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lera jamais; vous l'anéantiffez. Corneille fut un grand Poëte; parut-il au grand jour Rodogune ou Cinna à la main? Jamais, jamais il n'eût enfanté ces deux prodiges, fi, vivant dans notre fiècle, il fe fût ouvert la carrière des Lettres par Clitandre. Tout a dans la nature une gradation imperceptible. Le fleuve, vers fa fource, ne roule point d'abord des eaux profondes & majef tueufes. Le foleil naiffant eft foible & peu radieux. L'aigle, avant de s'élever aux nues, rafe long-temps la furface de la terre; & vous voulez que le Poëte feul foit, à fon aurore, ce qu'il doit être à fon midi ?

J'ofe espérer que le Public aura quelque indulgence pour mon extrême jeuneffe. Mais je le prie de m'avertir de mes défauts. Je recevrai fes avis avec toute la docilité d'un homme qui veut,

en s'efforçant de faire des progrès, mériter' fes applaudiffemens : confolé par cette penfée, que fi l'on trouve des fautes à corriger dans mes pièces, c'eft une preuve que le tout n'eft pas mauvais.

LE POETE MALHEUREUX.

ous que

VOUS
l'on vit toujours chéris de la fortune
De fuccès en fuccès promener vos défirs,
Un moment, vains mortels, fufpendez vos plaifirs:
Malheureux.... ce mot feul déjà vous importune?
On craint d'être forcé d'adoucir mes deftins?
Raffurez-vous, cruels; environné d'alarmes,
J'appris à dédaigner vos bienfaits incertains,
Et je ne viens ici demander que des larmes.

SAVEZ-vous quel tréfor eût fatisfait mon cœur ?
La gloire mais la gloire eft rebelle au malheur;
Et le cours de mes maux remonte à ma naissance.
Avant que, dégagé des ombres de l'enfance,
Je puffe voir l'abîme où j'étais defcendu
Père, mère, fortune, oui, j'avais tout perdu.
Du moins l'homme éclairé, prévoyant fa misère
Enrichit l'avenir de fes travaux présens ;
L'enfant croit qu'il vivra comme a vécu fon père,
Et, tranquille, s'endort entre les bras du temps.
La raifon luit enfin, quoique tardive à naître.

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Surpris, il fe réveille, & chargé de revers
Il fe voit, fans appui dans un monde pervers,
Forcé de hair l'homme, avant de le connaître.

SAISON de l'ignorance, ô printemps de mes jours!
Faut-il que, tourmenté par un instinct perfide,
J'aye, à force de foins, précipité ton cours,
Trop lent pour mes désirs, mais déjà si rapide!
Ou faut-il qu'aujourd'hui, fans gloire & malheureux,
Jufqu'à te défirer je rabaiffe mes vœux !
Pareil à cet aiglon qui de fon nid tranquille,
Voyant près du foleil fon père tranfporté,
Nager avec orgueil dans des flots de clarté,
S'élève, bat les airs de fon aîle indocile,
Retombe, & ne pouvant le fuivre que des yeux,
En accufe fon nid, & d'un bec furieux

Le difperfe brifé, mais en vain le regrette,
Quand, égaré dans l'ombre, il erre fans retraite.

MAIS on admire, on aime, on foutient les talens;
C'eft en vain qu'on voudrait repouffer leurs élans:
Sur fes pâles rivaux renverfant la barrière,
Le Génie à grands pas marche dans la carrière.

C'EST Vous qui l'affurez ; & moi,

que les destins

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Ont toujours promené fur la fcène du monde,
Je dis : & ma jeuneffe en naufrages féconde,
(
Etudia long temps les perfides humains,

Apprit où s'arrêtaient les forces du génie )
« Le talent

rampe & meurt, s'il n'a des aîles d'or,

» Ou, vendant fes vertus, rare & noble trésor,

» Lève un front couronné de gloire & d'infamie ».

QUE ne puis je, ô mortels, être accufé d'erreur!

Quel que
foit mon orgueil, oui, j'aimerais à croire
Que j'ai par trop d'audace irrité mon malheur;
Que je frappais fans titre aux portes de la gloire :
Il en coûte à mon cœur de vous croire méchans;
Mais expliquez, cruels, l'énigme de ma vie,
Ou rendez-moi raifon de votre barbarie.
Dieu plaça mon berceau dans la poudre des champs,
Je n'en ai point rougi: maître du diadême,
De mon dernier fujet j'euffe envié le rang,
Et honteux de devoir quelque chofe à mon fang,
Voulu renaître obfcur, pour m'élever moi-même.
A l'âge où la raifon fommeille, oifive encor,
La mienne impatiente ofe prendre l'effor:

Au nom feul d'un grand Homme on voit couler mes larmes,
Grand Dieu! ne puis-je encor m'élancer fur fes pas!

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