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Lopé de
Vega.

Il ne fe contenta pas de lui avoir donné la naiffance, il l'entretint lui feul, il la fortifia, & il la polit, en lui donnant fesaccroiffemens. Enfin, pour achever le miracle, it la pouffa lui-même jusqu'au point de la perfection, où les Efpagno'scroyent qu'elle eft préfentement. De forte qu'ils ont eu raifon au moins pour ce point d'élever leur Lopé au-deffus de tous les Modernes, & même de tous les Grecs & les Romains qui ont écrit des Comédies.

Tout étoit comique en lui, fes penfées, fes paroles, fes geftes, fa pofture, fon vifage, de forte qu'il ne favoit pres-que ouvrir la bouche, ni remuer le bras qu'on ne crût auffi-tôt que c'étoit pour faire ou déclamer quelques Vers Comiques. En un mot, on peut dire, fur la maniére de parler des Espagnols, que tout ce que touchoit Lopé fe tournoit en Comédies, & qu'il n'y a point eu d'évene-mens tant foit peu confidérables dans toute l'Histoire non feulement d'Espagne, mais de la Gréce, de la République & de l'Empire Romain, & des Nations étrangéres, qu'il n'ait représentés fur fon Théâtre.

Il avoit celles des qualités Poëtiques qui

font

1. Nouv. Method. pour la Gramm. Espagnole dans la Préface par le P. R..

2. Ren. Rapin, Reflex. gener. fur la Poëtique premiére partie, Refl. xxxix.

Le même dans la 2. partie des Reflex. particul. Reflex. XXVI.

3. 4. Je

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font néceffaires pour plaire aux peuples Lopé de qui fe font ordinairement les juges des Vega. Piéces de plaifir. Il avoit l'humeur agréa ble, plaifante, & affés enjouée pour un Efpagnol, il parloit un des mieux du Royaume, fon ftyle étoit correct, net, & fort facile; quoique Meffieurs de PortRoyal femblent avoir jugé que fa profe eft dans une approbation plus univerfelle que fes Vers pour la beauté du ftyle & l'excellence de la Langue (1).

Le Pere Rapin dit (2) que fon nom feul faifoit l'éloge de fes Piéces, tant fa réputation étoit établie; & que c'étoit asfés de favoir qu'un Ouvrage étoit forti de fes mains pour mériter l'eftime publique. Mais il témoigne ailleurs que Lopé fuivoit plutôt fon génie que la nature, & qu'il s'eft trop abandonné à fon propre efprit en formant fon imagination dans tout ce qu'il a fait (3).

Ce même Pere avouë que jamais perfonne n'a eu un plus grand talent pour la Comédie que notre Lopé, & qu'il avoit une admirable fécondité d'efprit jointe à une grande beauté de naturel & à une facilité inconcevable de produire & d'exprimer ce qu'il vouloit. Mais il prétend en même tems qu'il avoit l'efprit trop vaste pour

3. T. Je crois qu'au lieu de ces mots: en formant fon imagination dans tout ce qu'il a fait, lefquels ne paroiflent pas avoir de fens, il faut lire en fourrant fes imaginations dans tout ce qu'il a fait, conformément aux paroles du P. Rapin qui a dit dans l'endroit où Baillet renvoie que Lope de Vega s'abandonne trop à fen efprit, & fourre fes imaginations par tent.

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pour pouvoir l'affujettir à des régles, & pour lui donner des bornes. C'est ce qui l'obligea de ne fuivre point d'autre guide que lui-même, & de mettre toute fa confiance dans fes propre forces.

Le même Auteur remarque que ce Poëte Comique ne confultoit que le goût de fes Auditeurs, & qu'il fe régloit plus fur le fuccès de fes Piéces que fur la raifon: que c'eft ce qui le porta plus volontiers à fe défaire de tous les fcrupules de l'unité d'action, de lieu, & de tems, & des fuperftitions de la vrai-femblance. Mais que, comme il veut d'ordinaire rafiner fur le ridicule, & être trop plaifant, fes imaginations font fouvent plus heureuses qu'elles ne font juftes; plus folles & plus bizarres qu'elles ne font naturelles; qu'il eft trop fubtil fur la plaifanterie; que fon enjoument devient faux à force d'être trop délicat; & que fes graces paroiffent froides & languiffantes pour être trop fi

nies.

