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Comment cela, reprit le Supérieur !

C'est, dit-il, que quand l'horloge tarde un peu ceux qui travaillent au collége s'en plaignent, et pour les contenter je l'avance un peu; et ceux qui sont en ville me tombent aussitôt sur les bras, disant que l'horloge va trop vîte ; et si je la retarde pour les satisfaire, voilà les autres qui recommencent leurs plaintes, de sorte que ma tête est comme le timbre sur lequel frappe le marteau de l'horloge, et je suis tout étourdi de ces plaintes.

Le Supérieur, pour le consoler, lui dit: Je veux vous donner un très-bon avis, et qui mettra la paix partout. Quand l'horloge avancera et que l'on s'en plaindra, dites: Laissez-moi faire, je Îa retarderai bien. Mais les autres, dit le bon homme, viendront crier. Dites-leur, reprit le Supérieur : Enfans, laissezmoi faire, je la hâterai bien d'aller. Mais après tout, laissez aller l'horloge son grand chemin, et comme elle pourra; donnez seulement de bonnes et douces paroles, et tous seront contens, et vous en paix.

Voyez-vous, me dit notre Bienheureux, vous allez être en bute à divers jugemens. Si vous vous amusez à ce que l'on dira de vous, vous n'aurez jamais fait. Que faire à tout cela? Il faut donner à tous de bonnes et douces paroles; mais après tout, allez votre grand chemin, suivez votre naturel, ne l'altérez pas par tant d'avis que vous recevrez, la plupart contraires Regardez Dieu, et abandonnez-vous fort à l'esprit de grâce. Il nous doit importer fort peu d'être jugés des hommes, puisque nous n'avons point désir de leur plaire; c'est Dieu qui est notre juge, et qui voit le fond de nos cœurs, et ce qu'il y a de plus caché dans les ténèbres.

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Son jugement sur une Prédication.

UN jour je prêchai à la Visitation, et sachant que

notre Bienheureux y seroit présent avec un grand concours de monde; à dire le vrai, j'avois un peu pensé à moi, et m'étois préparé tout de bon.

Quand nous fumes retirés chez lui, et qu'il se vit seul avec moi, il me dit: Hé bien ! vous avez donné grande satisfaction à nos gens aujourd'hui, ils s'en alloient disant Mirabilia de votre beau et bien peigné Panégyrique. Je n'en ai rencontré qu'un seul qui n'étoit pas content.

Qu'aurois-je avancé, lui dis-je, qui eût pu choquer cet esprit-là, car je ne suis point piqué du désir de savoir son nom?

Mais moi, reprit-il, j'ai grande curiosité de vous le nommer.

Qui est-il donc, afin que je m'efforce de le con

tenter ?

Si je n'avois point de la confiance en vous, je ne vous le nommerois pas; mais comme je vous connois, je le ferai volontiers. Le voyez-vous-là ?

Je regardai autour de moi, je ne vis que lui. C'est donc vous, lui dis-je ?

Moi-même, reprit-il.

Certes, repartis-je, j'eusse mieux aimé votre approbation seule, que celle de toute l'assemblée. Dieu soit loué! je suis tombé en une main qui ne blesse que pour guérir. Encore, qu'avez-vous trouvé à dire? car je sais que, de votre grâce, vous ne me par

donnez rien.

Je vous aime trop, dit-il, pour vous flatter; et si vous eussiez aimé de cette sorte nos sœurs, vous ne

:

vous fussiez pas amusé à enfler leurs esprits, au lieu de les édifier; à leur louer leur condition, au lieu de leur enseigner quelque doctrine humiliante et plus salutaire il en est des viandes de l'esprit comme de celles du corps, les flatteuses sont venteuses, et les venteuses sont creuses, à la façon des légumes. Il faut, en prêchant, présenter, non une viande qui passe, et dont la mémoire périsse avec le son, mais une viande qui demeure à la vie éternelle.

Au reste, il se faut bien garder d'entrer jamais en chaire, sans avoir un dessein particulier d'édifier quelque coin des murailles de Jérusalem, enseignant la pratique de quelque vertu, ou la fuite de quelque vice; car tout le fruit de la prédication est d'arracher le péché, et de ramener la justice. O Seigneur, disoit David, j'enseignerai vos voies aux injustes, et les impies se convertiront à vous.

Quelle conversion, lui dis-je, eussé-je prêché à des ames délivrées des mains de leurs ennemis, le monde, le diable et la chair, et qui servent Dieu dans la sainteté ?

