Imágenes de páginas
PDF
EPUB

taire dans la plaine, la lune et les étoiles s'éclipsèrent subitement; d'épaisses ténèbres succédèrent à la lumière, et il entendit sortir de la terre qui tremblait, la voix du Giaour, criant avec un bruit plus fort que le tonnerre Veux-tu te donner à moi, adorer les influences terrestres, et renoncer à Mahomet? A ces conditions, je t'ouvrirai le palais du feu souterrain. Là, sous des voûtes immenses, tu verras les trésors que les étoiles t'ont promis; c'est de là que j'ai tiré mes sabres; c'est là où Suleïman, fils de Daoud, repose environné des talismans qui subjuguent le monde.

Le Calife, étonné, répondit en frémissant, mais pourtant du ton d'un homme qui se faisait aux aventures surnaturelles : Où estu? parais à mes yeux! dissipe ces ténèbres dont je suis las ! Après avoir brûlé tant de flambeaux pour te découvrir, c'est bien le moins que tu montres ton effroyable visage. Abjure donc Mahomet, reprit l'Indien; donne-moi des preuves de ta sincérité, ou jamais tu ne me verras.

Le malheureux Calife promit tout. Aussitôt le ciel s'éclaircit, et, à la lueur des planètes qui semblaient enflammées, Vathek vit la terre entr'ouverte. Au fond paraissait un portail d'ébène. L'Indien, étendu devant, tenait en sa main une clef d'or, et la faisait résonner contre la serrure.

[ocr errors]

Ah! s'écria Vathek, comment puis-je descendre jusqu'à toi sans me rompre le col? Viens me prendre, et ouvre ta porte au plus vite. Tout beau! répondit l'Indien : sache que j'ai grand soif, et que je ne puis ouvrir qu'elle ne soit étanchée. Il me faut le sang de cinquante enfants prendsles parmi ceux de tes visirs et des grands de ta Cour... Ni ma soif ni ta curiosité ne seront satisfaites. Retourne donc à Samarah; apporte-moi ce que je désire; jette-le toi-même dans ce gouffre; alors tu verras.

Après ces paroles, l'Indien tourna le dos; et le Calife, inspiré par les démons, se résolut au sacrifice affreux. Il fit donc semblant d'avoir repris sa tranquillité, et s'achemina vers Samarah aux acclama

tions d'un peuple qui l'aimait encore. Il dissimula si bien le trouble involontaire de son âme, que Carathis et Morakanabad y furent trompés comme les autres. On ne parla plus que de fêtes et de réjouissances. On mit même sur le tapis l'histoire de la boule, dont personne n'avait encore osé ouvrir la bouche: partout on en riait; cependant tout le monde n'avait pas sujet d'en rire. Plusieurs étaient encore entre les mains des chirurgiens, à la suite des blessures reçues dans cette mémorable aventure.

Vathek était très aise qu'on le prît sur ce ton, parce qu'il voyait que cela le conduirait à ses abominables fins. Il avait un air affable avec tout le monde, surtout avec ses visirs et les grands de sa Cour. Le lendemain, il les invita à un repas somptueux. Peu à peu il fit tomber la conversation sur leurs enfants, et demanda d'un air de bienveillance qui d'entre eux avait les plus jolis garçons? Aussitôt, chaque père s'empresse à mettre les siens au-dessus de ceux des

autres. La dispute s'échauffa; on en serait venu aux mains sans la présence du Calife qui feignit de vouloir en juger par lui-même. Bientôt on vit arriver une bande de ces pauvres enfants. La tendresse maternelle les avait ornés de tout ce qui pouvait rehausser leur beauté. Mais, tandis que cette brillante jeunesse attirait tous les yeux et tous les cœurs, Vathek l'examina avec une perfide avidité, et en choisit cinquante pour les sacrifier au Giaour. Alors, avec un air de bonhomie, il proposa de donner à ses petits favoris une fête dans la plaine. Ils devaient, disait-il, se réjouir encore plus que tous les autres du retour de sa santé. La bonté du Calife enchante. Elle est bientòt connue de tout Samarah. On prépare des litières, des chameaux, des chevaux; femmes, enfants, vieillards, jeunes gens, chacun se place selon son goût. Le cortège se met en marche, suivi de tous les confiseurs de la ville et des faubourgs; le peuple suit à pied en foule; tout le monde est dans la joie, et pas un ne se ressouvient

de ce qu'il en a coûté à plusieurs, la dernière fois qu'on avait pris ce chemin.

La soirée était belle, l'air frais, le ciel serein; les fleurs exhalaient leurs parfums. La nature en repos semblait se réjouir aux rayons du soleil couchant. Leur douce lumière dorait la cime de la montagne aux quatre sources; elle en embellissait la descente et colorait les troupeaux bondissants. On n'entendait que le murmure des fontaines, le son des chalumeaux et la voix des bergers qui s'appelaient sur les collines.

Les malheureuses victimes qui allaient être immolées dans un instant ajoutaient encore à cette touchante scène. Pleins d'innocence et de sécurité, ces enfants s'avançaient vers la plaine en ne cessant de folâtrer; l'un courait après des papillons, l'autre cueillait des fleurs, ou ramassait de petites pierres luisantes; plusieurs s'éloignaient d'un pas léger pour avoir le plaisir de s'atteindre et de se donner mille bai

sers.

« AnteriorContinuar »