Le Pere Rapin n'eft pas le feul ni le premier qui ait remarqué les irrégularités & les nouveautés capricieufes de frere Lopé de Véga. Le Sieur Laurent Crasso témoigne (1) que les Critiques n'ont point été fatisfaits de toutes les licences qu'il a prifes, & du mépris qu'il femble avoir fait des régles de l'Art comme s'il s'en étoit voulu rendre le Maître ; & que tout le monde le blâme de n'avoir fongé unique

ment

1. Laur. Craffus in Elogiis Hominum Litteratorum tom. 2. pag. 109. & feqq.

ment qu'à donner du plaifir au public & à Lopé de plaire à la populace. Mr. de Balzac mê vega, me ne trouvoit pas qu'on fût raisonnable dans le plaifir qu'on y prenoit (2).,, Eft

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il poffible, dit-il, qu'avec une goutte de fens commun on puifle préferer les Poëtes Efpagnols aux Italiens, & pren"2 dre les vifions d'un certain Lopé de ,, Vega, pour des compofitions raifonnables?

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Dom Nicolas Antonio n'a point fait difficulté de reconnoître & d'avouer ces défauts de Lopé. Mais il eftime qu'ils ne doivent point paffer pour de véritables défauts dans un homme qui ne s'étoit propofé aucun modéle à fuivre, & qui avoit entrepris de former lui-même un éxemple pour ceux qui viendroient après lui. C'eft fur ce pied qu'il faut juger de la liberté qu'il a cru pouvoir prendre, pour faire gliffer pêle-mêle fur fon Théâtre, les Hiftoires avec les Fables, les chofes Tragiques avec les Comiques, les burlefques avec les férieufes; pour faire chauffer le cothurne à des tabarins, & pour confondre fans fcrupu le, le fon de la mufette, du luth, de la lyre & de la trompette avec les voix du

chœur.

Il étoit né Poëte libre, & jamais il ne voulut tenter de fe défaire de fon caractére, il penfoit fans fe gêner, il parloit & écrivo't toutes chofes fans contrainte, & il confidéroit comme une fervitude lâche &

2. J. L. Guez de Balzac lettre 12. du livre 4. de celles à Chapelain de l'an 1639.

Lopé de

Vega.

& indigne d'un véritable Poëte l'affujettisfement où font les autres pour obferver les loix prétendues que l'on a prescrites à la durée de l'action fur le Théâtre, & aux autres pratiques que l'on y a introdui tes (1).

Ceux qui font venus après lui ont été plus éxacts & plus réguliers parce qu'ils fe font bornés à une ou deux Piéces de Théâtre, qu'ils ont tâché de limer toute leur vie, & qu'ils ont tâché de profiter des fautes dont on a repris Lopé, auffi-bien que de fes excellentes qualités; mais felon le même Auteur, ce petit avantage ne les a point égalés à ce Prince des Dramatiques, qui fera toujours confidéré comme le Poëte naturel; c'eft-à-dire, formé par la Nature même, au lieu que les autres ne font Poëtes que par art & par machines.

Il faifoit ordinairement une Piéce de Théâtre par jour, & quand une Comédie lui en coûtoit trois, elle étoit fort longue, & il faloit alors que quelque affaire étrangére eût préfenté un obftacle au défir qu'il avoit de donner tous les jours un plaifir nouveau à fes Spectateurs. Il les accoutuma tellement à fon goût & à fes maniéres, qu'on ne trouvoit prefque plus rien de bon en Efpagne que ce qui venoit de lui. De forte, que fi nous en croyons le Bibliothéquaire Espagnol, lorfque dans la fuite des tems l'on a trouvé quelque chofe

1. D. Nicol. Anton. ibidem loci tom. 2.
2. Pompe funebre de Voiture par Sarazin dans fes

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