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apparente, il encourageait sous main dom Marcland à tenir bon en dépit des États & malgré la suppression de sa pension. Cette approbation tacite finit même par se changer en une protection déclarée, puisque, dès 1720, l'on voit Marcland, dans le prospectus ou Projet imprimé de son livre', inviter ostensiblement les personnes qui auraient des renseignements ou des pièces à lui communiquer, à les envoyer au père général, à l'abbaye Saint-Germain des Prés. Il y a tout lieu de croire que ce fut là une des causes des tracasseries qu'éprouva dans la suite dom Vaissete & dont il sera question plus loin 2.

Sa supériorité réelle sur celui qui se déclarait ainsi son rival, supériorité qui devait plus tard se révéler d'une manière si éclatante, avait été pressentie par M. de Narbonne, & ce n'est pas un des moindres mérites du prélat que d'avoir deviné en lui le digne historien du Languedoc & d'avoir énergiquement maintenu son choix. Mais en faisant paraître leur premier volume, les deux nouveaux collaborateurs, obligés d'expliquer au public la retraite d'Auzières & de Marcland, ont été amenés par convenance & pour sauvegarder l'honneur littéraire de la congrégation, à alléguer de tout autres motifs que ceux qui étaient réellement en jeu ; ils ont prétexté le grand âge de leurs devanciers, les fonctions claustrales que ces bons vieillards avaient à remplir. Les lettres familières échangées entre eux, à cette époque, ne laissent aucune incertitude sur les véritables motifs 3, & leur langage est tout différent de celui qu'ils tiennent dans leur Préface, lorsqu'ils nous disent officiellement 4:

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<< Deux religieux de mérite & très-capables de cette entreprise..... ils travaillèrent séparément dans la Province pendant plusieurs années 5, & après << avoir tiré des différentes bibliothèques tout ce qu'ils crurent utile à leur dessein, ils dressèrent des mémoires assez considérables. Mais leur âge déjà << avancé ou leurs emplois ne leur aiant pas permis de continuer leur travail « & de se charger de celui des archives, qui étoit le plus essentiel, nous fûmes substituez à leur place.

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C'est sur ce fonds incomplet que les PP. Auzières & Marcland s'essayèrent,

Projet de l'Histoire de Languedoc, dans nos Pièces justificatives, 2o série, n. 5, p. 10 de l'original imprimé.

Lettre de dom Vaissete au chapitre général de l'ordre, en date de 1725 ou 1726; Correspondance, n. 30.

3 Voyez dans la Correspondance les lettres écrites de 1715 à 1726, nos 1 à 30. C'est faute d'avoir connu ces lettres que M. Eugène Thomas (Introd. bibliogr. p. 375 & 376) a répété le thème de convention accrédité par les Bénédictins.

Tome I de l'Histoire générale de Languedoc, édition originale, p. vII; cf. dom Tassin, Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, p. 725. 5 Dans le Mémoire à Nosseigneurs des Etats de

la Province, par dom Devic & dom Vaissete, inséré in extenso dans le procès-verbal de la séance du 24 janvier 1722 & reproduit par M. Eugène Thomas sous le n. de ses Pièces justificatives, P. 493, on retrouve cette phrase avec cette variante: «Deux religieux qui travaillèrent inutilement dans la Province pendant plusieurs années. » Le mot inutilement est une inconvenance que dom Devic & dom Vaissete ne se seraient jamais permise en parlant de leurs confrères dans un mémoire rédigé pour être lu dans une assemblée publique. Le texte, dans les registres des États conservés à Toulouse, porte utilement, ce qui est la vraie leçon; dans leur Préface, les Bénédictins ont mis séparément.

chacun de son côté, à broder le canevas de leur rédaction. Eux-mêmes nous apprennent qu'ils avaient conduit leur récit presque jusqu'à ces derniers temps, & qu'ils le considéraient comme parvenu à l'extrême limite qu'ils s'étaient fixée. Ces deux ouvrages ne nous sont point parvenus, mais nous pouvons nous en former une idée par les mémoires où ils ont exposé leur plan & leurs vues, & dans lesquels ils nous fournissent un échantillon de leur méthode d'investigation & de leur style'.

