Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Laroque, éditeur de ce journal, continue & complète ces renseignements Obéissant à une précoce vocation, Devic entra tout jeune au monastère des bénédictins de la Daurade à Toulouse & il y fit profession, le 25 octobre 1687, n'ayant encore que dix-sept ans. Après avoir enseigné avec distinction pendant quelques années la rhétorique à Saint-Sever, en Gascogne, dans un collège que les religieux de cette abbaye y avaient établi, il fut envoyé à Rome en 1701, en qualité d'assistant du P. Guillaume Laparre, procureur général de la congrégation auprès du Saint-Siége. Son caractère doux & affable, sa piété tolérante & son savoir lui valurent de nombreuses & illustres amitiés le pape Clément XI, le fameux auteur de la bulle Unigenitus & la reine de Pologne, Marie-Casimire, l'honoraient de leur bienveillance. En 1708, dom Laparre ayant été envoyé en mission en France, il le suppléa pendant son absence avec le titre de vice-procureur général. Au milieu des occupations. que lui donnait son emploi, il trouvait encore le temps de cultiver les lettres, amour de sa jeunesse ; il collationnait les manuscrits du Vatican & des autres bibliothèques de Rome pour ses confrères de Saint-Germain des Prés, & leur envoya quantité de notes & de mémoires. Ce n'est pas tout: il traduisit en latin & enrichit d'additions la Vie de dom Jean Mabillon, composée en français par dom Thierri Ruinart, & publia à Padoue, en 1714, cette version 2 sous les auspices du neveu de Clément XI, Alexandre Albani, plus tard cardinal, protecteur zélé & libéral des lettres & des arts, connu par sa magnifique collection de dessins & de gravures, qui fut achetée, à sa mort, par Georges III, roi d'Angleterre. En 1715 Devic fut rappelé, sur sa demande, à Saint-Germain des Prés où nous allons le voir, pendant dix-neuf années consécutives, associer ses recherches à celles de dom Vaissete & vivre avec lui dans la plus douce familiarité.

[ocr errors]

Sa participation au labeur commun de l'Histoire de Languedoc fut, dans les premières années, très-assidue; il avait la haute main dans l'entreprise. C'est à lui que l'archevêque de Narbonne & les syndics de la Province, chargés par les États de diriger l'exécution de l'ouvrage, transmettaient leurs communications & leurs ordres. Les lettres écrites de 1715 à 1730, c'est-à-dire pendant la période de préparation du premier volume, sont, pour la plupart, & les plus importantes, à son nom. Mais lorsque aux interruptions causées par les dérangements de sa santé délicate vinrent se joindre les distractions provenant des affaires dont il s'occupait volontiers & des relations multipliées qu'il entretenait au dehors de son couvent, il finit par se relâcher peu à peu & par abandonner à son collaborateur le plus lourd de la tâche. Après la publication du deuxième volume, elle retomba presque tout entière sur dom Vaissete, qui

1

Voyez Extrait d'une lettre de M..., sur la mort du R. P. dom Claude Devic, l'un des auteurs de l'Histoire de Languedoc, dans nos Pièces justificatives, Ire série, n. 19.

Vita Jo. Mabillonii, olim gallice scripta a Theod.

Ruinart, in latinum sermonem conversa a dom Cl. Devic; Patavii, 1714. In-8°. Réimprimé dans les Vetera analecta, sive collectio veterum aliquot operum & opusculorum omnis generis, cum itinere Germanico & adnotationibus Jo. Mabillonii, &c. In-fo. Paris, 1723.

mit au jour à lui tout seul les tomes III, IV & V, & termina cet immense labeur; aussi son nom y est-il resté attaché presque exclusivement, tandis que celui de dom Devic est demeuré dans une sorte de pénombre & un oubli immérité. C'est sans doute à cette circonstance qu'il faut attribuer le manque d'informations dans lequel les contemporains de ce dernier nous ont laissés sur sa vie privée, comme aussi le soin avec lequel ils nous ont conservé les papiers personnels de dom Vaissete; ce n'est pas sans profit que nous allons maintenant les consulter.

