Imágenes de páginas
PDF
EPUB

confit dans la mansuétude, il me répliqua, selon l'esprit du grand Apôtre : Quand elle est faite en esprit de douceur. La douceur, à dire le vrai, est la grande amie de la charité, et sa compagne insépa rable. C'est ce que S. Paul veut dire, quand il l'appelle bénigne, et qui souffre et endure tout.

Dieu, qui est charité, conduit les doux en ses jugemens, et enseigne ses voies aux débonnaires. Son esprit n'est ni dans le tourbillon, ni dans l'orage, ni dans la tempête, ni dans le bruit de plusieurs eaux, mais dans un petit vent gracieux, dans un zéphir agréable. La douceur est-elle survenue, dit le Prophète, nous voilà corrigés.

[ocr errors]

Il conseilloit d'imiter le bon Samaritain, qui versa l'huile et le vin dans les plaies du pauvre blessé. Son mot ordinaire étoit qu'aux bonnes salades, il falloit plus d'huile que de vinaigre, ni de sel.

Voici un autre de ses mots fort mémorable sur ce sujet, et qu'il m'a dit plusieurs fois : Soyez toujours de plus doux que vous pourrez, et vous souvenez que l'on attire plus de mouches avec une cuillerée de miel, qu'avec cent barils de vinaigre; s'il faut pécher en quelque extrémité, que ce soit en celle de la douceur. Jamais trop de sucre ne gâta de sauce.

L'esprit humain est ainsi fait; il se cabre contre la rigueur; par la suavité il se rend pliable à tout. La parole douce amortit la colère comme l'eau éteint le feu. Par la bénignité, il n'y a terre si ingrate qui ne porte du fruit. Dire des vérités avec douceur, c'est jeter des charbons ardens au visage, ou plutôt des roses. Le moyen de se fàcher contre celui qui ne combat contre nous qu'avec des perles et des diamans !

Il n'y a rien de si amer que la noix verte: confite, il n'y a rien de plus doux, ni de plus stomacal. La répréhension est âpre de sa nature: confite dans la douceur et cuite au feu de la charité, elle est toute cordiale, toute aimable, et toute délicieuse,

Mais, lui répliquai-je, la vérité est toujours vérité de quelque façon qu'on la dise, et de quelque façon qu'on la prenne : je m'armois du trait de saint Paul à Timothée: Prêchez la parole, pressez à temps, à contre-temps, reprenez, conjurez en toute patience et doctrine.

Il me repartit, le nerf de cette leçon Apostolique consiste en ces deux mots, en toute patience et doctrine. La doctrine signifie la vérité, et cette vérité doit être dite avec patience : c'est-à-dire, qu'il en faut supporter le rebut, et ne s'imaginer pas qu'elle doive être reçue toujours avec applaudissement; parce que si le Fils de Dieu est en butte à la contradiction, sa doctrine, qui est celle de la vérité, doit être marquée au même sceau.

Tout homme qui veut enseigner aux autres les voies de la justice, doit se résoudre à souffrir leurs inégalités et injustices, et à recevoir leur ingratitude pour son salaire.

AU

CHAPITRE I V.

De la Charité et Chasteté.

U commencement de mon Episcopat je me plaignois à notre Bienheureux de deux vertus qui se combattoient dans mon cœur.

Il me demanda, avec cette grâce qui lui étoit si naturelle, quelles elles étoient? Je lui dis que c'étoit la charité et la chasteté. Celle-là comme forte et robuste ne redoute rien, et porte avec courage à de grandes entreprises pour la louange de la gloire de Dieu. C'est elle qui peut tout avec Dieu, de qui elle est inséparable, et qui brave la mort, la faim, la soif, la nudité, la persécution, le glaive, le passé, le présent l'avenir, les Anges, les hommes, les

prisons, les supplices, en un mot, toutes les créatures, parce qu'elle est plus forte que la mort, et plus âpre au combat que l'enfer.

C'est elle qui est patiente, douce, qui croit, espère, endure tout, sans chercher son propre intérêt, et qui ne se soucie pas de déplaire aux hommes, pourvu qu'elle plaise à son bien-aimé, et lui offre des hosties vivantes, saintes et agréables à ses yeux divins; entreprenante, forte, courageuse, déterminée, hardie.

L'autre, au contraire, est une vertu tendre et délicate, ombrageuse, timide, tremblante, qui a peur de tout, qui transit au moindre bruit, qui appréhende toutes les rencontres, et qui s'effraie de

tout.