Le programme du P. Auzières a cela de remarquable pour nous aujourd'hui, qu'il manifeste l'intention de l'auteur de placer en tête de son ouvrage un tableau de la géographie physique, politique & administrative de la Province, intention partagée par dom Marcland, & que dom Vaissete adopta2 pour la réaliser dans une publication ultérieure, sa Géographie historique; il est juste toutefois de reconnaître que la conception primitive de ce tableau appartient au P. Auzières. Passant ensuite à la partie principale de son œuvre, à l'histoire de la Province, il en signale les faits les plus saillants qu'il s'était appliqué, à ce qu'il nous assure, à disposer dans un ordre chronologique rigoureux. Mais la division par grandes périodes, entrevue par dom Marcland, & si nettement tracée par dom Vaissete, n'apparaît que très-confusément dans le programme d'Auzières. Il nous dit qu'il s'était arrêté au seizième siècle, & avait déjà écrit de quoi remplir deux volumes in-folio, sans compter les Preuves. Le premier comprenait la portion de l'histoire provinciale, qui s'étend depuis les temps les plus reculés jusqu'à la guerre des albigeois, & de là jusqu'à la réunion du Languedoc à la couronne (1271); il correspond ainsi aux trois premières divisions & à autant de volumes de dom Vaissete. Le tome second d'Auzières était consacré à l'intervalle écoulé depuis 1271 jusqu'à 1700, & par conséquent aurait ainsi embrassé les cinquante-sept premières années du règne de Louis XIV, que dom Vaissete n'a point entamé; peut-être l'abondance des matières aurait-elle comporté un troisième volume. Le travail de la mise en ordre & de la rédaction était déjà presque achevé; seulement le style en était imparfait, il avait besoin d'être poli. L'auteur l'avoue ingénument, en s'excusant sur son inexpérience du beau langage, sur la nécessité de ne pas perdre un temps précieux à la recherche des finesses grammaticales, se soumettant d'avance à une révision générale, lorsque le P. Marcland lui communiquera ce qu'il aura découvert en particulier. Il s'était borné, ajoute-t-il, à rassembler les passages qu'il avait rencontrés dans les livres imprimés, les faits qu'il avait relevés en compulsant les registres des États; il n'avait point encore touchė

aux archives.

Marcland était beaucoup plus avancé, si l'on en juge par son Projet; ses

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jalons chronologiques sont déjà posés, quoique à des distances qui ne sont pas tout à fait exactes; il admet dans l'histoire du Languedoc cinq grandes périodes « lesquelles, dit-il, quoique inégales par le nombre des événemens, ne le seront pas pour la durée qui sera d'environ cinq cens ans pour cha«< cune, ni pour la singularité des faits, ils sont tous remarquables. Les Celtes « & les Tectosages paroîtront les premiers sur la scene, & s'y feront admirer par leur valeur & par leurs conquêtes. Les Romains devenus les maîtres du pays ouvriront la seconde, & s'y feront haïr par leur orgueil & leurs par extorsions. L'entrée des Visigoths commencera la troisième; ils s'y feront aimer par la douceur de leur gouvernement, & regretter, quand après un << regne de trois cens ans, ils feront place aux Sarrasins, lesquels en seront << chassez par les quatre premiers rois de la seconde race, qui comme les Visigoths feront les delices de la Province, ce qui nous conduira aux comtes, lesquels rempliront la quatrième, qui finira sous le regne de Philippe le Hardi, par la réünion immediate de presque toutes ces comtez en sa main, qu'il a transmis avec sa couronne aux rois successeurs, & à Louis XV heu<< reusement regnant'. »>

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La comparaison de ce mode de division avec celui qu'a fait prévaloir dom Vaissete, nous montre que Marcland assignait à la période ancienne de notre histoire, période que dom Vaissete a circonscrite entre le second siècle de Rome & l'extinction du royaume d'Aquitaine 2, vers la fin du neuvième siècle, un développement disproportionné avec la rareté ou l'obscurité des souvenirs qui nous en sont restés; tandis que la quatrième période de l'auteur du Projet, depuis l'avènement des comtes de Toulouse jusqu'à la réunion du Languedoc à la couronne, & la cinquième, depuis cette réunion jusqu'à l'époque moderne, exigeaient, à cause de la multiplicité & de l'importance des événements, de l'abondance & de la nouveauté des documents, un cadre beaucoup plus vaste qu'il ne l'imaginait, faute d'avoir étudié les archives.

