre. Toujours, est-ce une pesante charge, lui disois-je, soit pour vous, soit pour moi.

» Il est vrai, répondit-il, si nous la portions tout » seuls; mais c'est un joug dont Notre-Seigneur porte » une part qui fait le tout, car il nous porte nous» mêmes avec notre charge.

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N'appelez-vous rien de rendre compte de tant d'ames, disois-je ? Et il repartoit : « Nous avons " affaire à un Maître qui est riche en miséricorde » sur ceux qui l'invoquent ; il remet dix mille ta» lens à la moindre prière. Il faut avoir de lui des » sentimens dignes de sa bonté, il le faut servir avec "crainte; mais toutefois en tremblant il ne faut pas laisser de se réjouir. L'humilité qui se décourage, » n'est pas une bonne humilité. »

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La Solitude, ses peines et ses dangers.

QUELQU'UN louoit la vie solitaire, et l'appeloit

sainte et innocente.

Il répondit qu'elle avoit ses défauts, aussi-bien que celle que l'on mène dans le monde; et que comme il y avoit de bonnes et de mauvaises sociétés, il y avoit aussi une bonne et une mauvaise solitude: bonne, quand Dieu nous attire, selon ce qu'il dit par un Prophète : Je l'attirerai en la solitude, et là je parlerai à son cœur: mauvaise, de laquelle il est écrit: Malheur à celui qui est seul. Si c'étoit assez de se retirer en solitude pour devenir saint et innocent, la sainteté et l'innocence seroient de facile conquête.

On lui répliqua qu'en la solitude on étoit moins tenté, et qu'il y avoit moins d'occasions de péché.

les

« Il y a des démons, répondit-il, qui vont par » lieux déserts, aussi-bien que parmi les villes. Si » la grâce ne nous assiste partout, partout nous tom» bons. Loth, qui fut si saint et si juste dans la plus "infàme de toutes les villes, commit dans la soli»tude des souillures qui font horreur. L'homme se "porte et se trouve partout, et la misère lui est atta» chée comme au corps.”

Plusieurs se trompent et se séduisent eux-mêmes, s'imaginant avoir les vertus dont ils ne voient pas en eux les vices opposés. Il y a encore un long espace entre n'avoir pas un vice, et avoir la vertu contraire. C'est bien un commencement de sagesse, de n'avoir point de folie; mais commencement si foible, qu'à peine mérite-t-il le nom de sagesse.

S'abstenir du mal est quelqu'autre chose que faire

du bien, quoique cette abstinence soit une espèce de bien; c'est comme le plan sur lequel reste a élever l'édifice. La vertu ne consiste pas tant en l'habitude qu'en l'action. L'habitude est une qualité oisive de sa nature, qui dispose, à la vérité, à bien faire, mais qui ne fait pas pourtant, si son inclination n'est réduite en acte.

« Comment apprendra l'obéissance, celui à qui » nul ne commande; la patience, celui à qui nul » ne contredit; la constance, celui qui n'a rien à » souffrir; l'humilité, celui qui n'a point de supé» rieur; l'amitié, celui qui, comme un sauvage, » fuit la conversation des autres hommes, qu'il est obligé d'aimer comme soi-même ? »

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Il y a quantité de vertus qui ne se peuvent pratiquer en la solitude, principalement la miséricorde sur laquelle nous serons interrogés et jugés au dernier jour, et de laquelle il est dit : Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

CHAPITRE V I.

Bien faire et laisser dire.

COMME j'allois prêcher le carême à Paris, il m'en

seigna à faire peu d'état de ce que le monde diroit, par le récit de l'histoire suivante.

Le Supérieur d'un collége avoit chargé, me dit-il, un bon vieillard de la conduite de l'horloge, afin de l'empêcher de s'ennuyer. Mais en ayant essayé, il trouva qu'il n'avoit jamais eu aucune obéissance plus fâcheuse ni plus difficile.

Quoi, lui dit le Supérieur, de hausser les contrepoids deux fois le jour !

Oh! non, dit-il, c'est que je suis tourmenté de tous les côtés.

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