Le moindre regard l'épouvante; fut-ce un Job même, qui avoit fait un pacte si étroit avec ses yeux : une légère parole l'inquiète : les bonnes odeurs lui sont suspectes; les meilleures viandes lui semblent des piéges; les ris lui sont des dissolutions; les compagnies des embûches; la lecture des Livres divertissans, un écueil: enfin, elle marche toujours comme la renommée, toute couverte d'yeux et d'oreilles, et comme celui qui porte beaucoup d'or et de diamans au travers d'une forêt renommée pour les brigandages, qui se cache au moindre bruit, pensant toujours avoir les voleurs à ses trousses.

La charité presse de secourir le prochain sain et malade, pauvre et riche, jeune et vieux, sans avoir égard ni à l'âge, ni au sexe, ni à la condition; ne regardant que Dieu en toutes choses, et toutes choses en Dieu. La chasteté au contraire sait qu'elle porte un trésor inestimable dans un vase de terre, et que ce trésor peut périr par différentes tentations. Que faire à cette perplexité, et comment accorder ces deux vertus ?

Voici la réponse de notre oracle, réponse toute céleste et toute angélique: Il faut, me dit-il, distin

guer soigneusement les personnes établies en dignité, et qui ont charge des autres, de celles qui sont dans une vie privée, et qui n'ont soin que d'ellesmêmes. Celles-là doivent donner leur chasteté en garde à leur charité, et si leur charité est véritable, elle leur en rendra bon compte; elle servira à celle-ci de muraille et d'avant-mur: mais les personnes particulières feront mieux de donner leur charité en garde à leur chasteté, et de marcher fort réservées et resserrées.

La raison de cela est, que les Supérieurs sont obligés par leur charge de s'exposer aux dangers inséparables des occasions; à quoi ils sont assistés par la grâce, d'autant qu'ils ne tentent point Dieu par témérité; ce que possible les autres feroient s'ils s'exposoient aux hasards sans légitime vocation; étant écrit, que celui qui aime le péril, beaucoup plus que celui qui le cherche, y périra.

[ocr errors]

ON

[blocks in formation]

N avoit été contraint de mettre en prison un Ecclésiastique de son Diocèse, qui étoit vicieux et scandaleux. Après qu'il y eut séjourné quelques jours, il témoigna du repentir; et avec beaucoup de larmes et de protestations de se corriger, il demanda avec instance de se jeter aux pieds de son saint Prélat, qui lui avoit déjà pardonné plusieurs fautes.

Les Officiers qui connoissoient la parfaite douceur de l'homme de Dieu, ne pouvoient consentir qu'on le lui menât, sachant que le voir et exciter sa compassion seroit la même chose, quoique ses scandales méritassent une punition exemplaire.

Il arriva néanmoins qu'il obtint à force de prières,

la vue tant désirée de son Pasteur, et que la punition exemplaire qu'il méritoit, fut convertie en l'acte héroïque, et beaucoup plus exemplaire de notre Bienheureux. Dieu ayant des ressorts dans sa Providence qui sont cachés à toute prudence humaine.

Etant en la présence de son Evêque, il se jette à ses pieds et lui crie miséricorde, protestant à Dieu et à lui qu'il changeroit de vie, et qu'il feroit abonder le bon exemple où le scandale avoit abondé. Le saint Evêque se jette aussi à genoux devant ce coupable; et comme l'autre tout confus lui demandoit qu'il eût pitié de lui: Et moi, lui dit le Saint, fondant en larmes, je vous demande par les entrailles de la miséricorde de Jésus-Christ, en laquelle nous espérons que vous ayiez pitié de moi, de tous tant que nous sommes d'Ecclésiastiques en ce Diocèse, de l'Eglise, et de toute la Religion que vous ruinez d'honneur par votre vie scandaleuse, qui donne lieu à nos adversaires de blasphémer notre sainte Foi.

Je vous demande que vous ayiez pitié de vousmême, et de votre ame, que vous perdez pour une éternité. Je vous exhorte de la part de Jésus-Christ de vous réconcilier à Dieu par une vraie pénitence.

Je vous en conjure par tout ce qu'il y a de saint et de sacré au Ciel et en la terre, par le Sang de Jésus-Christ que vous foulez aux pieds, par la bonté de ce Sauveur que vous crucifiez de nouveau, par l'esprit de grâce à qui vous faites outrage.

Ces remontrances eurent tant d'efficace, (l'esprit de Dieu parlant par la bouche de ce saint Pasteur,) que depuis, ce coupable ne retomba plus dans ses désordres, mais devint un exemple de vertu.

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »