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été des hommes que leurs actions, auffi→ bien que leurs crimes, avoient rendu célébres. Et je finirois cette lifte de citations en nommant d'illuftres Moder nes, les Voffius, les Marshan, les Bocharts, les Heinfius, & tant d'autres, qui ont découvert dans les anciennes fictions des Poëtes des vérités de la tradition des premiers tems, fur tout de ceux qui fuivirent le Déluge: que le Déluge lui-même tant chanté fous les noms d'O

gygès ou de Deucalion, n'eft que Phif toire défigurée de celui de Noé : que l'entreprise des Géants qui voulurent efcalader le Ciel, n'eft qu'un refte de la tradition du deffein infenfé de la Tour de Babel; ainfi de plufieurs autres, fi je ne craignois qu'une fimple converfation ne dégénérât en un traité complet fur la Fable. Mais, fans chercher tant d'autorités, reprit Alcidon, n'eft-il pas certain que les Jafons, les Thefées, les Hercules, & tant d'autres Héros, font des perfonnages réels? Et fi l'on a mêlé tant de fictions étrangeres à leurs véritables avantures, ne peut-on pas en avoir fait de même des Dieux, & même des autres perfonnages de la Fable, moins connus & moins célébres que les Dieux & les Héros? Dans le fond, continua-t'il, f

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les Fables ne renfermoient que de fimples allégories ou quelques moralités triviales, croyez-vous de bonne foi qu'on eût fait tant de cas des ouvrages des Poëtes qui les contiennent ? Vous le croirez, fi vous voulez pour moi, je ne fçaurois me le perfuader. Au lieu s'il eft vrai, comme il n'y a gueres que, lieu d'en douter, que ces fictions renferment d'anciennes vérités, qu'elles nous préfentent l'hiftoire des tems les plus reculés, on eftimera ces mêmes Poëtes qui les ont raffemblées, en nous confervant ainfi les premieres Annales du monde naiffant. On aura même meilleure opinion des Grecs, en voyant que malgré le penchant qu'ils avoient pour la bagatelle, ils ne fe repaiffoient pas de contes purement inventés; & que, s'ils ont aimé à lire des hiftoires ornées & embellies de fictions, ils fçavoient du moins qu'elles renfermoient des vérités intéreffantes: ce qui quadre bien avec l'idée qu'avoient des Poëtes les plus grands hommes de l'antiquité, qui les regardoient avec raifon comme leurs premiers Hiftoriens.Auffi le judicieux Strabon affure (1) que les Hiftoriens appro- (1) Z. 2. choient du caractere d'Homere à proportion qu'ils étoient plus anciens. Ge

4.1. Strab.

qui fait dire à Cafaubon, fur cet endroit,

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(1) Nota in (1) que lorfqu'il lifoit Herodote, il croyoit lire Homere lui-même. Vous pourriez ajouter encore, reprit l'Abbé, qu'indépendamment de l'hiftoire, mille monumens publics atteftoient la vérité des Fables, & rappelloient le fouvenir des actions de ceux qui en étoient l'objet des Fêtes folemnelles, des Cérémonies publiques, des Temples & des Autels, des Jeux, des Colomnes, des Infcriptions: que fçai-je? La Grece étoit remplie de pareils monumens; & l'hiftoire des Dieux & des Héros étoit répandue également dans les villes & dans les campagnes.

Mais, reprit une perfonne de la compagnie, ne feroit-ce pas affez vous accorder, Meffieurs, que de dire que les Fables poëtiques, différentes en cela des Apologues, renferment, outre la morale des Anciens, leur philofophie, & une partie de leur Religion? Il eft vrai, reprit Alcidon, qu'on y a mêlé de tout cela: mais le premier & le principal objet de ceux qui les inventerent a été d'y renfermer auffi l'hiftoire, en la couvrant, pour la faire recevoir plus agréablement, du voile de la fiction; & on s'éloigne de leur véritable sens, lorfqu'on

n'y cherche que l'allégorie. Croyezvous en effet de bonne foi, continua

t'il, que lorsqu'on a débité que Bacchus, né avant terme, fut mis dans la cuiffe de Jupiter, afin d'y achever fon tems, on ait voulu dire feulement que le vin, dont ce Dieu, dit-on, fut le premier qui en enfeigna l'ufage à l'homme, doit avoir pour bien mûrir une chaleur modérée, telle qu'elle eft dans cette partie du corps, comme l'ont imaginé quelques Allégoriftes? Que les combats des Dieux, dans Homere, fignifient ceux que nos paffions livrent à la raifon; ou, fi vous voulez, la conjonction des Planétes dans le même point du Zodiaque, ainfi que l'ont rêvé d'anciens Scholiaftes de ce Poëte? Que Vulcain ne fut boiteux que parce que le feu fans bois manque & s'éteint, deficit; claudicat, comme on l'a dit? Que Jupiter ne décida que Proferpine fa fille demeureroit fix mois chez Pluton, qui l'avoit enlevée, & les autres fix mois avec Cérès fa mere, que parce que le grain étoit fix mois en terre avant que de paroître, ainfi que le dit le Mythografe Salufte (1)? Qu'on n'a feint que Jupi- (1) De Diis ter avoit époufé Junon, qu'à caufe que ce Dieu qu'on prend effectivement quel

& mundo,

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quefois pour l'air, ainsi qu'on le voit (1) Sub Tove dans Horace (1), rendoit, par le moyen frigido Manet des pluies, Junon ou la terre féconde venator, Et enfin, que le mauvais ménage de ces deux époux fignifioit seulement que l'air trop agité cause les tempêtes? Vous pouvez le croire, fi vous voulez : pour moi, je ne fçaurois me le perfuader; & quand ces allégories auroient eu dans la fuite quelque application, elles n'ont pas été fûrement le premier objet de ceux qui ont débité les Fables d'où on les tira. Dans ce premier objet, Bacchus étoit le conquérant Ofiris, qui porta jufques dans les Indes l'ufage du vin, qui y étoit ignoré. Les combats des Dieux faifoient partie de l'hiftoire des premiers Titans, fi fameux dans les trois parties du monde. Vulcain fut un habile ouvrier, qui établit fes forges dans l'isle de Lemnos; Jupiter, le plus célébre des Titans, époufa, fuivant leur coutume Júnon, qui étoit fa foeur ; & Pluton enleva véritablement fa niéce Proferpine. C'eft ainfi qu'on peut ramener à leur véritable origine ces Fables héroïques, qu'on n'a allégorifées dans la fuite que pour couvrir l'indécence qu'elles jettoient fur l'hiftoire de ceux qui étoient devenus l'objet du culte public. Dans

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