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O toi, qui dans mon fein mis toutes ses fureurs,
Enée, as-tu jamais bien fenti fes douceurs,
Ces élans enflammés vers l'objet que l'on aime,
Ce trouble, ces tranfports, cet oubli de foi-même,
Ces extafes où l'ame, à force de fentir,

Au fein des voluptés femble s'anéantir,

Cette douce langueur qui fuit toujours l'ivreffe,
Rend aux défirs leurs feux, au cœur plus de tendreffe?...
Ah! dans tes bras jadis j'ai goûté ces plaifirs!
Confumée à présent de stériles défirs,

Abandonnée, en proie aux plus vives alarmes,
Je vais brûler, languir, & fécher dans les larmes ;
Voilà, perfide, encor les moindres de mes maux :
Un mot de toi peut feul me rendre le repos;
Mais fi mes pleurs font vains, fi mon offre eft frivole,
Si tu veux fuir fans moi, c'en eft fait, je m'immole.
Quand tu fors de mes bras pour n'y jamais rentrer,
Quand de moi pour jamais tu vas te féparer,
Quand je perds tout en toi, qui m'attache à la vie?
Non, ce n'est point le fruit de ma flamme trahie;
Nos nœuds rompus, qu'est-il? un témoin odieux
Dont le front offrira ma honte à tous les yeux.
Hélas! toutes les fois qu'il me dirait fa mère
Il me faudra rougir & maudire fon père !

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Et lui, lui-même un jour, partageant mon destin, Souhaiterait cent fois d'être mort dans mon fein. « Quel don, me dirait-il, pleurant fon infamie, » Quel don m'avez-vous fait en me donnant la vie? » Mon cœur eft innocent; j'ai des Rois pour aïeux, » Et le plus vil mortel me fait baiffer les yeux.

כל

Reprenez, reprenez ce préfent déteftable;

Il eft dur de rougir quand on n'eft point coupable».

Quel reproche! ô mon fils !.... Eh bien! meurs dans mon flanc .....

Barbare! vois mon bras armé d'un fer fanglant,
Se plonger dans mon fein, &, bravant la nature,
Y chercher cet enfant, fruit de ton feu parjure;
Vois ces membres naiffans, déchirés en lambeaux,
Vois fon fang, vois le mien couler à longs ruiffeaux
De mes flancs entr'ouverts & fumans de carnage,
Mon défefpoir, ma mort, & connois ton ouvrage.
Ce projet eft terrible, il fait frémir d'horreur....
Cher amant, cher époux, laiffe attendrir ton cœur:
Rendez-le, Dieux puiffans, fenfible à ma prière,
Ou faites à Didon oublier qu'elle eft mère....
Mon bras

peut s'arrêter au feul nom de mon fils. La nature... Qu'entens-je ? ah, Dieux !... ce font fes cris!

Que vas-tu faire? arrête !.... O mère impitoyable, » Entends gémir ton fils.... Il meurt... est-il coupable »? Et moi, le fuis-je, ingrat? Oui, d'avoir

pu t'aimer, Mais non de fuir un monde où tout doit m'alarmer ; Où le fceptre à la main, fur le trône élevée,

A la honte, au mépris je me vois réservée.
Ah! contraint de choifir l'infamie ou la mort,
Qui peut craindre un inftant de terminer fon fort?
Devant tout l'univers à rougir condamnée,

Je n'ai déjà que trop fouffert ma destinée.
Mourons.... Si le trépas ne nous rend point l'honneur,
Ah! de rougir au moins il épargne l'horreur!
Si je commets un crime, ô Dieux! votre colère
Doit tomber fur celui qui le rend nécessaire.
Tremble, ingrat! c'eft toi feul que puniront les Dieux,
Et je vole en mourant t'accufer devant eux.

Cher Enée, ah! plutôt permets moi de te fuivre.
Mais tout est décidé, pars, je cesse de vivre.
Que ne puis-je à l'instant m'offrir à tes regards,
Pâle, défigurée, & les cheveux épars!

Viens me voir, viens, cruel!.... mon teint n'a plus de

charmes :

En proie au défespoir, les yeux noyés de larmes,

Je tiens, en t'écrivant, ma plume d'une main,
Et de l'autre un poignard prêt à percer mon fein.
Détermine mon fort; parle, qu'on me l'annonce;
Didon, pour se frapper, n'attend que ta réponse.

Vous av

LETTRE

A M. IM BERT.

ous avez raison, Monfieur : pour être aujourd'hui distingué de la foule des Ecrivains, Poëte & Profateur infatigable, il faut s'exercer dans tous les genres de Littérature, entaffer volumes fur volumes, & ne pas laiffer au Public, fi j'ofe m'exprimer ainfi, le temps de refpirer : la célébrité eft la récompenfe de l'Auteur le plus fécond, & non de l'Auteur le plus excellent. Auffi feroit-il impoffible de citer un fiecle qui ait produit autant d'Ouvrages favans & littéraires, que le nôtre en a vu paroître. Le dernier des Rimeurs modernes peut fe vanter d'avoir plus écrit que le premier Génie du fiecle paffé, & faire graver en lettres d'or au bas de fon portrait: Je fuis un Auteur univerfel.

Mais cette célébrité que l'homme de Lettres acquiert par la multitude & la variété de fes productions, la conferve-t-il dans la poftérité? Non, fans doute ; & l'on connoît les difgraces tragiques de nos Beaux-Efprits fi vantés. Leur réputation furvit à peine à leur favante perfonne ; & pour ne parler que de Fontenelle & de la Motte, malgré tout leur mérite, combien font-ils déchus de leur

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