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& à fon propre Tribunal il jugea en dernier reffort, que le Calvinifme étoit mieux fondé en motifs de crédibilité que la Religion de fes Peres. De-là il alla à Genêve ; puis à Rouen, à Paris, à Sédan, & enfin à Rotterdam, où il fe fixa, où il fut caffé aux gages, & où il mourut en 1706. Voilà l'abrégé des avantures de cet homme, dont les Ouvrages font tant de bruit, & qui, je ne fçais par quelle fatalité, s'eft acquis une réputation capable de pervertir bien des lec

teurs.

Le Biblioth. Vous m'apprenez là bien des chofes que j'ignorois, & dont je fçaurai faire ufage dans l'occafion. Mais de grace montrez-moi que fon Gritique n'a point exagéré, & qu'il a dépeint Bayle avec les véritables couleurs. S'il n'a point outré les chofes, je vous protefte que je n'exposerai plus aux yeux des lecteurs un pareil Ŏuvrage, & que je ferai volontiers la dupe de

mon troc.

Le Docteur. Rien n'eft fi aifé que de vous fatisfaire là-deffus. L'Auteur des Abus de la Critique avance, que dans les écrits de Bayle on trouve de quoi former le plus monftrueux affemblage d'obfcénités, d'Héréfies & d'Atheifme. Je me fais fort de vous en convaincre. Commençons par les obfcénités. Mais que dis-je ? Je rougis, je frémis quand j'y penfe. Je ne fçaurois me réfoudre à vous les

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retracer. Je n'oferois même vous indiquer les articles, où ce téméraire Cenfeur des Cafuiftes de la Religion Romaine ramaffe, fans néceffité & fans raifon, les plus affreufes faletés. Tout ce que je puis vous dire en général, & je ne crains pas d'etre démenti par les aveugles adorateurs de Bayle; c'est qu'il n'y a rien d'infâme dans Brantôme & Montagne, fes Héros; rien d'impur dans Perfe, Catulle, Martial, Horace, Juvenal, &c.; rien d'obscène dans les Médecins, les Phyficiens, les Romans & les Avocats; rien enfin de ce qu'une imagination libertine peut se représenter de fale, que ce lubrique Auteur n'ait raffemblé comme de gaieté de cœur dans fes Ouvrages. On diroit qu'il a voulu que fes Livres fuifent comme le répertoire de toutes les ordures (pour ne rien dire de pis), dont les libertins d'une certaine trempe affaifonnent leurs converfations. Ah! fi l'on jugeoit de lui, comme il a paru vouloir juger des Cafuiftes, ne feroiton pas fondé à croire, qu'il a été le plus impudique des hommes ? Et l'on exposera indifféremment un tel Ouvrage aux yeux de tout le monde ? Mais tirons le rideau fur tant d'infamies. J'entrerai dans un plus grand détail fur le refte, à notre premiere entrevue.

II. ENTRETIEN.

'Le 'Biblioth.

Ue vous venez à propos, Monfieur! Il y a deux jours que je me trouve affailli de toutes parts. On veut abfolument lire Bayle; & l'on m'a relancé fur le refus que j'ai fait de le

montrer.

Le Docteur. Vous êtes un nouveau con verti. Il n'eft pas étonnant que des gens aguerris vous ayent embarraflé. Mais encore, que vous a-t'on dit de fort & de plaufible pour vous réduire ?

Le Biblioth. A peine étiez-vous forti d'ici, certains que curieux, qui vous avoient épié, y entrerent. Ils voulurent fçavoir fur quoi notre conversation avoit roulé.J'avois affez bien retenu ma leçon; & je leur dis bonnement ce que vous aviez eu la charité de me dire contre Bayle. Le bon homme, s'écrierent-ils! Il a lu apparemment les invectives infenfées de Jurieu, ou le ridicule jugement de l'Abbé Renaudot. S'en rap-, portant à la bonne foi & à la pénétration de ces accufateurs, il aura cru Bayle tel qu'ils l'ont dépeint. Mais qu'il s'en faut que ce portrait foit reffemblant! Je les écoutai fans les interrompre. Ils ajouterent d'un ton assuré, qu'il n'y avoit que des hommes pré

venus, que de faux zélés, que des ignorans, qui osassent parler fi indignement de cet illuftre Auteur; & qu'il falloit renoncer au bon sens, pour ne faire pas un cas infini de Les Ouvrages.

Le Docteur. Et vous demeurâtes muet? Le Biblioth. Cet air de confiance m'ébranla : & je craignis de m'avancer trop.

Le Docteur.Ne vous avois-je pas dit qu'aucun disciple de Bayle n'oferoit s'inscrire en faux fur l'article des obfcénités. Vous deviez tenir là ces fiers Apologiftes. Iis auroient fûrement baiffé le ton.

Le Biblioth. Je ne manquai pas d'appuyer là-dessus : mais ils me payerent de railleries, & me tournerent en ridicule. Ignorez-vous, ajouterent-ils, que Bayle n'eft qu'un Compilateur; & qu'un Commentateur, qui cite des impuretés, eft mille fois plus excufable qu'un Poëte, qui en compofe ? D'ailleurs, les Tribunaux Eccléfiaftiques ont-ils jamais procédé contre les Traducteurs des Nouvelles de Boccace, contre d'Ouville, contre la Fontaine ? & qui oferoit dire que Bayle ait jamais approché de la licence de ces gens-là? Enfin, quand il copie ce qui se trouve dans des Livres hiftoriques connus de toute la terre, il y joint prefque toujours une marque de condamnation. Si tout cela ne contente pas des Juges trop fcrupuleux, n'a-t'il pas promis de corriger dans une se

conde Edition tout ce que des Lecteurs judicieux marqueroient d'expreffions & de manieres trop libres ? Je vous le demande, Monfieur: qu'euffe-je pu répliquer à ces

raifons?

Le Docteur. On vous a donné le change, & vous l'avez pris. C'eft Bayle lui-même qui parle par la bouche de ces défenseurs. Confultez fa Juftification prétendue, intitulée, Réflexions, qui eft au Tome IV de fes Œuvres diverfes, entre la CXCIX & la CC Lettre, pag. 750, n. 33 & 34. Vous y trouverez prefque mot pour mot toutes čes mauvaises raifons & ces faux-fuyans, qui vous ont paru plaufibles. C'est à jufte titre que je les appelle faux-fuyans: car enfin, s'agit-il ici de la personne de Bayle, & de fes intentions, ou innocentes ou criminelles? Il n'eft queftion que de fes ouvrages, que je prétens être très-lubriques & très-dangereux pour les moeurs. La plaifante excuse! Un Commentateur, qui cite des impuretés, eft mille fois plus excufable qu'un Poëte, qui en compofe ! Eh quoi ? des impuretés citées par un Commentateur malin, font-elles moins dangereuses, que des impuretés compofées de gaieté de coeur par un Poëte diffolu? Ne fentez-vous pas que c'eft là nous jetter à l'écart, & nous faire perdre le vrai point de vue?

Le Biblioth. J'ai honte de n'avoir pas

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