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sur son front soutenoit cette douceur, imprima d'abord aux jeunes gens avec qui il étoit forcé d'avoir quelque commerce, un respect qui les contint. Mais ces libertins, confus des reproches secrets que leur faisoit la conduite du saint jeune homme, et piqués de dépit de ce qu'ils ne pouvoient l'associer à leurs désordres, entreprirent par honneur, de le vaincre ; et toutes les insinuations qu'ils avoient employées pour le séduire, n'ayant pu réussir, ils eurent recours à l'artifice.

Ils l'engagèrent, sous prétexte de satisfaire à un devoir de bienséance, de visiter avec eux une courtisane que le simple jeune homme étoit bien éloigné de connoître pour ce qu'elle étoit. Après quelque temps de conversation, ils trouvèrent chacun une raison pour se retirer imperceptiblement l'un après l'autre, et ils laissèrent François seul, livré en proie aux sollicitations de la prostituée. La douceur de François n'étant pas capable d'arrêter les poursuites de cette impudique, sa chasteté alarmée eut recours à la violence. Ce fut la seule fois de sa vie. Il prit en main un tison ardent, et repoussant avec force cette ennemie de sa pudeur, il la rendit aussi confuse de l'issue peu espérée de son entreprise, qu'elle auroît dû l'être du seul dessein qu'elle avoit eu de la former.

Toutes les précautions qu'il prit depuis ce combat, ne purent le garantir d'y être une seconde fois engagé; mais la victoire qu'il remporta une seconde fois fut plus glorieuse, et son triomphe fut complet. Non-seulement il échappa aux piéges qu'on lui avoit tendus; mais en représentant à celle qu'on avoit apostée pour le corrompre, que Dieu la regardoit, il l'arrêta; et lui ayant fait sentir toute l'indignité de son action, il lui en fit concevoir du regret, et la convertit.

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Après avoir vaincu les ennemis du dehors, it crut qu'il étoit nécessaire de les désarmer; et comme

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ils avoient eu l'adresse d'employer la révolte de la chair pour le faire succomber, il prit le parti de la réduire à une telle foiblesse, qu'elle fût incapable du moindre soulèvement. Pour y réussir, il pratiqua tout ce qu'une pénitence ingénieuse peut inventer d'innocens artifices pour affliger le corps, et il porta si loin l'austérité, qu'il tomba dans une maladie qu'on crut ne devoir finir qu'avec sa vie mais Dieu conserva une vie qui devoit être employée pour le soutien de son Eglise. Le malade fut guéri; et dès que sa santé fut affermie, il prit le bonnet de Docteur en droit, avec l'applaudissement de toute l'Université de Padoue. Il quitta ensuite cette ville pour aller à Rome visiter le tombeau des Saints Apôtres de-là il alla à Notre Dame de Lorette; il y renouvella son vœu de continence; et après avoir satisfait aux devoirs de piété qui l'avoient porté à faire ces voyages, il revint dans le sein de sa famille.

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Son père qui, dans le cœur d'un jeune homme si accompli, voyoit germer la splendeur et l'élévation de sa maison, avoit de grands desseins pour son 'établissement dans le siècle; mais les vues de François, qui dès sa première jeunesse avoit pris le Seigneur pour son héritage, étoient bien différentes de celles de son père; il ne les fit connoître qu'après qu'il eut été reçu avocat au Sénat de Chambéry, et que ses parens lui eurent proposé une alliance avec un parti digne de lui et convenable à sa naissance.

Il déclara qu'il avoit résolu de s'engager dans le ministère de l'Eglise. Son père fut frappé et presque accablé de cette déclaration; mais comme la Religion lui fit aisément connoître que les grands talens de François ne venoient que de Dieu, il comprit qu'il ne devoit pas empêcher qu'ils ne fussent employés pour la gloire de celui de qui son fils les tenoit; et il consentit à l'exécution d'un dessein qu'il vit bien que le Seigneur seul avoit inspiré,

Il y avoit plus de soixante ans que les Calvinistes s'étant rendus maîtres de Genève, avoient chassé de la ville Pierre de la Baume qui en étoit Evêque. Ce Prélat s'étoit retiré à Annecy, et il y avoit établi son Siége. Pierre de Granier étoit alors sur ce Siége, et la dignité de prévôt de son Eglise Cathédrale ayant vaqué, François fut nommé pour la remplir. Ses Bulles sont du 7 Mars, l'an 8 du Pontificat de Clément VIII. Le nouveau prévôt n'étoit pas encore dans les Ordres sacrés; cependant il ne laissa pas de quitter aussitôt sa famille pour aller au lieu de sa résidence. L'Evêque de Genève le reçut avec de grandes marques de tendresse ; et il fut ravi de le voir soutenir par sa piété, sa sagesse et son savoir, l'estime qu'il avoit conçue pour lui, quand il l'avoit connu à Rome.

