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passionné ; l'archevêque d'Albi, M. de la Croix de Castries, & une foule d'autres dont les noms reviennent dans la liste de ses correspondants. L'amitié que lui montrait Monseigneur d'Albi n'était peut-être pas tout à fait désintéressée; il connaissait la liaison de dom Vaissete avec l'abbé de Ceilhes, neveu du cardinal de Fleury, & l'influence de l'abbé sur l'esprit du premier ministre, son oncle. Le cardinal avait aussi une nièce, mademoiselle Thérèse de Rosset de Fleury, charmante jeune personne, courtisée, comme on le pense bien, par maint & maint soupirant. Parmi les neveux de l'archevêque d'Albi, Gabriel était encore à pourvoir, & le prélat convoitait pour lui cette brillante alliance; il s'ouvrit de ses projets matrimoniaux à dom Vaissete, ne négligeant rien pour le mettre dans ses intérêts.

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Sa correspondance est curieuse à cet égard. Dans le cours des deux années 1741 & 1742, il lui décoche lettre sur lettre'; il est insistant, il est câlin, il lui vante les avantages qu'il veut faire aux deux futurs époux, la bonne vie qu'il leur prépare dans son palais épiscopal. Il fait plus; il appelle auprès de lui le neveu de notre historien, M. de Combettes Caumon, curé de Verrières, & le nomme theologal & pénitencier de son chapitre métropolitain, bénéfice d'un revenu de deux mille livres. Il lui écrit, le 14 septembre 1742 « Vous trouverez dans ce paquet le titre que je viens de faire à M. le curé de Verrières, votre neveu, de la théologale de mon église, qui vacque depuis deux jours par la mort de M. Angeard..... » & il ajoute plus bas : « Je << viens de recevoir la lettre dont vous m'avės honoré le 5 de ce mois; je vous << remercie des nouvelles dont vous m'y faites part, & je vous embrasse de << tout mon cœur. Je vais boire à votre santé avec toute votre famille que j'ay «<priée à disner2. » Enfin, grâces aux démarches persévérantes & habiles de dom Vaissete, ce mariage fut conclu; le chevalier de Castries devint l'heureux époux de mademoiselle de Fleury, & par surcroît de bonne fortune, le roi lui donna, comme cadeau de noces, le gouvernement de Montpellier. L'archevêque ne se sentait pas de joie, & il la laisse déborder de son cœur, en remerciant son ami de Saint-Germain des Prés : « J'ay reçu, mon très révé« rend Père, la lettre que vous m'avės fait l'honneur de m'écrire du 5 de ce mois, avec les complimens gracieux que vous avés eu la bonté d'y ajouter << sur le mariage de mon neveu & sur la grâce que le Roy luy a faite, en luy << donnant le gouvernement de Montpellier. Je regarde l'un & l'autre, mon «< très révérend Père, comme la suite & l'effet de vos mouvemens obligeans « & de vôtre bonne volonté pour ce mariage, & je vous prie d'être persuadé « que j'en conserveray une éternelle reconnoissance 3. »

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Fallait-il prendre en main la cause d'un opprimé, agir en faveur d'un confrère tombé en disgrâce & malheureux, dom Vaissete n'hésitait pas; c'est sur la réputation que lui avait faite son zèle charitable, qu'un pauvre reclus,

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le P. Salomon Jouy, crut devoir implorer son appui. La persécution contre les appelants de la bulle Unigenitus & tous ceux qui étaient suspects de jansénisme, sévissait toujours avec la même rigueur. S'ils appartenaient au clergé régulier, une lettre de cachet' les confinait dans quelque maison de leur ordre, éloignée, d'un séjour incommode & déplaisant; les incorrigibles ou dangereux, comme Louvard, étaient plongés dans les cachots de la Bastille. Les couvents avaient été transformés en succursales des prisons d'État, sous la surveillance de la police.

Dom Salomon était un des opposants les plus mal notés; il avait été d'abord relégué dans l'abbaye de Vierzon, au diocèse de Bourges. Au dire du rédacteur des Nouvelles ecclésiastiques 2, le curé & le vicaire du lieu allaient de porte en porte, décriant ce religieux, répétant aux fidèles qu'ils ne pouvaient entendre sa messe sans péché, ni satisfaire au précepte de l'Église, en y assistant les dimanches & les fêtes. Le supérieur général de Saint-Maur, le père J.-B. Alaydon, courroucé contre dom Salomon, enjoignit au sousprieur de Vierzon de le faire partir & de l'interner, soit à Solignac, dans le Limousin, soit à Saint-Michel de l'Herm, dans le bas Poitou, près de Mortagne. C'est à Saint-Michel que nous le retrouvons lorsqu'il écrivit à dom Vaissete. Il était retenu depuis cinq ans dans cette sorte de carcere duro, condamné à toutes les rigueurs de la discipline monacale, privé de mettre le pied dehors, n'ayant ni cloître, ni cour, ni jardin pour la promenade; cette lettre, qui est un tableau pris sur le vif de l'intérieur de ces maisons de correction, mérite d'être lue 3.

