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Quand Nouronihar le vit prêt à perdre patience, elle s'approcha de lui avec un respect affecté, et lui dit: Seigneur, il n'est pas décent que le chef des eunuques du Calife, notre Souverain, se tienne ainsi debout; daignez reposer votre gentille personne sur ce sofa, qui se rompra de dépit s'il n'a pas l'honneur de vous recevoir. Charmé de ces accents flatteurs, Bababalouk répondit galamment : Délices de mes prunelles, j'accepte la proposition qui découle de vos lèvres sucrées; et, à dire vrai, mes sens sont affaiblis par l'admiration que m'a causée la splendeur rayonnante de vos charmes. - Reposez-vous donc, reprit la belle, en le plaçant sur le prétendu sofa. Tout à coup, la machine partit comme un éclair. Toutes les femmes, voyant alors de quoi il s'agissait, sortirent nues du bain et se mirent follement à donner le branle à l'escarpolette. Dans peu elle parcourut tout l'espace d'un dôme fort élevé, et faisait perdre la respiration à l'infortuné Bababalouk. Quelque

fois il rasait l'eau, et quelquefois il allait donner du nez contre les vitres; en vain, il remplissait l'air de ses cris avec une voix qui ressemblait au son d'un pot cassé; les éclats de rire ne permettaient pas de les entendre.

Nouronihar, ivre de jeunesse et de gaieté, était bien accoutumée aux eunuques des harems ordinaires; mais elle n'en avait jamais vu d'aussi dégoûtant ni d'aussi royal: aussi se divertissait-elle plus que toutes les autres. Enfin elle se mit à parodier des vers Persans, et chanta : « Douce et blanche <«< colombe qui vole dans les airs, donne << quelque œillade à ta fidèle compagne. << Gazouillant rossignol, je suis ta rose; <«< chante - moi donc quelques couplets agréables ».

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Les sultanes et les esclaves, animées par ces plaisanteries, firent tant jouer l'escarpolette que la corde se cassa, et que le pauvre Bababalouk tomba comme une tortue au milieu du bain. Il se fit un cri général; douze petites portes qu'on n'apercevait

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pas s'ouvrirent, et l'on s'échappa bien vite après lui avoir jeté tous les linges sur la tête, et avoir éteint les lumières.

Le déplorable animal, dans l'eau jusqu'au col et dans l'obscurité, ne pouvait se débarrasser du fatras qu'on lui avait jeté, et entendait, à sa grande douleur, des éclats de rire. de tous côtés. C'était en vain qu'il se débattait pour sortir du bain; le bord, tout imbibé de l'huile qui avait coulé des lampes cassées, le faisait glisser et retomber avec un bruit sourd qui résonnait dans le dôme. A chaque chute, les maudits éclats de rire redoublaient. Croyant ce lieu habité par des démons plutôt que par des femmes, il prit le parti de ne plus tâtonner et de rester tristement dans le bain. Son humeur s'exhala en soliloques remplis d'imprécations, dont ses malicieuses voisines, nonchalamment couchées ensemble, ne perdaient pas un mot. Le matin le surprit dans ce bel état; on le tira enfin de dessous le monceau de linge, à demi étouffé et trempé jusqu'aux os. Le Calife l'avait

fait chercher partout, et il se présenta devant son maître en boitant et en claquant des dents. Vathek s'écria en le voyant dans cet état Qu'as-tu donc ? Qui est-ce qui t'a mis à la marinade? Et vous-même, qui

vous a fait entrer dans ce mauvais gîte? demanda Bababalouk à son tour. Est-ce qu'un Monarque, tel que vous, doit venir se fourrer avec son harem, chez un barbon d'Émir qui ne sait pas vivre? Les gracieuses demoiselles qu'il tient ici! Imaginez-vous qu'elles m'ont trempé comme une croûte de pain, et m'ont fait danser toute la nuit sur leur maudite escarpolette comme un saltimbanque. Voilà un bel exemple pour vos sultanes, à qui j'avais inspiré tant de bien

séance!

Vathek, ne comprenant rien à ce discours, se fit expliquer toute l'histoire. Mais, au lieu de plaindre le pauvre hère, il se mit de toute sa force à rire de la figure qu'il devait faire sur l'escarpolette. Bababalouk en fut outré, et peu s'en fallut qu'il ne perdit tout respect. Riez, riez, Seigneur, disait

il; je voudrais que cette Nouronihar vous jouât aussi quelque tour; elle est assez méchante pour ne pas vous épargner vousmême. Ces mots ne firent pas d'abord une grande impression sur le Calife; mais il s'en ressouvint dans la suite.

Au milieu de cette conversation arriva Fakreddin pour inviter Vathek à des prières solennelles et aux ablutions qui se faisaient dans une vaste prairie, arrosée par une infinité de ruisseaux. Le Calife trouva l'eau fraîche, mais les prières ennuyeuses à mort. Il se divertissait pourtant de la multitude de calenders, de santons et de derviches, qui allaient et venaient dans la prairie. Les bramanes, les faquirs et autres cagots venus des grandes Indes, et qui en voyageant s'étaient arrêtés chez l'Émir, l'amusaient surtout beaucoup. Ils avaient tous quelque momerie favorite: les uns traînaient une grande chaîne ; les autres, un orang-outang; d'autres étaient armés de disciplines; tous réussissaient à merveille dans leurs différents exercices. On en voyait

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