Sa famille, très-ancienne dans l'Albigeois, avait été anoblie par l'exercice héréditaire de l'une des charges de judicature les plus considérables du pays, celle de procureur du roi au siége de Gaillac. Dom Vaissete a raconté dans une note autographe comment cette charge, achetée par son aïeul Guillaume. en 1638, passa à son père Jean-Géraud, qui à son tour la lui transmit à sa mort arrivée en 1710. Mais, s'étant fait religieux, il la vendit en 1711 à son beau-frère, M. Antoine de Combettes Caumon, avocat au parlement de Toulouse, lequel, au bout de six ans, la céda en 1715 à M. Fieuzet de las Tours, avocat à la même cour'.

Jean-Géraud épousa Marie de Passemar de Bertoule, d'une famille de la noblesse d'épée, qui comptait dans ses degrés ascendants une fille naturelle de Henri IV. Jean-Joseph, plus tard dom Vaissete, était le septième des huit enfants issus de cette union. Sa sœur aînée, Jeanne, qui devint l'héritière de la fortune patrimoniale par l'entrée de son frère en religion, était née le 23 janvier 1677; elle avait neuf ans de plus que lui. Elle fut mariée à M. Antoine de Combettes Caumon, par qui se fit l'alliance de la noble famille des Combettes avec celle des Vaissete. Sa sœur puînée, Marguerite, épousa M. de Rivals de Paulyn, qui habitait Lavaur. Une troisième fille, Marie-Thérèse, fut chanoinesse de Saint-Augustin au couvent de l'Isle d'Albi; enfin le huitième enfant, Barthélemy, embrassa la profession militaire. JeanJoseph vit le jour le 4 mai 1685, à Gaillac, presque en même temps que l'un des plus illustres savants orientalistes de ce siècle, le jésuite Gaubil. La maison qui abrita son berceau, située dans la circonscription de la paroisse Saint-Michel, subsiste encore & est la propriété de la famille Rest3. Des huit enfants de Jean-Géraud, six moururent prématurément à une date ignorons; les deux qui prolongèrent assez avant leur existence furent Jeanne & notre historien.

Jean-Joseph fit ses études classiques à Gaillac; à l'âge de dix-neuf ans, en 1704, ses parents l'envoyèrent à Toulouse suivre les cours de la faculté

[ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

de droit. Sa première inscription sur les cahiers ou registres de l'université est du 2 juillet de cette année. Disciple assidu de Pierre de Campunaut, professeur en droits civil & canon, il fut reçu bachelier au bout de trois. ans, le 15 juillet 1707. Après avoir complété son instruction par les leçons de Jean Duval, professeur de droit français, il obtint le grade de licencié' le 15 juin 1709, sur le vu d'un certificat de catholicité délivré par le curé de

Sainte-Marie du Taur2.

Le certificat qui constate sa promotion à la licence, par bénéfice d'âge 3, fut visé au parquet du parlement par le procureur général & les avocats du roi, MM. d'Advisard, le Masurier & Tournier, conformément à l'édit de 1679; le même jour il prêta serment devant cette cour en qualité d'avocat, « à charge « par luy de garder les ordonnances & de satisfaire aux arrets des reglemens, concernant les lectures & la décence des habits. » Dès qu'il eut complété par le titre d'avocat son éducation de juriste, il revint à Gaillac siéger à côté de son père, comme son substitut.

Son retour précéda de quelques mois la mort de Jean-Géraud. Ce triste événement, qui changea du tout au tout le cours de ses destinées, eut lieu le 4 avril 1710. Son père, par un testament 5 daté du 29 mars 1709, l'avait institué son héritier général & universel, & à son défaut & au cas où madame de Vaissete, sa femme, survivrait à son fils, décédé sans enfants légitimes, il léguait à cette dernière son entière succession, avec la liberté d'en disposer comme elle l'entendrait. Devenu maître de son sort, Jean-Joseph prit tout à coup le parti de renoncer aux fonctions paternelles & de se vouer à la vie. monastique. Cette résolution avait-elle été longuement mûrie ou lui vint-elle spontanément comme une soudaine illumination d'en haut? C'est là une confidence qu'il ne nous a pas faite & à laquelle rien ne saurait suppléer. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne s'en était jamais ouvert à sơn père, puisque les clauses du testament de Jean-Géraud sont conçues comme si son fils était appelé à vivre dans le monde & prévoient même le cas d'un futur

Les registres conservés aux archives de l'école de droit de Toulouse portent qu'il fut reçu à l'unanimité des suffrages. Reg. de la chancellerie, n. 157, commencé en août 1698 & fini en 1724, & reg. des actes de droit, n. 226, depuis janvier 1703 jusqu'au dernier décembre 1715.