Si les douces & aimables qualités de dom Vaissete entraînaient vers lui tous les cœurs, son savoir lui avait acquis la considération & l'estime universelles. Il était regardé comme un des oracles de la congrégation, & sa célébrité s'était répandue partout au dehors. Ses confrères les plus doctes prenaient volontiers son avis dans les questions d'érudition les plus difficiles & lui soumettaient leurs ouvrages. Il n'aurait tenu qu'à lui de s'élever aux dignités de l'ordre, si ses goûts pour l'étude ne l'eussent retenu dans sa cellule; il n'en sortit que dans deux occasions pour exercer des fonctions actives: en 1738, comme official de Saint-Denis & de la juridiction de cette abbaye, qui s'étendait jusque dans le diocèse de Rouen *, & en 1746, en la même qualité, à

Saint-Germain des Prés 5. D'après les inductions que l'on peut tirer de

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l'examen de ses papiers, il est à croire que ces fonctions n'étaient pas trop absorbantes, puisque l'on n'y rencontre qu'une seule pièce émanée de son officialité de Saint-Denis c'est un certificat d'indigence délivré à deux de ses justiciables du diocèse de Rouen, le nommé Louis Fuzilier, & une femme, Marie Tremblay'.

Après avoir esquissé la biographie de notre illustre historien, il nous reste à faire connaître les religieux qui reçurent la mission de continuer le Supplément qui devait former le tome sixième de l'Histoire de Languedoc, & que la mort ne lui permit pas de conduire jusqu'au bout.

VII

Dom Bourotte est nommé en remplacement de dom Vaissete.
& dom Malherbe. [1758-1793.]

Ses continuateurs, dom Soulaire

Dans l'année qui suivit la mort de dom Vaissete, l'archevêque de Narbonne, M. de la Roche-Aymon, héritier du zèle de ses prédécesseurs pour l'Histoire de la Province, demanda au père général de Saint-Maur un de ses religieux, capable de reprendre & mener à bonne fin le sixième volume décrété par les États. Celui-ci fit choix de dom Bourotte, profès de l'abbaye Saint-Remi de Reims depuis le 13 août 1727. Né à Paris en 1710, le P. Bourotte comptait alors quarante-sept ans. Il s'était déjà fait un nom, parmi ses confrères, par sa coopération à la Collection des Conciles des Gaules & de France, entreprise par dom Hervin, & qui de leurs mains était passée dans celles de deux bénédictins des Blancs-Manteaux. Dom Bourotte fut présenté à Monseigneur de Narbonne qui l'agréa & le chargea de lui faire un rapport sur l'état des papiers laissés par dom Vaissete, & sur le degré d'élaboration auquel ce sixième volume avait été porté. Mais, avant tout, il fallait avoir une notion du plan que dom Vaissete se proposait de suivre & dont il avait rendu compte aux États dans un mémoire qu'il leur soumit en 1746. Malheureusement ce mémoire qui aurait été le meilleur guide du continuateur s'était égaré, & malgré toutes les recherches faites dans les archives de la Province, il ne put être retrouvé. Dom Bourotte y suppléa par des inductions que lui suggéra une étude attentive & minutieuse des documents mis en sa possession. Il reconnut la triple division que devait recevoir le Supplément

M. de Charolais rejetait cette abominable action sur le compte de son frère l'abbé, espèce de maniaque bien connu pour tel par ses excentricités, & notamment par ses démonstrations sur le tombeau du diacre Pâris.

'Pièces justificatives, 1re série, n. 21.

Pièce mentionnée dans le Mémoire sur le sixième volume de l'Histoire de Languedoc, du 1er janvier 1758; Pièces justificatives, 2o série, n. 21.

projeté 1o les annales du règne de Louis XIV; 2o la description géographique du Languedoc; & 3° les suites chronologiques.

Pour dom Vaissete, si bien informé des sources, familiarisé de longue date avec les monuments historiques de la Province, le travail que comportait ce sixième volume n'offrait pas de grandes difficultés. Il avait rassemblé de nombreux matériaux & il n'avait plus qu'à les coordonner & à les disposer pour l'impression; aussi avait-il très-peu avancé sa rédaction.

