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partit Eliante, que le mal est toujours plus prompt & plus réel, que la réparation & le repentir. Je crois bien, continua-t'elle, que cette fiction n'a rien d'hiftorique. Vous penfez jufte, dit l'Abbé; & il y en a quelques autres de cette nature, telles que font celles qui font inventées à plaifir & feulement pour amufer, telles que les Fables qu'on nommoit Miléfiennes & Sybaritiques. On peut mettre auffi au nombre des Fables morales celles aufquelles on donna le nom d'Apologues, où l'on fait parler les animaux pour inftruire les hommes. Enfin il y en a un grand nombre qui renferment en même-tems l’hiftoire, la phifique & la morale, comme celle dont je vous parlai hier, des enfans de Niobé, qui avoit fait paroître un mépris marqué pour Latone. Le fond en eft exactement vrai; la morale eft qu'il faut toujours avoir du refpect pour les Dieux; & la phifique eft qu'une chaleur immodérée caufe la contagion.

Les Fables hiftoriques font ailées à connoître, puifqu'il y eft parlé de perfonnages qu'on connoît d'ailleurs, tels qu'Hercule, Jafon, Thefée, Caftor & Pollux, & une infinité d'autres : celles

qui font inventées à plaifir fe décelent elles-mêmes par les contes ridicules qu'elles font de perfonnes inconnuës, ainfi que nos Contes des Fées. Le fens des Fables morales n'eft pas ordinairement difficile à pénétrer: on voit l'allégorie au premier coup d'oeil. Pour les Fables philofophiques, elles font remplies de profopopées, qui tendent à animer la nature l'air, la terre & les élémens y font toujours déguifés fous le nom de quelque Dieu.

Généralement parlant, le plus grand nombre des Fables poëtiques eft fondé fur l'hiftoire. Ce fut le premier & le principal objet de ceux qui les inventérent. Egalement perfuadés qu'on ne fe repaît pas de pures chimeres, mais qu'auffi la vérité toute nuë a fouvent peu d'attraits, ayant trouvé dans les annales du monde mille fingularités qui méritoient de passer à la postérité, ils voulurent bien nous les apprendre, mais en les revêtant d'un merveilleux qui pût les faire recevoir plus agréablement. La vérité, dit Eliante avoit-elle donc fi peu d'appas, qu'il ait fallu, pour nous la transmettre, la parer de tant de

bizarres ornemens? Mais, fans nous ar rêter à moralifer, continuez, Monfieur

Regles gé.

Hes Fables.

l'Abbé; vous nous avez promis des régles générales pour bien entendre les Fables, & en rendre l'application fa

cile.

La premiere de ces régles, reprit nérales pour l'Abbé, eft de les puifer dans les fourPintelligence ces les plus anciennes, dans les premiers Poëtes, tel qu'Homere. Elles y font pour l'ordinaire plus naturelles & moins ornées que dans ceux qui font venus après lui. Comme le caractere le plus marqué d'une antiquité reculée eft la fimplicité, le rafinement a fait le partage de ceux qui font plus modernes. Chaque Poëte a voulu faire paroître fon efprit, en chargeant les anciennes fictions d'une infinité de nouvelles circonftances, plus fabuleufes les unes que les autres. La Fable de Bellerophon, par exemple, eft racontée fort au long dans l'Iliade d'Homere, fans qu'il y foit fait mention de la Chimere, ce monftre miparti du corps d'un lion, de celui d'une chévre avec une queuë de ferpent, qui eft fi célébre dans les Poëtes poftérieurs à Homere. Dans celle de Meleagre, que le même Poëte débite d'une maniere fi circonftanciée, il n'y parle point de ce tifon fatal laiffé à Althée par les Par ques qui préfiderent à la naissance de ce

Prince; & il y eft dit feulement que cette Reine de Calydon dévoua fon fils aux Furies. Je pourrois vous citer un grand nombre d'autres exemples: mais ceux-la fuffifent pour prouver l'utilité de ma premiere regle.

La feconde regle eft qu'il faut fçavoir que fouvent une Fable hiftorique, quoiqu'enveloppée de quelque fiction, a donné lieu à d'autres qui n'ont aucun fondement dans l'hiftoire. Lorsqu'Homere, par exemple, raconte qu'Eole (1.) (1) Od. 1. 15. avoit donné les Vents à Uliffe, renfermés dans une peau, c'eft une allusion à un fait. Eole qui, par une longue expérience, avoit appris. que quand un certain vent fouffloit fur la mer de Sicile, il continuoit plufieurs jours, affura Uliffe, lorfqu'il partit de l'ifle de Lipara, qu'il jouiroit d'un tems favorable; & le Prince ne fit naufrage que pour s'être trop arrêté dans le parage. Mais lorsque Virgile (2) raconte que Junon étant al- (2)Eneid. lé trouver ce même Eole pour le porter à lâcher les Vents qu'il tenoit renfermés, & qu'il excita cette tempête qui fit périr une partie de la flotte d'Enée; c'est une pure fiction, qui n'a aucun fondement dans l'hiftoire.

La troifiéme, eft qu'il faut fe conten

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ter d'expliquer le gros d'une Fable. Lorfqu'on a faifi le trait d'hiftoire qu'elle renferme, on doit être fatisfait, fans s'embarraffer des circonftances qu'on y a ajoutées, qui fouvent fe contredifent, & font toujours le fruit de l'imagination des Poëtes. Qui eft-ce, en effet, qui pourra jamais fe flatter d'avoir entendu & ramené à un fens raifonnable, toutes celles qu'on a ajoutées à la Fable de Perfée & des Gorgonnes? On verra bien fans doute qu'il eft queftion d'une expédition que fit ce Héros fur les côtes d'Afrique & de Phénicie, où il épousa Andromede, qu'il emmena avec lui dans la Grece. Mais que fignifie cet oeil unique, commun entre les trois Gorgonnes? Que veut-on dire, en nous apprenant que Perfée furprit cet oeil, & coupa la tête à Medufe? que Chrysaor F'épée à la main fortit, ainfi que le cheval Pegafe, du fang de cette Gorgonne? & que la vûë de cette tête pétrifioit tous ceux qui la regardoient? On a beau fe jetter dans le vafte champ des conjectures, peut-on fe perfuader qu'on a deviné?

La quatrième, eft qu'il faut d'abord commencer par écarter d'une Fable tout Je merveilleux qui l'accompagne, tout

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