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devinas bien; quant à mes présents, je ne reprends jamais ce que j'ai donné. Le vieillard, assez sage pour penser qu'il était quitte à bon marché de la sottise qu'il avait faite en disant à son maître une vérité désagréable, se retira aussitôt et ne reparut plus.

Vathek ne tarda point à se repentir de son impétuosité. Comme il ne cessait d'examiner ces caractères, il s'aperçut bien qu'ils changeaient tous les jours; et personne ne se présentait pour les expliquer. Cette inquiète occupation enflamma son sang, lui causa des vertiges, des éblouissements, et une si grande faiblesse qu'à peine il pouvait se soutenir; dans cet état, il ne laissait pas que de se faire porter à la tour, espérant de lire quelque chose d'agréable dans les astres; mais il se trompa dans cet espoir. Ses yeux, offusqués par les vapeurs de sa tête, le servaient mal; il ne voyait plus qu'un nuage noir et épais: augure qui lui semblait des plus funestes.

Harassé de tant de soucis, le Calife per

dit entièrement courage; il prit la fièvre, l'appétit lui manqua, et, au lieu d'être toujours le plus grand mangeur de la terre, il en devint le plus déterminé buveur. Une soif surnaturelle le consuma; et sa bouche, ouverte comme un entonnoir, recevait jour et nuit des torrents de liquide. Alors ce malheureux prince, ne pouvant goûter aucun plaisir, fit fermer les Palais des Cinq Sens, cessa de paraître en public, d'y étaler sa magnificence, de rendre justice à ses peuples, et se retira dans l'intérieur du sérail. Il avait toujours été bon mari; ses femmes se désolèrent de son état, ne se lassèrent point de faire des vœux pour sa santé, et de lui donner à boire.

Cependant la princesse Carathis était dans la plus vive douleur. Elle se renfermait tous les jours avec le visir Morakanabad, pour chercher les moyens de guérir, ou du moins de soulager le malade. Persuadés qu'il y avait de l'enchantement, ils feuilletaient ensemble tous les livres de magie, et faisaient chercher partout l'hor

rible étranger qu'ils accusaient d'être l'auteur du charme.

A quelques milles de Samarah, était une haute montagne couverte de thym et de serpolet; une plaine délicieuse en couronnait le sommet; on l'aurait prise pour le paradis destiné aux fidèles musulmans. Cent bosquets d'arbustes odoriférants, et autant de bocages où l'oranger, le cèdre et le citronnier offraient, en s'entrelaçant avec le palmier, la vigne et le grenadier, de quoi satisfaire également le goût et l'odorat. La terre y était jonchée de violettes; des touffes de giroflées embaumaient l'air de leurs doux parfums. Quatre sources claires, et si abondantes qu'elles auraient pu désaltérer dix armées, ne semblaient couler en ce lieu que pour mieux imiter le jardin d'Eden arrosé des fleuves sacrés. Sur leurs bords verdoyants, le rossignol chantait la naissance de la rose, sa bien-aimée, et se plaignait du peu de durée de ses charmes; la tourterelle déplorait la perte de plaisirs plus réels, tandis que l'alouette saluait par

ses chants la lumière qui ranime la nature : là, plus qu'en aucun lieu du monde, le gazouillement des oiseaux exprimait leurs diverses passions; les fruits délicieux qu'ils becquetaient à plaisir semblaient leur donner une double énergie.

On portait quelquefois Vathek sur cette montagne, afin qu'il pût y respirer un air pur, et boire à son gré des quatre sources. Sa mère, ses femmes et quelques eunuques étaient les seules personnes qui l'accompagnaient. Chacun s'empressait à remplir de grandes coupes de cristal de roche, et les lui présentait à l'envi; mais leur zèle ne répondait pas à son avidité; souvent il se couchait par terre, pour laper l'eau.

Un jour que le déplorable prince était resté longtemps dans une posture aussi vile, une voix rauque, mais forte, se fit entendre, et l'apostropha ainsi : Pourquoi fais-tu l'exercice d'un chien? ô Calife si fier de ta dignité et de ta puissance! A ces mots, Vathek lève la tête, et voit l'étranger, cause de tant de peines.

A cette vue il se trouble, la colère enflamme son cœur; il s'écrie: Et toi, maudit Giaour!

que viens-tu faire ici? N'es-tu pas content d'avoir rendu un prince agile et dispos, semblable à une outre? Ne vois-tu pas que je meure autant pour avoir trop bu que du besoin de boire ?

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Bois donc encore ce trait, lui dit l'étranger, en lui présentant un flacon rempli d'une liqueur rougeâtre; et sache pour tarir la soif de ton âme, après celle du corps, que je suis Indien, mais d'une région qui n'est connue de personne.

Une région qui n'est connue de personne!... Ces mots furent un trait de lumière pour le Calife. C'était l'accomplissement d'une partie de ses désirs; et se flattant qu'ils allaient être tous satisfaits, il prit la liqueur magique et la but sans hésiter. A l'instant il se trouva rétabli, sa soif fut étanchée, et son corps devint plus agile que jamais. Sa joie fut alors extrême; il saute au col de l'effroyable Indien, et baise sa vilaine bouche béante et baveuse

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