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Malherbe, pour les adoucir, & leurs Fables fans les expliquer agréablement, ne confidérant pas d'affés près la nature des matiéres aufquelles ils les faifoient fervir.

Malherbe fût bien profiter de ce mauvais éxemple. Il fe rendit plus circonfpe&t fur la fuite facheufe qu'avoient eu leurs fautes, & il devint plus fcrupuleux en ce point qu'ils n'avoient été. Il remarqua auffi, dit M. Godeau (1), que Defportes, Bertaut, & le Cardinal du Perron ayant apporté à la Poëfie toute la politesfe dont ils étoient capables, ou qu'ils jugeoient neceffaire pour la mettre dans l'état de fa perfection, il pouvoit bien à leur éxemple chercher de nouvelles graces pour parer nos Mufes qu'il voyoit fi cruellement deshonorées, & les retirer d'entre les mains de tant de petits monftres qui leur faifoient infulte.

Les licences qu'il a évitées, foit pour l'addition, foit pour le retranchement des fyllabes dans les mots; la févérité qu'il a gardée dans l'emploi des Rimes & tant d'autres régles dont on lui reproche l'invention, font des chaînes à la vérité; mais on doit les appeller plutôt des ornemens convenables à leur féxe, que des marques honteufes de leur fervitude. Et quand l'on avoueroit qu'elles font captives, il eft certain que cette nouvelle prifon leur eft plus avantageufe que leur ancienne liberté. Il n'y a eu que ceux qui les ont voulu faire

parler

1. Difcours de M. Godeau Ev. de G. & de V. fur les Oeuvres de Malherbe.

parler comme des Filles débauchées, qui ont Malherbe voulu condamner cette févérité dont elles font profeffion depuis cette réforme de Malherbe que Mr. Defpreaux nous a dépeinte en ces termes (2):

Enfin Malherbe vint, & le premier en France
Fit fentir dans les vers une jufte cadence:
D'un mot mis en fa place enfeignà le pou
voir,

Et réduifit la Muse aux régles du devoir.
Par ce fage Ecrivain là Langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.
Les Stances avec grace apprirent à tomber,
Et le Vers fur le Vers n'ofa plus enjamber.
Tout reconnut fes loix, & ce guide fidéle
Aux Auteurs de ce tems fert encor de mo-
déle.
Marchés donc fur fes pas, aimés fa pureté,
Et de fon tour heureux imités la clarté.

Cette vigoureufe éxactitude que Malherbe a obfervée dans fa maniere d'écrire, a obligé fes plus grands ennemis d'avouer qu'il étoit au moins excellent verfificateur. C'est toute la louange qu'il a pû obtenir de leur courtoifie, & ils n'ont point fait difficulté de lui refufer la qualité de véritable Poëte; en quoi ils ont fait connoître leur aveuglement, leur injuftice & leur mauvais goût, puifqu'au jugement de Mr.

2. Nic. Boil. Defpreaux de l'Art Poëtique chant Vers 131. & fuiv.

Malherbe. Mr. Huet (1) il n'y a jamais eu de Poëte, même parmi les Grecs & les Romains qui ait mieux mérité ce titre que lui, foit à caufe de fon génie qu'il appelle divin, foit à caufe de l'heureux tour qu'il a fait prendre à notre Langue pour la renfermer dans la mesure des vers, après l'avoir purgée des taches & l'avoir tirée des grosfiéretés de fa premiére barbarie.