* Certificats de Pierre de Campunaut, du 15 juillet 1707 & des 15 & 25 juin 1709; de Henry d'Hauterive, chanoine de la métropole & chancelier de l'université, du 15 juin 1709, & de Jean Duval, du 22 juin, même année; Pièces justificatives, re série, nos 5, 6, 7, 8, & aux archives de l'école de droit de Toulouse, registres précités 157 & 226.

3 Il n'avait alors que vingt-quatre ans, & il en fallait vingt-cinq, l'âge de la majorité légale, pour obtenir le grade de licencié & être reçu avocat au parlement.

Extrait des registres du parlement de Toulouse, du 25 juin 1709, dans nos Pièces justificatives, re série, n. 9.

5 Nous devons la communication de ce testament à M. de Combettes Labourelie, descendant collatéral de dom Vaissete dans la ligne féminine. C'est pour n'avoir point connu cette pièce, que M. Dumège (Notice sur dom Devic & dom Vaissete, t. 1 de son édition de l'Histoire générale de Languedoc, p. 22) a prétendu que Jean-Géraud avait déshérité son fils au profit de sa fille Jeanne, à cause du goût bien prononcé de celui-ci pour la vie monastique & de

sa ferme résolution d'entrer dans l'ordre de SaintBenoît. Les faits donnent un démenti formel à cette supposition, aussi hasardée que tant d'autres que M. Dumège a émises,

mariage. Le goût de la retraite & de l'étude, peut-être cette voix intérieure dont l'entraînement est irrésistible, peut-être aussi un repentir exagéré de quelque égarement passager de jeunesse déterminèrent sa vocation. Cette dernière hypothèse s'appuie sur l'humble & touchante confession qu'il a consignée dans son testament écrit durant son noviciat : « Pour réparer en premier lieu, dit-il, & autant que je le puis par un aveu public & sincère «< & par un pardon solennel les péchés de scandale & de mauvaise édifica«<tion qu'une jeunesse bouillante & peu réglée peuvent (sic) m'avoir fait «< commettre, je demande très-humblement pardon à tous ceux que je puis << avoir scandalisés ou offensés, désavouant dans l'amertume de mon cœur << tous les dereglemens de ma vie passée & tout ce qui pourroit m'avoir donné << occasion de faire peine à qui que ce soit, espérant d'expier dans la severité d'une pénitence assidue & d'une continuelle retraite les péchés d'un âge <«< aussi ignorant & aveugle que malicieux & que la corruption générale à laquelle je n'ay que trop participé, semble authoriser'. »

་་

Ces paroles évidemment dictées par un excès d'humilité chrétienne ne sauraient être prises à la lettre; elles sont démenties par le témoignage de Henry d'Hauterive, chancelier de l'université de Toulouse & chanoine de la métropole, qui dans une attestation donnée à l'étudiant Vaissete, le 15 juin 1709, non-seulement proclame son savoir, l'incroyable facilité d'élocution dont il était doué & la manière brillante dont il soutint son examen de licence, mais encore rend hommage à sa candeur & à la pureté de ses mœurs2.

Les aptitudes du jeune magistrat l'attiraient vers la plus savante de toutes les corporations religieuses, célèbre par ses grands travaux d'érudition, celle des bénédictins de Saint-Maur. Quatre mois s'étaient à peine écoulés depuis perte de son père, qu'il entrait au monastère de Notre-Dame de la Daurade, à Toulouse, au mois d'août 1710.

la

Au bout d'une année de noviciat & sur le point de s'engager par des vœux solennels & de dire un éternel adieu aux choses de ce monde, il voulut rompre tous les liens qui l'y rattachaient & régler définitivement ses intérêts temporels. Me Forcade, notaire à Toulouse, fut mandé au couvent de la Daurade, &, en présence du P. Estienne, prieur, le frère Vaissete se démit de sa charge de procureur du roi, & d'accord avec sa mère, présente à cet acte, en fit cession au mari de sa sœur, M. Antoine de Combettes Caumon, moyennant la somme de trois mille deux cents livres 3. Ce jour même il déposa son testament olographe entre les mains de Me Forcade, qui le revêtit de sa suscription. Par cet acte de suprême volonté, il fait donation de tous ses biens paternels à

'Testament de dom Vaissete, dans nos Pièces justificatives, 1e série, n. 11.

