Imágenes de páginas
PDF
EPUB

L

fieres, remarquez, je vous prie, une erreur capitale, qui eft fon dogme favori, & qui eft moins une héréfie, qu'un pyrrhonisme en fait de Religion. Elle confifte, cette erreur, à ne reconnoître aucune erreur réelle. Le Biblioth. Je vous avoue que cela me paffe. Quel paradoxe ! Ne reconnoître aucune erreur réelle! C'eft une erreur capitale, & capable de conduire à l'irréligion.

Le Docteur. Ne prenez pas ces termes à la rigeur: & faites attention au fens que j'y donne, en raisonnant dans les principes de Bayle. Il prétend qu'on ne peut définir l'Héréfie, & que jamais aucun Juge ne peut sçavoir avec certitude, fi un accufé eft Hérétique ou ne l'eft pas. Il va bien plus loin. Il veut que Dieu ne demande de l'homme que la croyance de ce qui lui paroît vrai. N'eftce pas là dire, qu'on ne peut jamais connoître une Héréfie réelle ; que perfonne ne peut justement être condamné comme Hérétique ; & que par conféquent il n'y a point d'erreurs, en matiere de Religion, que nous foyons en droit d'anathématifer comme telles? N'eft-ce pas là une héréfie capitale, une impiété monftrueufe, un blafphême horrible, qui introduit dans la Religion la plus dangereuse incertitude? Mais écoutons Bayle lui-même, & voyons fi je lui impose. Voici comme il parle (a): Il me fem

(a) Sappl. du Comment. Philof. c. 10, page 519. Cij

tom. B.

ble entendre quelqu'un qui me représente, que, pour connoître bien-tôt fi une opinion eft hérétique, il ne faut que prendre garde à cette définition: Une héréfie est une opinion foutenue avec opiniâtreté contre les décisions de l'Eglife. Mais que voilà un méchant expedient! car d'abord on vous arrêtera fur la notion d'opiniâtreté, puis fur celle de l'Eglife ; & là vous vous verrez dans un Océan le plus bour afqueux du monde. Car par l'Eglife vous entendez la véritable: mais la queftion efl de la trouver cette véritable Eglife. On la cherche dans l'Ecriture & dans la plus pure Tradition : & c'est là une matiere de long Procès. Dire que la vraie Eglife eft la Romaine, n'eft rien dire fi on ne le prouve; & pour le prouver, toutes fortes de difcufions Je préfentent comme en foule. Si quelqu'autre prétendoit fournir une plus claire définition, en difant qu'un Hérétique eft celui qui nie les vérités fondamentales de la Religion Chrétienne, il fe tromperoit bien fort: car il n'y a point de Chrétien, qui avoue qu'il nie les fondemens de fa Religion. Il faudra le lui prouver, en lui marquant dans la parole de Dieu la vraie marque caractéristique d'une vérité fondamentale; & voilà une fource infinie de difcuffions. Vous venez de lire ce texte avec moi; qu'en dites-vous ?

Le Biblioth. Il fait bien fentir qu'il eft trèsdifficile de reconnoître les vraies Héréfies; mais il ne paroît pas dire qu'il eft impoffible.

1

Le Docteur .Eh que fignifie donc cette note marginale : Il est impossible de définir l'Héréfie? Le Biblioth.Cette note eft peut-être de l'Editeur, qui aura cru voir ce qu'il ne voyoit pas dans ce chapitre.

que

[ocr errors]

Le Docteur. Soit ; je veux bien vous laiffer cette échapatoire. Mais ne voyez-vous pas l'Editeur, bon Proteftant & confident de tous les secrets de Bayle, a entendu ce texte, comme je l'entens? Que, s'il eft impoffible de définir l'Héréfie, on ne pourra jamais dire fans témérité : Telle ou telle opinion eft fûrement hérétique. Comme, fi l'on ne pouvoit définir le vol, & qu'on ne fçût pas précisément en quoi il confifte, on ne pourroit avancer que très-témérairement: Cet homme eft un voleur. Et où ces principes-là nous menent-ils ?