Il leur falloit apprendre, reprit-il, à prendre garde de ne tomber pas, puisqu'elles sont debout; à opérer leur salut selon le conseil du S. Esprit, avec crainte et tremblement, et à n'être point sans peur même du péché remis. Vous nous les avez peintes comme des Saintes; cela ne vous coûte guères de canoniser des personnes vivantes. Il ne faut pas comme cela mettre des oreilles sous les coudes, ni donner du lait à ceux qui ont besoin de chicotin ou d'absinthe.

Je l'ai fait, disois-je, pour les encourager et fortifier en leur sainte entreprise.

Il faut donner ce courage sans exposer la personne au péril de la présomption et de la vanité. Il est toujours plus assuré d'humilier l'auditeur, que de le faire marcher en choses hautes et admirables au-dessus de sa portée. Je me persuade qu'une autre fois vous prendrez garde à cela.

CHAPITRE

Sur le même sujet.

VIII.

LE lendemain il me fit prêcher en un monastère de Filles de sainte Claire. Il s'y trouva, et l'assemblée n'y fut pas moindre que le jour précédent. Je me donnai bien de garde de donner dans l'écueil qu'il m'avoit montré: je fis mon discours avec une grande simplicité de langage et de pensées, ne visant purement qu'à l'édification. Je procédai avec grand ordre, et pressai fort mon sujet.

Au retour, notre Bienheureux me vint visiter à ma chambre, qui étoit la sienne; car, quand je le visitois, il me mettoit toujours en sa place, et m'embrassant tendrement: Vraiment, dit-il, je vous aimois bien hier, mais je vous aime bien davantage aujourd'hui. Vous êtes, à dire la vérité, selon mon coeur; et, si je ne me trompe, vous êtes encore selon le cœur de Dieu, et je pense qu'il a eu votre sacrifice pour agréable. Je ne vous pensois pas si souple et si condescendant. Certes, Phomme obéissant racontera des victoires : vous vous êtes surmonté vous-même aujourd'hui. Savez-vous que la plupart de vos auditeurs disoient: Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas ; et qu'ils n'étoient pas si contens qu'hier; et que celui qui n'étoit pas satisfait hier, l'est extraordinairement aujourd'hui.

Je vous apporte ici un Jubilé général pour toutes vos fautes passées. Vous avez fait aujourd'hui tout à fait selon mon gré; et si vous continuez, vous rendrez beaucoup de service au maître de la vigne.

Il ne faut pas que la prédication s'appuie sur des paroles et des pensées de l'humaine sagesse, mais en démonstration d'esprit et de vertu. Suivez cette

manière avec fidélité, et Dieu rendra vos travaux honorables et accomplis; vous serez prudent en la parole mystique, et posséderez la science des Saints, la science qui fait les Saints. Et que voulons-nous savoir, sinon Jésus et Jésus crucifié ?

CHAPITRE IX.

Combien il étoit ennemi des louanges. SAINT Grégoire a très-bien dit, que quand on loue un homme sage en sa présence, on afflige ses oreilles, et on blesse son cœur. Notre Bienheureux étoit ainsi. Celui qui embrassoit si amoureusement ceux qui lui disoient des injures, auroit volontiers dit des injures à ceux qui lui donnoient la moindre louange.

Un jour prêchant devant lui à Annecy, me souvenant de ces paroles que lui dit dans une occasion M. l'évêque de Saluces: Tu sal es, ego verò neque sal neque lux; il m'échappa de faire une petite allusion sur son nom, et de dire qu'il étoit le sel ( sal es) dont toute la masse de ce peuple étoit assaisonnée : il fut tellement mal édifié de cet éloge, qu'au retour il m'entreprit avec un ton et un accent qui eût été de rigueur, s'il eût été capable de parler ainsi.

Vous allez si droit, me dit-il, vous couriez si bien, qu'est-ce qui vous a fait faire cette incartade ? Savez-vous bien que vous avez tout gâté, et que ce seul mot peut faire perdre le crédit à tout votre sermon? N'est-ce pas mélanger le pur or de la parole de Dieu, que d'y introduire la parole des hommes ? et n'est-ce pas la parole des hommes, que la louange des vivans ? N'est-il pas écrit: Ne louez aucun homme

avant sa mort.

Je suis un beau sel, un sel affadi et gâté, qui n'est

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