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dées comme les dépofitaires de la plupart des grands événemens arrivés dans ces tems obfcurs qui fuivirent le Déluge, & pendant les premiers établiffemens que les Enfans de Noé firent en différens pays. Le fublime & le furnaturel qu'on rencontre dans les fictions agréables que les Poëtes y ont mêlées, ne les a point éblouis; ils ont employé leur profonde érudition à percer ces ténébres myftérieuses, & à tirer de ce cahos quelques lumieres pour fe conduire dans la connoiffance des tems les plus reculés.

Cependant, quoiqu'on ne puiffe point douter aujourd'hui, que les Fables ne renferment une partie de l'Hiftoire ancienne, il ne faut pas croire que toutes leurs circonftances y faffent allufion : & vouloir trouver quelque fait hiftorique dans toutes leurs parties, feroit une extrêmité auffi vicieufe, que de croi

requ'elles ne renferment que quelques préceptes de Morale & de Phyfique. Voici, felon mon fentiment, leur véritable fyftême.

Les anciens événemens dont le fouvenir s'étoit confervé, faute de lettres, par la feule tradition, ou dans des Cantiques qu'on retenoit par cœur, pafférent enfin dans les Ouvrages des Poëtes, qui ont été les premiers Historiens. Ceux-ci, amateurs du fublime & du furnaturel, & donnant plus au caprice d'une imagination vive & brillante qu'aux règles d'un efprit jufte & modéré, embellirent leurs fujets, & mêlérent la vérité avec les vains ornemens de la Fable. Tel eft le premier état, &, pour ainfi dire, l'enfance & le berceau des Fables, Ceux qui vinrent enfuite à traiter les mêmes fujets, & qui ne crurent pas les premiers Poëtes affez fimples pour n'avoir voulu renfermer fous tant d'agréables fictions que

quelques vérités, fouvent peu intéreffantes, s'imaginérent qu'ils y avoient caché les fciences les plus fublimes; & par le droit & la liberré que l'art poëtique leur donnoit, ils y mêlérent en même-tems plufieurs autres circonftances par rapport à leur Philofophie & à leur Religion: Ainfi les mêmes Fables, qui n'étoient d'abord qu'hiftoriques, devinrent dans la fuite morales, théologiques, & phyfiques. Comme ces derniers fens font plus aifés à développer que l'Hiftoire, les Mythologues s'y font entiérement attachés. Lorfqu'ils ont trouvé, par exemple, que Saturne dévoroit fes enfans; au lieu de dire que ce Prince Titan immoloit fes Sujets à fa fuperftition, ils ont dit que, par cette Fable, les Anciens nous avoient voulu apprendre que le Tems dévoroit toutes chofes: ils n'ont regardé Phaeton foudroyé, que comme l'emblême d'un témé

raire ambitieux : ils n'ont apperçu dans le Combat des Géans, que les affauts que la Volupté livre à la Vertu; ainfi des autres : & ils ont ennuyé le monde par d'éternelles allégories; comme fi l'on devoit fuppofer que des gens qui avoient du bon fens, ayent employé tant d'efprit à nous apprendre des vérités fi communes.

Pour éviter le défaut de ces Allégoriftes, l'on tâchera dans cet Ouvrage de découvrir ce que les Fables ont d'hiftorique, pour les concilier avec l'Hiftoire ancienne. On fçait, par exemple, que Jafon, Hercule & Théfée, fujets éternels des Fables des Poëtes, ne font pas des Héros fuppofés; que l'un eft allé dans la Colchide enlever les tréfors du Roi Eta; que l'autre a purgé l'Attique des ferpens, ou plu tôt des voleurs qui l'infeftoient; & que le troifiéme délivra fa Patrie, par la victoire qu'il remporta fur

Taurus, du honteux Tribut qu'elle payoit au Roi de Créte. Ces événemens, quelques grands qu'ils foient, n'ont pas paru affez glorieux pour les Héros, aux Poëtes qui les ont chantés ; ils y ont mêlé mille fictions; ils les ont défigurés par des ornemens étrangers; ils ont attribué au fecours de leurs Dieux ce qui n'étoit du qu'à la valeur de ces illuftres Grecs; & ils ont ainsi enfeveli les événemens les plus remarquables de leur Hiftoire, fous un pompeux attirail de fictions. Ceft à les féparer, à les démêler, à voir ce qui peut y avoir donné lieu, que l'on s'eft uniquement attaché.

Mais mon deffein n'eft pas de faire ici un fyftême particulier, qui me rejetteroit dans les inconvéniens où font tombés ceux qui ont travaillé avant moi fur ce même fujet. Car c'eft dans cette matiére fur tout qu'il eft très-dangereux de

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