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vez quels font les Livres qu'on recherche avec plus d'empreffement, & quels_font ceux qui ne fortent jamais des Boutiques! Dès qu'un Livre eft parfemé de traits enjoués, de faillies ingénieuses, de fatyres bien affaifonnées, & qu'il s'y trouve en même tems un tour d'expreffion qui ne cede en rien à l'élégance & à la pureté des meilleurs Ecrivains ; voilà ce qui flate & qui enchante la plupart des curieux de nos jours. Que toutes ces beautés foient nuancées par mille traits obscènes & dignes du Pont-Neuf: Qu'on y voie entremêlées les plus noires médifances, & les calomnies les plus atroces contre ce qu'il y a de plus respectable : Qu'on y trouve à chaque page des erreurs foudroyées par l'Eglife, des difficultés malignement exagérées sur les principaux articles de la Religion, les blafphêmes mêmes les plus marqués ; c'eft de quoi ne s'effrayent gueres les gens qui cherchent moins à s'édifier, qu'à se divertir. Dailleurs, vous le fçavez, tout le monde se pique de fçavoir parler de Religion, & de le faire même avec je ne fçais quelle fuffifance. Pour cela, il faut avoir quelque teinture des fciences. L'aller puifer dans d'énormes Volumes de Théologie & de Controverse, il en coûteroit trop. Ces Ouvrages de longue haleine, ces Differtations & ces difputes fi approfondies rebutent des efprits naturelle

ment ennemis de la contrainte & de l'eff nui, que caufe une application de durée. Mais dans un Dictionnaire tel que celui de Bayle, l'on trouve le précis d'une infinité d'articles qui regardent la Religion. On y voit d'un coup d'oeil le pour & le contre. Plufieurs queftions importantes y font décidées bien ou mal. Sur-tout, les objections les plus fpécieuses y font maniées avec tout l'art imaginable. On s'attache à cette lecture; & bien-tôt, devenu demi-sçavant à peu de frais, on fe croit en état de raifonner fur tout, & d'embarrasser même les plus habiles Docteurs, qui ne font pas toujours prêts à tout réfuter sur le champ. C'eft fans doute pour cela que Bayle lui-même infinue quelque part, qu'un homme à Dictionnaire eft fouvent redoutable dans la converfation. Sans m'arrêter à bien d'autres raifons, qui fautent aux yeux, celle-la fuffit, ce femble, pour fonder cette eftime générale que vous faites fonner fi haut, & que je n'ai nulle envie de vous contefter.

Le Biblioth. Je conviens affez de cette raifon; mais encore un coup, j'en reviens à mon premier point. Il n'eft pas vraisemblable que les Ouvrages de Bayle foient auffi pernicieux que le dit l'Auteur du Livre que nous venons de lire. Autrement fe pourroit-il faire que nul de fes Lecteurs ne fe fût récrié, ne les eût dé

boncés aux Evêques, & n'eût tâché de les faire profcrire ?

Le Docteur. Quoi! perfonne ne s'eft récrié? Tous les vrais Catholiques ont jetté les hauts cris, dès que ce dangereux Livre a pa ru. Bayle lui-même a triomphé & s'est glorifié de ces allarmes. Le feul Auteur du Traité de l'Abus de la Critique fuffiroit pour montrer qu'en vain vous me faites cette objeotion. Mais j'ai bien d'autres chofes à vous dire. Quand la Critique générale que Bayle a faite de l'Hiftoire du Calvinifme a paru, le Lieutenant Général de Police ne l'a-t'il pas défend. fous peine de la vie? Sévérité

Bien rare contre les mauvais L.

en doutez, lısez la vie de M. Bayle par N. des Maizeaux ; vous y trouverez cette Ordonnance peu ufitée, dont les Calviniftes ont le front de fe faire un trophée. Ce n'eft pas tout. Les Proteftans eux-mêmes ne lui ont-ils pas fait un Procès dans les formes? Ne l'ont-ils pas accusé d'Athéïsme au Confiftoire de Rotterdam? Il s'eft défendu, il eft vrai, avec un artifice très-imposant, & avec un air de fupériorité, qui devoit déconcerter un accusateur auffi peu mesuré, que l'étoit le fanatique Jurieu. Mais quelque mous que fuffent fes Juges, n'ontils pas exigé de lui qu'il changeât ses articles de Pyrrhon, des Manichéens, des Pauliciens, &c.; qu'il réformât entiérement ce

qu'il avoit écrit de David; qu'il dît nettement qu'il le regardoit comme un Auteur infpiré, &c.? Enfin ne lui firent-ils pas une réprimande fur les obfcénités, dont il paroît affecter d'embellir fes Ouvrages! Lifez làdeffus fa vie par M. des Maizeaux, sa Cabale chimérique, fes penfées fur les Cometes, la plupart de fes Lettres, & fes ennuyeuses Differtations contre Meffieurs Jurieu, le Clerc, Jaquelot, Bernard, &c.

Vous me parlez d'une défense, que devroient porter les Evêques, fi les Ouvrages de Bayle, qu'on répand par tout, étoient si évidemment mauvais. Hé, ale hout à quoi abouti

11.

roit un-être qu'à piquer davantage la curiofité de certains lecteurs, & à leur faire croire qu'on ne profcrit ce Livre, que parce qu'on n'eft point en état de le réfuter folidement ? N'eft-ce pas là ce que Bayle lui-même infinue adroitement, lorfqu'il dit (a) Ils font quelquefois bien-aifes (certains Ecrivains) que leurs Ouvrages paroiffent dans l'Index, ou fâchent les Inquifiteurs. C'eft bien souvent une preuve qu'un livre eft bon. Voilà ce que diroient fans doute plufieurs petits - Maîtres déterminés, comme Bayle, à fronder les plus juftes cenfures.

Au refte, ne doit-il pas fuffire à un vrai fi déle que l'Eglife ait défendu en général les (a) Art, Raynaud.

Livres des Héréfiarques & des Hérétiques, qui traitent de la Religion? Ne doit-il pas lui suffire que la Loi naturelle lui interdise toute lecture capable d'altérer la Foi, & d'éloigner du droit chemin de la piété ? Tels font les ouvrages de Bayle, comme il me fera aifé de vous le démontrer.

Le Biblioth. Que dites-vous là ? Bayle étoit-il donc Hérétique? Ses admirateurs, qui m'en parlent fouvent, me le représen tent précisément comme un Philofophe trèsfubtil, & un Critique infiniment éclairé. Selon eux, il n'a d'autre but que de faire triompher la vérité, en relevant les bévues d'une infinité d'Auteurs.

Le Docteur. Ceux qui vous parlent de la forte, ou ignorent ce qu'étoit Bayle, ou confondent certaines vérités hiftoriques avec les vérités de la Religion. Peut-être auffi font-ils dans la penfée que Bayle n'étoit pas plus Calviniste que Chrétien. Oui, Bayle étoit Calviniste, ou du moins il faifoit extérieurement profeffion de l'être. Il étoit fils d'un Miniftre du Carlat près de Toulouze. C'eft dans cette derniere Ville qu'il abjura le Calvinisme. Il parut persévérer dans la Religion Romaine 15 à 18 mois. Mais enfin,mieux inftruit par fon frere & par un ami, que par l'Eccléfiaftique avec qui il demeuroit, il fentit qu'on ne l'avoit ébran lé que par des fophifmes, comme il le dit :

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