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elle avoit été charmée de ce qu'ils avoient dit l'un & l'autre, ajoutant qu'elle fouhaiteroit fort qu'ils voulûsfent l'inftruire fur un fujet qu'ils ne venoient que d'ébaucher. Alcidon lui ayant dit que ce qu'il en fçavoit, il l'avoit appris de l'Abbé, qui s'appliquoit depuis long-tems à cette matie

elle le pria très- férieufement de vouloir bien l'en entretenir durant l'automne; ajoutant que la compagnie qu'elle avoit aimant fort le jeu, il ne leur feroit pas difficile de trouver un tems fuffifant pour traiter dans des converfations réglées un fujet fi intéreffant. Je vous avouerai même, continua-t'elle, que ce n'eft pas d'aujourd'hui que j'ai été perfuadée que les Fables pouvoient avoir quelque rapport avec l'hiftoire ancienne; mais je n'en fçavois pas davantage. Cependant c'eft là un préjugé de moins que vous aurez à détruire. En vérité, Madame, reprit l'Abbé, fi vous me croyez, vous vous en tiendrez à ce que nous venons de dire. L'explication des Fables demande de grandes difcuffions, fouvent très-épineuses; & il faut, outre cela, fe contenter fouvent de fimples conjectures. On trouve même dans les Anciens tant de variétés

fur la même Fable, tant de circonftances, qui quelquefois même fe contredifent ; & dans ceux qui ont entrepris de les expliquer, tant d'opinions différen→ tes, que la difcuffion vous rebuteroit plus d'une fois. Non, Monfieur l'Abbé, répartit-elle, rien ne me rebutera : vous vous êtes trop avancé pour reculer : il ne faut pas irriter, comme vous l'avez fait, la curiofité d'une femme, à moins qu'on ne veuille la fatisfaire entiere ment. Mais, Madame, répartit l'Abbé, fçavez-vous bien qu'en ramenant les Fables à leur fens naturel, on diminuë beaucoup de leur beauté; on fait difparoître ce merveilleux qui enchante, & qui en général eft fi fort de notre goût. Les Fables font, fi vous voulez, une perspective qu'il ne faut pas voir de trop près: c'eft une belle tapifferie, qui ne préfente que d'agréables paysages, une verdure, des ruiffeaux charmans; l'explication en eft l'envers, qui ne laisse voir que des fils & des foyes comme tracées au hazard. Quand vous lifez votre Ovide, ou que vous voyez un bel Opéra, vous êtes accoutumée à voir Hercule comme un héros galant & doucereux, qui dit à Alcefte, dont la beauté l'avoit frappée: Non, encore une fois

Princeffe trop charmante, gardez-vous bien de m'arrêter ; & non pas un négociant, comme le croyoit M. Le Clerc, ou un guerrier ruftique & brutal, qui ne fait quartier à perfonne, qui enleve toutes les femmes qui lui plaifent, ou qui s'abaiffe à filer pour plaire à la Reine de Lydie. Vous ferez fâchée d'ap prendre que le Dragon de la Toifon d'or & le Taureau aux cornes d'airain, qui vomiffent des torrens de flammes, n'étoient qu'une fauffe clef que Medée donna à Jafon pour enlever les tréfors que fon pere avoit ufurpés; que les Pommes d'or du Jardin des Helpérides, n'étoient que des oranges & des citrons ; que le combat d'Hercule avec Acheloüs, ne fignifie que la digue que ce Héros, avec les troupes, éleva pour arrêter les inondations de ce Fleuve ; que le Minotaure, & toute la fuite de cette Fable, ne renferme que l'hiftoire des amours de Pafiphaé avec un guerrier nommé Taurus ; & le Labyrinthe de Dédale, les foins d'un confident qui les favorifoit; que Scylla & Charibde, ces deux monftres, dont l'un engloutiffoit les vaiffeaux, que l'autre revomiffoit enfuite, n'étoient que deux roches du détroit de Meffine, qui en rendoient la

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navigation dangereufe; que la pluye d'or, en laquelle fe métamorphofa Jupiter, n'étoit que l'argent que Pretus, oncle de Danaé, donna à ceux qui gar doient la tour dans laquelle Acryfe tenoit cette Princeffe enfermée. Que fçaisje? Ganymede enlevé par Jupiter, & Hiacinthe que tuë Apollon par un accident imprévû, ne font que deux jeunes Princes, dont l'un eft enlevé par un Roi de Lydie; l'autre, après avoir fait paroître un goût déclaré pour les belles lettres, meurt dans fa jeuneffe. Vous n'irez plus à l'Opéra d'Andromede ou d'Hefione, quand vous fçaurez que les monftres aufquels la Fable dit qu'on les avoit expofées, n'étoient que quelques corfaires qui ravageoient les côtes de Phénicie & de la Troade; encore moins à celui de Bellerophon, quand je vous aurai dit ce que c'étoit que la Chimere. Il en eft de même des autres Fables: ainfi je crois que nous ferons bien d'en demeurer là. Voilà, dit Eliante, l'excufe d'un pareffeux qui craint le travail: Vous croyez peut-être m'avoir rebutée par ce tour ingénieux; au contraire, ma curiofité en eft augmentée ; j'entrevois par là un plus grand fond d'hiftoire dans les Fables que je n'y en avois foupçon

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né je veux m'approcher de votre per fpective, & voir l'envers de la tapif ferie en un mot, je veux fçavoir la Fable & ce qu'elle renferme la moindre vérité, quelque fimple qu'elle foit, me fait plus de plaifir que les fictions les plus brillantes (a). Puifque cela eft ainfi, Madame, dit l'Abbé, nous commencerons demain à entrer tout de bon en matiere : c'eft à vous à décider du tems, & de dérober à la compagnie, que je vois qui vient nous rejoindre, la connoiffance de nos entretiens. Vous me permettrez seulement, lorfque nous les tiendrons, ou dans votre appartement, ou dans le jardin, de porter mes recueils ; car n'y eût-il que les citations, qui feront fréquentes, ma mémoire ne pourroit pas me fournir tout ce que j'aurai à vous dire.

(a) Meliùs eft quod quod ex arbitrio fingi poteft, cumque verum, quàm omne S. Aug.

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