Dom Bourotte constata que les Annales depuis 1643 jusqu'en 1667 constituaient un tout complet & n'avaient besoin d'aucun remaniement. Les années postérieures, jusqu'en 1699, étaient en préparation seulement & les indications de l'auteur jetées sur des feuilles volantes. Quant à la Description géographique, dom Vaissete l'avait ébauchée depuis longtemps & il n'y avait plus qu'à en réunir les éléments dispersés, soit dans ses portefeuilles, soit dans sa Géographie historique, &, d'après ses intentions ultérieures, à la compléter par une ample table alphabétique de tous les noms de lieu du Languedoc, avec la mention de la juridiction temporelle dont chaque lieu relevait.

De la troisième partie du Supplément, se composant des suites chronologiques, il n'y avait de rédigé que celles des évêques & archevêques des deux métropoles, Narbonne & Albi. Le reste ne consistait qu'en un amalgame de noms & de dates inscrits pareillement sur des feuillets détachés.

On voit que c'est là exactement le plan très-sommairement énoncé par dom Vaissete dans l'Avertissement de son cinquième volume. Dom Bourotte fait remarquer que son devancier emploie à dessein l'expression de suites & non pas de listes, parce que ces suites devaient être un ouvrage détaillé, appuyé de preuves, & représenter les fastes du clergé & de la noblesse de la Province, de même que la Description géographique devait former une sorte de corps d'archives des villes & des communautés ecclésiastiques, municipales & autres. Il conclut son mémoire par l'énumération des additions & améliorations que réclame le plan de dom Vaissete & en sollicitant la protection & les secours des États.

Le choix que l'archevêque avait fait de lui fut ratifié par cette assemblée dans sa séance du 24 janvier 1758; elle décida en outre qu'un traitement de mille livres lui serait alloué comme à son prédécesseur'.

Pour composer une description géographique telle que la concevait dom Bourotte, c'est-à-dire enrichie de toutes les données de la statistique, il pensa qu'il lui était nécessaire de visiter préalablement les archives des États, à Montpellier, & surtout d'avoir des informations locales provenant de tous côtés, dans la Province. Il rangea les objets de ces informations sous quatre chefs principaux qu'il intitula : 1° Ordre ecclésiastique, 2° Ordre civil, 30 Ordre municipal, & 4° Ordre militaire & noblesse, & qu'il résuma en

'Lettre de M. de Joubert à dom Bourotte, du 10 février 1758; Correspondance, n. 167.

une série de questions adressées aux officiers civils & aux curés des divers diocèses.

Ce questionnaire, avec le mémoire dont il est le corollaire', imprimé par ordre des États, fut répandu à profusion par les syndics généraux. Pendant quatre années, de 1759 à 1763, M. de Joubert ne cessa d'interpeller par des lettres réitérées les syndics particuliers placés sous ses ordres dans les diocèses & les communautés, ainsi que toutes les personnes dont il espérait obtenir des communications 2.

Dans le nombre de ces correspondants, les uns envoyèrent d'utiles renseignements, les autres de belles promesses qui restèrent sans effet. MM. de Montferrier & de la Fage n'étaient pas moins pressants que leur collègue 3. Quelques particuliers transmirent leurs observations bénévolement, d'autres alléchés par la vanité de voir leurs noms inscrits dans l'ouvrage. Mais l'empressement ne fut pas égal partout; tandis que du bas Languedoc affluaient les réponses, on n'en avait reçu de la généralité de Toulouse, en 1763, que cinquante environ 4.

Un des confrères de dom Bourotte, le P. Massanes, alors en séjour à Narbonne & témoin de ce qui se passait dans le pays, lui fit sentir les inconvénients de ce mode d'investigation par des intermédiaires & les déceptions qui devaient en résulter, & l'engagea à se transporter lui-même sur les lieux, ou à faire partir un religieux assez habile pour le remplacer 5.

« 1o La plupart des curés, lui disait-il, ou magistrats chargés de remplir les articles de vôtre prospectus sont incapables de vous seconder; ce qui << appert par quelques mémoires que l'on m'a communiqués, dans lesquels il « est aisé de juger quils n'ont pas même compris ce qui leur étoit proposé.

2o L'intérêt ou la passion guident le plus souvent la plume de ceux qui << ont pris le vrai sens de vôtre prospectus; le peu ou le trop d'union d'un «< curé avec le seigneur du lieu dicte communément les titres de la paroisse « & ceux des familles & de leurs possessions.

« 3° Il est peu de curés ou de magistrats dans nôtre Province qui soient en « état de déchiffrer les vieux titres & les inscriptions; moins encore en est il qui aient une connoissance exacte des anciens monumens de la Province « ou de ses monnoies.

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« 4° Le langage du Languedoc, différent en divers lieux, a varié en

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