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Mes jours coulaient heureux dans une paix profondes

Ton épouse, oubliant tout le reste du monde,
Marchait avec orgueil, efclave de tes vœux,
Et croyait, plaire au ciel en te rendant heureux.

Un inftant détruit tout. O mortelle penfée;
Ton départ en enfer change mon Elyfée :
Autrefois je pouvais défirer & jouir,

Et maintenant, que puis-je ? Hélas! pleurer, gémir

2

Chère Elife, & ma fœur ! c'est toi qui m'as perdue,
Tu verfas dans mon fein le poifon qui me tue a
Ton amitié fans ceffe irritant man ardeur,
Me vantait fes aïeux, fes vertus, fa valeur..
Carthage, difais-tu, fous fes lois floriffante
Devait porter aux cieux fa tête triomphante;
Et Reine, amante, heureuse,, unie à fes deftins
Je n'aurais à couler que des momens fereins.
Omenfonges flatteurs qui m'avez trop féduite!
Fai dédaigné vingt Rois, & ce Troyen me quitte!
Faut-il qu'à tes confeils mon cœur fe foit prêté ?
Ne pouvais-je à l'amour oppofer la fierté ?
Ah! paifible du moins & dans l'indifférence,
J'aurais vu fuir mes jours, heureux

par

l'innocence;

Er vous, Manes facrés de mon premier époux,
La foi
que je vous dus ferait encore à vous.

Qu'ai-je fait? malheureuse! à quoi fuis-je réduire?
Perfide, vois les maux où m'expofe ta fuite;
Vingt Rois que j'ai bravés menacent mes Etats.
Vois nos champs, vois ces murs hériffés de foldats,
Vois Iarbe à leur tête, échauffant le carnage,
Le fer, la flamme en main, anéantir Carthage.
Mai, femme, fans appui, comment parer ces coups
Comment de tant de Rois appaiser le courroux?
Où me cacher? où fuir? où trouver un afile?
J'en avais un, hélas ! & j'y vivais tranquille;
C'eft pour t'avoir aimé qu'il ne m'en refte plus,
Et de
peu jours heureux m'ont été bien vendus...

Irai-je avec mon peuple, & loin de cette terre,
Mendier dans Sidon du fecours à mon frère ?
C'est la fureur, c'est lui, qui, de fon or jaloux,
Enfonça le poignard au fein de mon époux.
Irai-je à ces tyrans armés contre ma vie,
Offrir, pour les calmer, une maîn avilie
Moi, qui les ai tous vus, amans humiliés,
Dépofer, mais en vain, leurs fceptres à mes pieds?
Rois, animez plutôt vos foldats au carnage;

Palais, embrafez-vous, tombez, murs de Carthage!
Et toi, perfide, & toi, plus barbare qu'eux tous,
Viens de ta propre main me livrer à leurs coups:
La recevant de toi, la mort me fera chère;
Tu m'entendras encore, à mon heure dernière,
Former des vœux pour toi, te dire : « Cher amant,
J'ai vécu pour t'aimer, & je meurs en t'aimant ».
Eh bien, que tardes-tu? couvre-moi, nuit profonde!
Mon amant est le nœud qui m'attachait au monde ;
L'innocence, l'honneur me le faifaient chérir;
Je les ai tous perdus.... Je n'ai plus qu'à mourir.
Quel prix pour mes bienfaits! quel prix pour ma ten-
dreffe!

Mourir! ah! c'est donc là le fort qu'à ta maîtreffe
Réfervait... Mais que fens-je?&quel trouble en mon fang?
Dieux ! le fruit de mes feux vient d'agiter mon flanc !
Eh bien, je m'y réfous, vivons pour être mère.
Cher amant, voudras tu lui refuser un père ?
C'eft ton fang, c'eft ton fils, fon fort doit t'attendrir;
Avant de voir le jour le feras-tu périr?

Quand même je pourrais, après ta perfidie,

Traîner en fa faveur le fardeau de ma vie ;

Mes troubles, mes foucis, l'horreur de mon destin, Sans doute lui feront un tombeau de mon fein;

Ah! s'il voyait le jour! fi, portrait de fon père,
Il folâtrait déjà fous les yeux de fa mère,

La vie aurait encor pour moi quelques douceurs:
D'une main careffante il effuîrait mes pleurs;

Je t'aimerais en lui, je t'y verrais fans ceffe: «Voilà fes traits, fes yeux, fa fierté, fa nobleffe, Dirais-je avec transport, » c'est lui, c'est mon amant, » C'eft Enée; il avoit cet air tendre & charmant,

כל

Cette aimable candeur brillait fur fon visage,

Quand, victime des flots, il parut dans Carthage ».

Mais puifqu'enfin le ciel, propice à tes fouhaits,
Au lieu de les punir, protège tes forfaits;
Puifque, pour t'arrêter, pitié, reconnoiffance,
Amour, nature, honneur, tout paraît fans puissance;
Je ne te retiens plus : ingrat, fuis loin de moi.
Vénus n'a pu produire un monftre tel que toi;
Horrible nourriffon des tigres d'Hircanie,
Ta bouche avec leur lait fuça leur barbarie,
Et les mers en fureur, te roulant dans leurs flots,
T'ont vomi fur ces bords pour m'accabler de maux.
Monftre, tu fus trop bien remplir ta destinée,
Je fuis du monde entier la plus infortunée.
Je brûle, je languis, je codnamne mes feux;

Pour détacher mon cœur de fes indignes nœuds,
Malheureuse! il n'eft rien que ma raifon n'emploie §
L'amour semble encor plus s'attacher à sa proie.

Eh bien, puisque le ciel rend vains tous mes efforts,
Suivons aveuglément le cours de mes transports.
Que m'importe qu'un monde où règne l'injustice,
Au gré des préjugés m'élève ou m'avilisse?
Non, n'écoutons plus rien que la voix de mon cœur
Ma gloire, mon defir, mon devoir, mon bonheur
Eft de fuivre l'époux à qui je fuis liée :
Quelle autre à fes revers doit être associée ?
Cher amant, vois fur moi jufqu'où va ton pouvoir.
Fuis, mais dans tes vaiffeaux daigne me recevoir,
Conduis-moi, fi tu veux, aux plus lointains rivages,
Je te fuivrai par-tout; écueils, frimas, orages,
Je n'examine rien, rien peut-il m'effrayer?
Je fuis prête à tout fuir, à tout facrifier:
Ces murs que j'ai bâtis, mes sujets, ma couronne,
Le monde, s'il fallait, pour toi je l'abandonne.
Eh! qu'importe où je vive, en vivant près de toi ?
Puis-je rien regretter fi ton cœur eft à moi ?
L'amour faura de fleurs parfemer ma carrière,
L'amour donne la vie à la nature entière.

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