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Malherbe,

Peuvent donner une louange

Qui demeure éternellement.

Il avoit dit encore en s'addreffant au Roi dans une Ode:

Quelle fera la hauteur

De l'Hymne de ta victoire,
Quand elle aura cette gloire
Que Malherbe en foit l'Auteur?

Enfin, foit qu'il parlât à nos Rois, foit qu'il parlât aux premiéres perfonnes de la Cour, il n'avoit pû s'empêcher souvent, de vanter fes vers, de fe préférer à tous les autres Poëtes, & de fe faire l'Auteur de l'immortalité de ceux dont il chantoit les louanges. Mr. Ménage qui en a rapporté divers éxemples, dit que bien que Malherbe mérite toutes les louanges qu'il fe donne lui-même, il ne fe les donne pas tant à caufe qu'il les mérite, que parce qu'il fied bien aux Poëtes de fe louer, la bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes étant un effet de leur enthousiasme.

Mais ce privilége de Poëte auquel Mr. Ménage a voulu avoir grande part pour lui-même, ne paroît pas encore affés autorifé ni univerfellement reconnu. C'est ce que Mr. Gueret (1), Mr. Pradon (2) & quelques autres Critiques nous ont

fait

1. L'Auteur anonyme du Parnaffe reformé pag. 77. item 79. 80.

2. Pradon dans fes nouvelles Remarques anonym.

contre

fait connoître, & le premier de ces Au- Malherbe, teurs n'a point jugé Malherbe excufable de ce que, fans fe contenter d'être le premier Maître de notre Langue & le premier de nos Poëtes qui avoient paru jufqu'alors, il vouloit encore le publier lui-même, au lieu de laiffer aux autres la liberté d'en penfer ce qu'ils voudroient.

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C'est par un mouvement de cette vanité Poëtique, qu'il traitoit Ronfard & Defportes avec la derniere hauteur, il ne pouvoit s'empêcher de les maltraiter de paroles tout morts qu'ils étoient, il les deshonoroit par tout à caufe de leurs fautes il tâchoit d'abolir leur mémoire par une ingratitude d'autant plus lâche que ces Auteurs infortunés ne lui avoient fait jamais que du bien. Et il faut que cet orgueil qui lui faifoit méprifer tous les autres Poëtes, ait été bien public, puisqu'il a été même remarqué par les étrangers (3).

La vanité n'eft point le feul défaut moral qu'on ait remarqué dans les Poëfies de Malherbe. Quelques-uns ont voulu y trouver encore des marques de quelque baffeffe d'ame & de quelques attaches trop intéreffées, qui lui ont même ôté quelquefois les fentimens naturels de l'hu manité. Mais je penfe que ce reproche n'a point d'autre fondement que l'Epitaphe d'un de fes parens nommé Mr. d'Is (1),

contre les Ouvr. de D.....

3. Johan. Jacob. Hofman in Lexico Univerfali pag. 975. & ex eo Georg. Math, Konigius in Bi blioth, Vet, & Nov

Malherbe, (1), dont il étoit héritier, dans lequel il a témoigné fouhaiter de voir toute fa parenté au tombeau pour avoir tout le biende fa famille; voici les vers de Malherbe fur ce fujet :

Ici deffous gît Monfieur d'Is.

Plût or à Dieu qu'ils fuffent dix!

Mes trois fœurs, mon Pere, & ma Mere,
Le grand Eleafar mon Frere;

Mes trois Tantes, & Monfieur d'Is.
Vous les nommé-je pas tous dix? -

Mais comme nous nous foucions peu des défauts des Auteurs qui ne font tort qu'à eux-mêmes, & qui ne fe gagnent pas ordinairement par la lecture de leurs Ouvrages, nous ne devons compter parmi ceux de Malherbe qui peuvent être préjudiciables à nos mœurs que cette galanterie qui fe trouve répandue dans plufieurs de fes vers, & quoiqu'elle y foit plus honnête & moins choquante que dans la plupart des autres Poëtes, elle n'y eft peutêtre pas moins à craindre, & fes impresfions guéres moins dangereufes.

On s'eft attaché davantage à la recherche des defauts de fa compofition, & plufieurs ont voulu fe fignaler dans la cenfure des fautes qu'il a faites contre les régles de l'Art Poëtique. Le P. Rapin qui

1.¶. C'est une affés froide plaifanterie qui ne doit pas être prife à la lettre.

2. René Rapin, premiére partie des Réflexions

fur

qui reconnoît d'ailleurs (2) qu'il a eu un Malherbe, génie merveilleux pour l'Ode, qu'il a été le premier de nos Poëtes François qui ait joint la pureté au grand ftyle, & qu'il eft encore aujourd'hui le modéle que doivent fuivre ceux qui veulent réuffir, dit que comme c'est lui qui a commencé la reforme de notre Poëfie, c'est-à-dire, la maniére de lui donner fa véritable forme, il n'a pû la porter jufques dans fa perfection, & qu'il y a bien de la profe dans Les vers (3).

D'autres n'ont pas goûté ce tour trop aifé, & fa maniére de parler qui leur a paru trop naïve, & fi on le peut dire, trop naturelle. L'Hiftorien de la guerre des Auteurs, dit que la facilité que Malherbe affectoit dans fes vers & la fimplicité de fes expreffions remplirent la Cour de Rimeurs. Chacun à fon éxemple vouloit être Poëte, & le devenoit fans peine. On avoit crû jufqu'alors qu'il falloit être favant & mysterieux pour faire des vers. Ronfard & les autres avoient rendu la Poëfie inacceffible aux ignorans. Mais Malherbe en la remettant dans un état naturel a donné lieu à ceux qui n'avoient pas fon talent de paffer à des extrémités oppofées, fous prétexte de le vouloir imiter (4).

Le Cavalier Marin étant en France avoit eu quelques habitudes avec Mal

fur la Poëtiq. Réflex, xxx, &c.

3. Le même aux Réfléx. partic. n. 30.

herbe

4. Gueret de la guerre des Auteurs pag. 117. &e.

Malherbe, herbe, & fur la connoiffance qu'il avoit de fa Poëfie, il fembloit l'accufer de trop de féchereffe. Mr. de Balzac qui eft notre garant de la penfée de Marin

re (1) que Malherbe difoit les plus jolies chofes du monde; mais qu'il ne les difoit point de bonne grace & qu'il étoit le plus mauvais Recitateur de fon tems; qu'il gâtoit fes beaux vers en les prononçant, outre qu'on ne l'entendoit prefque point à caufe de l'empêchement de fa Langue & de l'obfcurité de fa voix. Il crachoit pour le moins fix fois en recitant une Stance de quatre vers. Ce qui fit dire au Cavalier Marin, qu'il n'avoit jamais vû d'Homme plus humide, ni de Poëte plus fec.

Mr. Ménage prétend néanmoins que cette féchereffe que Marin qui étoit la fécondité même attribue à Malherbe, ne fe trouve point dans fes Ouvrages. Car ce n'eft pas, dit-il, être ftérile que de fe fervir deux fois d'une même penfée dans un fi grand nombre de vers (2). Homére & Virgile répétent fouvent, non-feulement les mêmes chofes, mais les mêmes vers. Il faut pourtant avouer que Malherbe aimoit beaucoup les répétitions d'un même mot & d'une même Epithéte dans une même phrafe, quelquefois auffi d'une même rime & d'une même locution,

1. Balzac, Entretien xxxvII. pag. 360. de l'édition in-12. d'Hollande.

2. G. Ménage, Obfervat. fur le fecond Livre des Poëfies de Malherbe pag. 329.

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