Extrait d'un certificat d'examen pour la licence en droit civil & en droit canon, délivré à Joseph de Vaissete par Henry d'Hauterive, 15 juin 1709. - Pièces justificatives, e série, n. 6.

3 Acte de démission d'office, retenu par Me Forcade, notaire à Toulouse, le 30 juillet 1711, & Acte de cession d'office, retenu par le même, à la même date, dans nos Pièces justificatives, 1re série, nos 12 & 13.

sa mère, dans la prévision que ces biens feront retour par voie d'hérédité naturelle à sa sœur Jeanne; il lègue sa bibliothèque au fils de celle-ci, son neveu & filleul Joseph-Lazare de Combettes Caumon, destiné à l'état ecclésiastique ', & une somme de deux mille livres pour les frais de son éducation. Une recommandation expresse, sous forme de prière plutôt que d'injonction obligatoire, est faite à ses héritiers de continuer la dévotion à S. Sébastien, traditionnelle dans la famille Vaissete, & d'avoir soin de sa chapelle dans l'église de SaintMichel de Gaillac. Ses autres largesses sont pour l'entretien des confréries de sa ville natale, dont il était membre, & particulièrement celle des pénitents bleus; pour le soulagement des pauvres honteux, & pour la dot de deux jeunes filles pauvres, au choix de ses héritiers, & à charge par elles de faire bénir leur union à la chapelle Saint-Joseph, son patron, à Saint-Michel, de donner le nom de Joseph à tous leurs enfants mâles & de l'ajouter à celui de leurs filles. Sept mois après, le 12 mars 1712, M. François d'Haussonville de Vaubécourt, évêque & seigneur de Montauban, lui conféra la tonsure cléricale & les quatre ordres mineurs dans la chapelle de son palais épiscopal. Cette cérémonie doit être antérieure de peu de temps à celle où il prononça ses vœux au monastère de la Daurade, peut-être dans celui de Mas Grenier3 où il s'était rendu à cette époque. En effet, dans une pièce en date du 6 juillet, il s'intitule « religieux profès de l'ordre de Saint-Benoît, congrégation de Saint-Maur, à « présent conventuel au monastère du Mas Grenier. » Cette pièce est une procuration notariée, par laquelle il donne pouvoir à Me Gilhet, curé de la paroisse de Saint-Jean d'Aniane, dans le diocèse de Montpellier, de «< notifier «< & insinuer ses nom, cognom, qualités & grades dans l'abbaye d'Aniane au seigneur abbé, &, en son absence, à son vicaire général ou supérieur & religieux de la dite abbaye, & de les requérir de lui conférer le premier bénéfice régulier qui viendroit à vaquer, dépendant de la collation du dit seigneur «<< abbé. >>

«

k

Cet acte de procédure semble dénoter l'intention de dom Vaissete de se fixer dans une des maisons que la congrégation possédait dans le midi de la France; mais ses supérieurs, qui avaient entrevu ses talents & le parti qu'ils pouvaient en tirer & qui avaient d'autres desseins sur lui, l'appelèrent l'année suivante, en 1713, au chef-lieu de l'ordre, dans l'abbaye Saint-Germain des Prés, à Paris. Il y fit sa première année de théologie sous dom François Henry, & eut pour condisciples dom Guilain Bécourt & dom Martial Mance. qui finissaient leur cours. En 1714 il fut envoyé à Corbie, dans le diocèse d'Amiens, pour y continuer les mêmes études.

Il sera question dans la suite & assez fréquemment de ce neveu de dom Vaissete, à qui il fit faire un assez beau chemin dans l'état ecclésiastique, & qui d'ailleurs ne manquait pas de talent comme prédicateur.

Pièces justificatives, e série, n. 14.

3 Ou bien Garnier. Cette abbaye, de la congrégation de Saint-Maur, autrement appelée Saint-Pierre de la Cour, était située dans la Gascogne toulousaine, sur la Garonne, dans l'élection de Rivière-Verdun. Voyez Procuration, 6 juillet 1712, dans nos Pièces justificatives, re série, n. 15.

4

« AnteriorContinuar »