Le Biblioth. Je fens bien maintenant que l'on peut entendre ce texte comme vous l'expliquez. Mais n'avez-vous pas ajouté qu'il dit de plus que Dieu n'exige de nous que la croyance de ce qui nous paroît vrai? Où tend cette accufation? Dieu peut-il nous obliger à croire ce qui nous paroît faux?

Le Docteur. Peut-être me fuis-je exprimé peu exactement. Lifons donc Bayle qui s'explique fort nettement, & lui-même vous fera comprendre ce que j'ai voulu dire. Voici fon texte: Après avoir dit : (a) En un (a) Comment. Philofop. pag. 438. col. 2. tom. B.

[ocr errors]
[ocr errors]

"

"

[ocr errors]

mot, ni par l'Ecriture, ni par la lumiere » naturelle, ni par l'expérience, on ne peut » connoître certainement que l'Eglife eft in» faillible: & fi elle l'étoit, ceux qui le » croient, ne feroient dans un fentiment » véritable que par un coup de hazard heu»reux, fans qu'ils puiffent nous en donner aucune raifon néceffaire « ... Il ajoute un peu plus bas: Cette confidération, fi on la pefoit mûrement, & fi on la méditoit » profondément, nous feroit connoître fans doute la vérité que je prétens établir ici : "C'eft que, dans la condition où se trouve » l'homme, Dieu fe contente d'exiger de »lui qu'il cherche la vérité le plus foigneufement qu'il pourra ; & que croyant l'a"voir trouvée, il l'aime & y regle fa vie. Ce qui, comme chacun voit, eft une "preuve, que nous fommes obligés d'avoir » les mêmes égards pour la vérité putative, » que pour la vérité réelle. Et dès-lors tou»tes les objections, que l'on fait fur la dif»ficulté de l'examen, difparoiffent comme » de vains phantômes; puisqu'il est certain qu'il eft de la portée de chaque Particulier, quelque fimple qu'il foit, de donner un » fers à ce qu'il lit, ou à ce qu'on lui a dit, » & de fentir que ce fens eft véritable; & » VOILA SA VERITE' A LUI TOUTE TROU"VE'E. Il fuffit à un chacun qu'il confulte » fincérement & de bonne foi les lumieres

[ocr errors]
[ocr errors]

دو

رو

رو

» que Dieu lui donne, & que fuivant cela » il s'attache à l'idée qui lui femble la plus » raisonnable & la plus conforme à la vo» lonté de Dieu. Il eft moyennant cela Or» thodoxe à l'égard de Dieu, quoique, par » un défaut qu'il ne fçauroit éviter, fes pen» sées ne foient pas une fidelle image de la » réalité des choses: (a) tout de même qu'un enfant eft Orthodoxe, en prenant "pour fon pere le mari de fa mere, du» quel il n'est point fils.

Où fommes-nous, grand Dieu? Certes nous voilà bien au large par rapport à la foi. Il ne faudra plus captiver notre entendement fous l'obéiffance due à l'autorité de JefusChrift. Tous les hommes, euffent-ils chacun une croyance différente, seront Orthodoxes à l'égard de Dieu, puifque chaque Particulier, quelque fimple qu'il foit, eft en état de donner un fens à ce qu'il lit, ou à ce qu'on lui a dit, & de fentir que ce fens eft véritable, & que VOILA SA VERITE A LUI TOUTE TROUVE'E. Nous voilà donc tous Juges en dernier reffort de notre foi. Nous ne pourrons plus juger les autres en fait de Religion. Nous ne pourrons plus obéir à JesusChrift, qui nous ordonne de regarder com

(a) Nota benè. N'eft-ce pas fe moquer des Orthodoxes, c'est - à - dire des vrais fidéles, que de donner ce titre glorieux à un Bâtard qui se croit légitime?

« AnteriorContinuar »