Mr. Godeau ne s'eft pas contenté de dire la même chofe que Mr. Huet, mais en examinant les injuftes reproches de fes adverfaires, il a fait voir que Malherbe a été non-feulement un véritable Poëte, mais encore un des plus excellens d'entre les véritables. Car s'il eft vrai que l'Art de la Poëfie n'eft qu'une imitation de la Nature, il n'eft pas aifé de trouver dans le genre de vers, qu'il a embrassé un autre Poëte qui l'ait mieux imitée. Il represente toutes chofes avec une naïveté toute finguliere, il obferve la bienséance très-religieufement, il explique les anciennes fables de fort bonne grace & d'une maniére plus couverte & plus fine que ceux qui avoient paffé parmi nous pour de véritables Poëtes avant lui; il employe même des fables de fa propre invention avec un merveilleux artifice. Outre cela il rend fon ftyle fi éclatant par les figures qui l'embelliffent, lorfque fon fujet le demande; & fi délicat, quand il ne lui permet pas de

1. Petr. Dan. Huetius, lib. de Claris Interpretib. pag. 185.

2. Ant. God, au Discours de ci-dessus à la tête de l'édi

de s'élever beaucoup, qu'il faut reconnoî- Malherb tre que jamais homme ne modera la chaleur de fon efprit avec plus de jugement, & ne mérita mieux la qualité d'excellent Poëte Lyrique (2).

Mr. l'Abbé Ménage n'a point été d'un fentiment different de celui des deux Prélats que nous venons de rapporter. Il dit (3) que la jufteffe des penfées de Malherbe, la nobleffe de fes expreffions, la variété de fon ftyle, & fur tout ce je ne fai quoi, qui fe voit, qui fe fent, & qui ne fe peut exprimer, lui donnent le premier rang parmi les Poëtes François.

Quoique Malherbe ne fe foit pas rendu l'idolâtre ni l'efclave des Anciens comme avoient fait Ronfard, du Bartas, du Bellay & les autres, il n'a point laiffé de pren dre leur ordre & leur artifice, & il a encheri même fur leurs penfées, & les a mifes au goût de notre nation fans leur faire perdre aucune de leurs graces. Il s'eft enrichi de leurs dépouilles, il s'eft paré de leurs ornemens, mais avec tant d'adreffe, qu'il faut avoir bónne vue pour les diftinguer d'entre ceux qui font à lui. En un mot il les a pris pour fes guides, jugeant fans doute que pour être capable de produire quelque chofe d'excellent, il en faut prendre les femences dans les livres de ces Anciens, les lumiéres des Modernes auprès des leurs ne pouvant paffer

l'édition de Malh, par M. Ménage.
3. Gill. Ménage, Préface fur les Ouvrages de Mal
herbe avec fes Obferv.

Malherbe. paffer fouvent que pour de véritables ténébres dans ces fortes d'éxercices où ils ont été nos Maîtres.

Auffi Mr. de Balzac nous apprend-il que Malherbe les imitoit fort volontiers; mais il ajoute (1) que fes imitations ne font pas violentes, qu'elles font fines & adroites, & qu'il ne gâte point les inventions. d'autrui en fe les appropriant. Ce qui n'étoit que fimplement bon dans le lieu de fon origine, dit-il, devient meilleur dans Malherbe par le tranfport qu'il en fait. Il va prefque toujours au-delà de fon éxemple, & dans une Langue inférieure à la Latine, fon François égale ou furpaffe le Latin.

Mais il n'y a perfonne parmi tous ces Anciens qu'il ait plus heureufement imité qu'Horace dont il a parfaitement reprefenté le génie & le caractére dans fes Odes & dans fes Stances, qui méritent auffi le nom d'Odes, puifqu'elles femblent avoir été faites pour être chantées (2). Et ce n'eft point le flater de dire, que fous prétexte de vouloir imiter un ancien Poëte, il l'a furpaffé en divers endroits comme l'ont remarqué Mr. de Balzac, Mr. Ménage & quelques autres Critiques (3). On peut dire auffi qu'on lui trouve l'es

prit

1. Jean L. Guez de Balzac, Entretien xxx1. pag. 319. de l'édit, in-12. d'Hollande.

2. Godeau, Difc. Balzac pag. 319. de fes Entr. Ménage & divers autres Critiques François de ce fiécle.

3. Entretiens de Balzac de la comparaifon de

Ron

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