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d'intelligence; et les docteurs de la loi furent scandalisés de cette idolâtrie, ainsi que les visirs et les grands rassemblés pour jouir des derniers regards de leur souverain. Enfin, les clairons et les trompettes donnèrent, du sommet de la tour, le signal du départ. Quoique parfaitement d'accord, on crut pourtant y remarquer quelques dissonances; c'était Carathis qui chantait des hymnes au Giaour, et dont les négresses et les muets faisaient la basse continue. Les bons Musulmans, croyant entendre le bourdonnement de ces insectes nocturnes qui sont de mauvais présage, supplièrent Vathek d'avoir soin de sa personne sacrée.

On arbore le grand étendard du Califat; vingt mille lances brillent à sa suite ; et le Calife, foulant majestueusement aux pieds les tissus d'or étendus sur son passage, monte en litière aux acclamations de ses sujets. Alors, la marche s'ouvrit dans le plus bel ordre, et avec un si grand silence, qu'on entendait chanter les cigales dans les buissons de la plaine de Catoul. On fit six

bonnes lieues avant l'aurore, et l'étoile du matin étincelait encore dans le firmament quand ce nombreux cortège arriva au bord du Tigre, où l'on dressa les tentes pour se reposer le reste de la journée.

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Trois jours s'écoulèrent de la même manière. Le quatrième, le ciel en courroux éclata de mille feux: la foudre faisait un fracas épouvantable, et les Circassiennes tremblantes embrassaient leurs vilains diens. Le Calife commençait à regretter le Palais des Sens; il avait grand'envie de se réfugier dans le gros bourg de Ghulchiffar, dont le Gouverneur était venu lui offrir des rafraîchissements. Mais, ayant regardé ses tablettes, il se laissa intrépidement mouiller jusqu'aux os, malgré les instances de ses favorites. Son entreprise lui tenait trop à cœur, et ses grandes espérances soutenaient son courage. Bientôt le cortège s'égara; on fit venir les géographes pour savoir où l'on était; mais leurs cartes trempées étaient dans un état aussi piteux que leurs personnes; d'ailleurs, on n'avait

point fait de long voyage depuis Haroun Al-Rachid: on ne savait donc plus de quel côté se diriger. Vathek, qui avait de grandes connaissances de la situation des corps célestes, ne savait où il en était sur la terre. Il grondait plus fort encore que le tonnerre, et lâchait quelquefois le mot de potence, qui ne flattait pas bien agréablement les oreilles littéraires. Enfin, ne voulant plus suivre que ses idées, il ordonna de traverser les rochers escarpés, et de prendre un chemin qu'il croyait devoir le conduire en quatre jours à Rocnabad: on eut beau faire des remontrances, son parti était pris.

Les femmes et les eunuques, qui n'avaient jamais rien vu de pareil, frémissaient à l'aspect des gorges des montagnes, et faisaient des cris pitoyables en voyant les horribles précipices qui bordaient le sentier rapide où l'on était. La nuit tomba avant que le cortège eût atteint le sommet du plus haut rocher. Alors, un vent impétueux mit en pièces les rideaux des palan

quins et des cages, et laissa les pauvres dames exposées à toutes les fureurs de l'orage. L'obscurité du ciel augmentait la terreur de cette nuit désastreuse; aussi n'était-ce que miaulements des pages et pleurs des demoiselles.

Pour surcroît de malheur, on entendit. des rugissements effroyables, et bientôt on aperçut dans l'épaisseur des forêts des yeux flamboyants, qui ne pouvaient être que ceux de diables ou de tigres. Les pionniers qui préparaient le chemin du mieux qu'ils pouvaient, et une partie de l'avantgarde, furent dévorés avant que de pouvoir se reconnaître. La confusion était extrême; les loups, les tigres et les autres animaux carnassiers, invités par leurs compagnons, accouraient de toutes parts. On entendait partout croquer 'des os, et dans l'air un épouvantable battement d'ailes; car les vautours commençaient à se mettre de la partie.

L'effroi parvint enfin au grand corps de troupes qui entourait le Monarque et son

sérail, et qui était à deux lieues de distance. Vathek, choyé par ses eunuques, ne s'était encore aperçu de rien; il était mollement couché sur des coussins de soie dans son ample litière; et, pendant que deux petits pages, plus blancs que l'émail de Franguistan, lui chassaient les mouches, il dormait d'un profond sommeil, et voyait briller les trésors de Suleiman dans ses rêves. Les clameurs de ses femmes le réveillèrent en sursaut, et, au lieu du Giaour avec sa clef d'or, il vit Bababalouk tout transi et consterné Sire, s'écria le fidèle serviteur du plus puissant des Monarques, le malheur est à son comble; les bêtes féroces, qui ne vous respecteraient pas plus qu'un àne mort, sont tombées sur vos chameaux. Trente des plus richement chargés ont été dévorés avec leurs conducteurs; vos boulangers, vos cuisiniers et ceux qui portaient vos provisions de bouche ont éprouvé le même sort, et, si notre saint Prophète ne nous protège pas, nous ne mangerons plus de notre vie. A ce mot de manger, le Calife

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