François reçut les saints Ordres; et dès qu'il eut été promu au Diaconat, l'Evêque crut ne devoir pas différer d'employer, pour l'avantage des peuples, les grands talens qu'il lui connoissoit pour la parole il le chargea du ministère de la prédi

cation.

Ce fut en ce temps-là que le Duc de Savoie lui offrit pour la seconde fois une place de Sénateur à Chambéry; mais comme le pieux Ministre de Jesus-Christ avoit appris de S. Paul, qu'un homme engagé au service de Dieu ne doit point s'embarrasser dans le tumulte des affaires du siècle, il se crut obligé de ne pas accepter cette place, et il ne songea qu'à s'acquitter de la mission qu'il avoit reçue de son Evêque. Il le fit avec un succès étonnant; et le grand nombre de conversions qu'il opéra dans le cours de deux années, l'ayant fait juger capable de réussir dans les entreprises les plus importantes en ce genre, dès qu'il fut élevé à la prêtrise, l'Evêque le mit à la tête d'une Mission qu'il envoya dans le Chablais, pour réunir à l'Eglise les peuples de cette province.

Comme l'hérésie que depuis soixante-dix ans Luther et ensuite Calvin y avoient répandue, avoit à peine laissé parmi ces peuples la connoissance de la Foi Catholique, le succès de la Mission paroissoit très-incertain; mais François, emporté par le zèle Apostolique qui le dévoroit, et soutenu de l'autorité du Duc de Savoie, s'étant rendu d'abord à Thonon, Capitale de la province, commença, malgré l'opposition qu'il trouva de la part des habitans de cette ville, à travailler à l'instruction de ces errans. Il n'avoit alors pour compagnon de ses travaux que Louis de Sales, Chanoine de Genève, son parent. Les menaces, les injures, la calomnie, les insultes, les dangers évidens où sa vie fut plusieurs fois exposée, ne l'empêchèrent ni de prêcher assiduement, ni de tenir fréquemment des Conférences particulières. Lorsque la fureur de la persécution le forçoit de se dérober à la violence des hérétiques, il se retiroit dans l'obscurité des forêts, et souvent il fut forcé, pour échapper à la poursuite des ennemis de la Religion, de se cacher dans le fond des fours et des glacières.

A la première espérance de calme, il reparoissoit aussitôt et l'onction de ses discours jointe à la force de la vérité qu'il annonçoit, lni firent faire enfin de si heureux progrès, que le Pape l'en congratula par un Bref, et que le Duc le fit venir auprès de lui pour le consulter sur les moyens d'extirper entièrement l'hérésie dans la Province où il avoit déjà fait tant de conversions.

Ce Prince vit par lui-même ce que la réputation du prévôt d'Annecy ne lui avoit fait connoître qu'imparfaitement. Il admira la profonde sagesse de François dans les mesures qu'il lui proposa de prendre pour l'exécution de son dessein; et lui ayant promis de l'appuyer de toute sa puissance, le zélé Missionnaire partit pour mettre la dernière main à l'ouvrage qu'il avoit déjà beaucoup avancé. Il réta

ABRÉGÉ DE LA VIE xvj blit d'abord les Curés dans tous les lieux d'où ils avoit été chassés ; et conformément au projet formé de concert avec le Prince, il leur assigna des revenus pour subsister. Ensuite surmontant tout ce que la fureur des plus séditieux faisoit naître continuellement d'obstacles, il fit réparer à Thonon l'Eglise de S. Hippolyte; et la nuit de Noël il y célébra pour la première fois le saint Sacrifice : il la regarda depuis comme l'Eglise paroissiale dont il étoit le propre Curé.

Avant cela, il étoit obligé d'aller tous les jours au château des Allinges pour célébrer la Messe; et comme il falloit passer la Durance pour y arriver, il ne faisoit aucune difficulté, lors même que les glaçons flottoient sur cette rivière, de se mettre sur une pièce de bois, et à l'aide de ses bras et de ses jambes, dont il se servoit comme d'avirons, il la passoit et repassoit le même jour, avec autant de tranquillité que s'il eût eu la commodité d'un pont ou celle d'un batteau.

Quelque temps après il reçut un Bref du Pape, par lequel le S. Père le chargeoit de travailler à la conversion de Théodore de Bèze, disciple de Calvin, et le plus habile Ministre de la prétendue réforme. Ce Bref étoit le second que François recevoit à ce sujet; et si d'abord il n'avoit pas satisfait aux intentions du Pape, c'est que les conjonctures ne l'avoient pas permis. Pour exécuter ce qui lui étoit ordonné, il se rendit à Genève où étoit le Ministre, et lui proposa des conférences. Celui-ci voulut bien y entrer : François le convainquit, il le toucha même jusqu'à lui faire verser des larmes, mais il n'eut pas la consolation de le convertir. Le Seigneur livre, quand il lui plaît, ceux qui retiennent la vérité dans l'injustice, aux passions de leur cœur corrompu.

Dieu dédommagea son Serviteur de la peine que lui faisoit souffrir l'endurcissement du Ministre

par

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