Si nous poursuivons cette comparaison, qui fait ressortir l'infériorité relative du plan de dom Marcland, nous verrons que ses deux dernières divisions, la quatrième & la cinquième, ont pu en fournir à dom Vaissete quatre & un pareil nombre de volumes. Ces quatre divisions sont :

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Projet de l'Histoire de Languedoc, dans nos Pièces justificatives, 2o série, n. 5, p. 2 de l'original imprimé.

⚫ Dans la présente édition, les théories des Bénédictins sur l'état du territoire & la durée du royaume d'Aquitaine ont été remaniées & changées complétement. Notre collaborateur, M. Mabille, confirmant les arguments qu'avait fait valoir un habile & savant critique, feu M. Rabanis, a achevé de prouver la fausseté de la célèbre charte d'Alaon (Voyez sa Note rectificative, t. II, p. 196-204), charte qui a surchargé l'histoire du huitième siècle de personnages apocryphes & d'événements imaginaires, & à laquelle dom Devic & dom Vaissete ont

accordé une pleine & entière créance. L'érection de l'Aquitaine en fief par les rois mérovingiens, la continuation du même ordre de choses pendant la période carlovingienne, l'extension donnée au duché de Toulouse, en y comprenant toute l'Aquitaine, & par suite la parenté avec S. Guillaume de Gellone, comte de Toulouse, de la plupart des chefs qui ont gouverné l'Aquitaine & la Septimanie, ce sont là des hypothèses gratuites qui ont introduit la perturbation dans les récits des Bénédictins. On doit savoir gré à M. Mabille d'avoir rétabli l'ordre & la clarté dans l'histoire, jusque-là confuse & ténébreuse, de cette période de nos annales. (Voyez sa seconde Note rectificative, ibid. p. 267-323.)

a. Le temps pendant lequel le Languedoc indépendant fut gouverné par les comtes de Toulouse & leurs feudataires, depuis le commencement du neuvième siècle jusqu'aux débuts de l'hérésie des cathares ou albigeois, & la condamnation de ces sectaires par le concile de Lombers en 1165 (tome deuxième).

b. La croisade des barons du Nord contre les populations du Midi, la ruine du Languedoc & la destruction de sa nationalité avec toutes les péripéties de ce drame émouvant, dont la durée n'est guère de plus d'un siècle, mais qui a suffi à dom Vaissete pour remplir tout un gros volume, - le troisième.

L'espace de cent soixante-douze ans, écoulés depuis l'annexion du Languedoc jusqu'à la dernière érection du parlement de Toulouse, en 1443, espace pendant lequel se déploie à nos yeux le spectacle des excès de l'inquisition triomphante, de la fusion graduelle & enfin complète du Midi avec le Nord, de la participation aussi active que glorieuse de la noblesse du pays à la lutte contre les Anglais (tome quatrième).

d. Le laps d'un siècle & demi environ, qui nous reste à compter jusqu'à la mort de Louis XIII (1643), & qui fut témoin des guerres de religion, si désastreuses pour la Province, de la chute de l'antique féodalité à la journée de Castelnaudary, où furent dispersées les troupes de Gaston d'Orléans & qui livra à la hache implacable de Richelieu un héros, Henry de Montmorency (tome cinquième & dernier).

Après avoir indiqué sommairement les cinq époques ou périodes qu'il a reconnues dans l'histoire du Languedoc, Marcland énumère successivement les faits qu'il juge les plus importants & caractérisques dans cette quintuple division. Plus d'une faute de détail lui échappe erreurs historiques, incorrections grammaticales & autres petits péchés de ce genre, que dom Vaissete a trop bien relevés pour ne pas nous croire dispensés d'être aussi rigoureux que lui; nous nous tairons aussi sur les ambitieuses figures de rhétorique & les images à grand effet dont Marcland affecte de rehausser son langage; à cet égard, la verve railleuse de son confrère ne l'a pas davantage épargné'.

Il termine son mémoire par un aperçu de sa description topographique. Afin de mettre dans tout son jour, dit-il, l'histoire politique du Languedoc <<< dont nous venons de faire le plan, & d'en rendre la lecture plus agréable <«< & plus instructive, elle sera précédée, comme d'un flambeau, de l'histoire << naturelle & artificielle, c'est-à-dire, de ce que Dieu y a mis dans la création, & de ce que l'industrie des hommes y a ajoûté 2. »

Qu'est devenu le manuscrit d'Auzières, quel a été le sort de celui de Marcland, dans les vicissitudes qu'a subies Saint-Germain des Prés? Ils ont disparu avec cette vaste & opulente abbaye, sur l'emplacement de laquelle tout un quartier de Paris a été bâti, & dont les deux derniers débris, la vieille

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église & le palais abbatial', sont restés seuls debout au milieu des démolitions récentes qui ont transformé l'aspect de la capitale. Ces manuscrits ont-ils été enlevés ou se sont-ils égarés dans la spoliation de cette sainte demeure par les commissaires de la Convention 2 aux mauvais jours de 93?

II

Dom Claude Devic & dom Joseph Vaissete substitués aux PP. Auzières & Marcland. [1715.]

De ces deux fils de S. Benoît, conviés à reprendre de fond en comble la construction de l'édifice à laquelle s'étaient appliquées les mains impuissantes de leurs devanciers, l'un, Claude Devic, était l'aîné, & par le nombre des années, & par la date de son entrée dans la congrégation, & par la notoriété que lui avaient value quelques essais littéraires. Le collaborateur qui devait le surpasser un jour & l'éclipser, Joseph Vaissete, n'était encore qu'un simple étudiant en théologie.

Nous n'avons sur l'origine & l'enfance de dom Devic d'autres renseignements que ceux que nous fournit l'un des registres de l'état civil conservés dans les archives de la mairie de Sorèze, petite ville appartenant jadis au diocèse de Lavaur. On y lit qu'il était fils de Jean Devic, maître-chirurgien de cette ville, & de Jeanne Ranc, mariés, & qu'il fut baptisé 3 le 15 janvier 1670. Une note consignée à la fin de ce même registre porte qu'il fut admis en 1682, à l'âge de douze ans, comme élève au séminaire que venaient de fonder à Sorèze les bénédictins pour l'éducation des enfants de la noblesse du pays 4. La notice que lui consacra dom Vaissete, lorsque la mort le sépara de lui en 1734, & qu'il écrivit pour le Mercure de France, à la sollicitation de

'Le palais abbatial a été remanié intérieurement pour l'approprier à des habitations particulières ; mais sa façade, son escalier & son jardin subsistent intacts. Cet édifice forme le n. 1 de la rue actuelle de l'Abbaye. Le réfectoire de la communauté, avec de vastes caves au-dessous, & sa voûte en bois élancée & très-hardie, se trouve au n. 12 de la rue Sainte-Marguerite, où il sert de magasin à un marchand de porcelaines & cristaux.

Dans les Mémoires des Sanson, exécuteurs des hautes œuvres de la ville de Paris, ouvrage dans lequel on découvre, sous la couche dont l'a recouvert la main d'un badigeonneur littéraire, certains matériaux authentiques, on lit, t. 4, p. 343. Journal de Charles-Henri Sanson: 30 brumaire. «La section de l'Unité a porté aujourd'hui à la "Convention les dépouilles de la superstition de

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«la ci-devant abbaye de Saint-Germain des Prés. « J'ai vu passer le cortége. En tête marchait une << escouade de force armée; suivaient des hommes «portant des costumes sacerdotaux par-dessus leurs habits & rangés en deux files; au milieu, des « femmes & des filles vêtues de blanc, avec ceintures tricolores; & enfin, sur des brancards, des «calices, des ciboires, des ostensoirs, des candé« labres, des plats d'or & d'argent & le coffre aux reliques tout couvert de pierres précieuses. Ve«naient ensuite un catafalque couvert d'un drap « noir & une musique qui jouait l'air de Mal« brouk (sic). Ce butin vaut, dit-on, plus d'un <«< million; mais ne pouvait-on le mettre dans les « coffres, sans lui faire traverser les ruisseaux? >> 3 Pièces justificatives, 11e série, n. 1.

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4 Ibid. n. 2.

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