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prit de Seneque en divers endroits; il l'a- Malherbe, voit beaucoup étudié & traduit même ennotre Langue, c'eft ce qui lui avoit rendu fes fentimens plus familiers, & qui a contribué beaucoup fans doute à rendre faPoëfie fi touchante, fi animée & fi confo lante lors qu'il parle de la mort ou des adverfités de la vie. Enfin Malherbe n'a pas dédaigné même d'imiter les Modernes, parmi lefquels Mr. Colletet a remarqué quelques Italiens & quelques Espagnols (4). Mais il en ufoit partout avec fon choix & fa difcretion ordinaire; de forte qu'il n'étoit pas moins le Maître de fes Auteurs que de fon Art, & l'on peut dire qu'il a fait plus d'honneur aux Auteurs qu'il a imités qu'il n'en a reçu de secours. Je n'en excepterois pas même le Stace Auteur de la Thebaïde, s'il étoit bien conftant que Malherbe fe le fût propofé comme un modéle qu'il eût voulu fuivre. Mr. de Racan fon ami & fon disciple l'a dit dans les Memoires qu'il a laiffés pour faire fa Vie. Mr. Ménage nous l'a confirmé dans fes Obfervations, & il en rapporte deux éxemples dans fes Additions & fes Corrections. Cependant Mr. Mofant de Brieux écrivant à Mr. Turgot de Saint Clair; nous fait affés connoître

Ronfard & de Malherbe. Obfervat. de Ménage pag. 541. &c.

4. Guillaume Colletet au Difcours de l'Eloquence & de l'imitation des Anciens pag. 33. 34. à la fiņ de fon Art Poëtique &c.

. Colletet dans l'endroit cité ne nomme aucun Auteur Espagnol que Malherbe ait imité, A s

Malherbe, noître que la chofe a peu de fondement. Le caractére de Malherbe, dit cet Auteur, est éloigné de celui de Stace autant que le Ciel l'eft de la Terre, & il n'eft pas aifé de comprendre comment Mr. de Racan a pû dire (1) que notre Poëte François faifoit de ce Poëte Latin fon modéle & fes délices. L'un eft Poëte Lyrique, l'autre eft Poëte Heroïque; l'un jouë du luth, l'autre bat le tambour. Malherbe eft doux & réglé; Stace eft emporté & violent. Le premier eft une riviére qui coule paisiblement dans fon lit; le fecond eft un torrent qui fe précipite parmi les rochers. Celui-là eft animé d'un feu pur & tout céleste, continue l'Auteur; celuici, dit Scaliger, eft un furieux & un phrénétique. Ce n'eft pas que Stace n'ait fes charmes, mais fes beautés & celles de Malherbe font toutes différentes, car l'on voit en celui-ci un vifage ferain, & une Majefté douce & tranquile; au lieu que Stace n'a rien que de terrible, & qu'il a mis tous fes charmes dans un certain air belliqueux & plein de fierté.

Il eft donc hors d'apparence que Malherbe eût voulu choifir Stace pour fon Maître

1. . Il l'a dit parce qu'il favoit la chofe d'original. Malherbe trouvant dans Stace plufieurs de ces penfées brillantes qu'aime la Poëfie Françoise, pouvoit fort bien les habiller à la Françoile, & fe Ies approprier par le tour. C'est par cette même raifon que le Grand Corneille préféroit Lucain à Virgile.

2. Mofanti Epift. ad calcem 2. partis Poëmatum pag. 109.

3. q. Pierre le Petit en 1671, imprima un Recueil

de

Maître & fon Directeur, & quoiqu'il ne Malherbej fe foit point borné à un feul Auteur pour s'en faire un éxemple à fuivre, on peut dire après Mr. de Brieux qu'Horace étoit fon unique Patron & le feul modéle fur lequel il vouloit fe former. C'étoit, ditil, l'ami du cœur de notre Poëte, il ne fe contentoit pas de l'avoir dans fon cabinet, il l'avoit encore fous le chevet de fon lit, fur fa toilette, aux champs, à la ville, & il l'appelloit ordinairement fon Bréviaire, comme le racontoit fouvent Mr. de Grentemefnil qui l'avoit connu particuliérement (2).

C'est donc principalement à Horace que Malherbe étoit redevable de ce qu'il avoit acquis hors de fon propre fonds. Mais outre l'avantage qu'il a eu quelquefois fur fon Maître, on peut dire qu'il y a une gloire qui lui eft propre & particuliére, à laquelle les étrangers ou ceux qu'il a pû imiter n'ont point eu de part. C'est celle qui fait la diftinction & la différence. effentielle de fa Poëfie d'avec celle de tous les autres Mr. de Breves, ou Mr. de la Fontaine (3) nous marque affés bien cette différence (4). Elle confifte, dit-il, en

trois

de Poëfies Chrétiennes & diverfes en 3. vol. in-12. Meffieurs de Port-Royal, qui fous le nom de Lucile Helie de Bréves avoient fait ce Recueil, y mirent une Préface. La Fontaine le dédia au Prince de Conti par une trentaine de vers, & y ajouta en profe l'Avertiffement qui fuit la Préface.

4. Avertiffement, mis à la tête du Recueil de Poëfies Chrétiennes & diverfes, fait par de la Fontaine ou de Breves in-12,

Malherbe trois choses qui font fon caractére particulier. La premiere eft le tour & la chûte de fes Stances; la feconde eft l'arrangement des paroles d'où procéde l'harmonie & la netteté de fes vers; la troifiéme eft l'expreffion qui non-feulement eft noble, mais Poëtique & hardie, fans qu'on y puiffe remarquer rien d'étrange, rien qui choque l'oreille ou l'imagination, ni rien qui déplaife. Ce font ces excellentes qualités plus que toutes les autres qui ont élévé Malherbe au-deffus de tous nos Poëtes François, & peut-être ne feroit-il pas aifé de nous faire voir parmi les Nations étrangéres un Poëte en qui elles fe trouvaflènt en pareil dégré.

L'Auteur que je viens de citer, ajoute que toutes ces qualités jointes à la beauté de la Rime dans Malherbe, caufent un plaifir fenfible aux perfonnes même les plus groffiéres, & qu'on ne peut s'empêcher de l'admirer, lorfqu'on voit dans. tous fes vers de la Majefté & de la force accompagnée d'une douceur perpetuelle, d'une beauté qui n'a rien que de mâle, & de graces qui n'ont rien d'efféminé.

Mais après avoir accompagné ceux qui ont publié les excellentes qualités de Malherbe, il faut voir fi nous pourrons suivre ceux qui ont tâché de découvrir les parties foibles & les endroits défectueux de ce. Poëte.

On peut accorder à fes envieux qu'il a fait paroître trop de vanité dans fes vers fans

7. Gill, Ménage dans fes Obfervations fur les Poë

fans pourtant convenir avec eux qu'il en Malherbe. étoit moins bon Poëte. Au contraire fi nous en croyons Mr. Ménage (1), cette vanité est tout-à-fait, finon effentielle, au moins bienféante aux Poëtes. Malherbe avoit dit de lui-même en parlant au Roi Louis XIII, dans un Sonnet:

Mais qu'en de fi beaux faits vous m'ayés pour témoin,

Connoiffés-le, mon Roi, c'est le comble du foin

Que de vous obliger ont eu les Destinées.

Tous vous favent louer, mais non égale

ment.

Les Ouvrages communs vivent quelques années,

Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

Malherbe avoit parlé à la Reine Marie de Medicis dans des fentimens femblables:

Apollon à portes ouvertes

Laiffe indifferemment cueillir

Les belles feuilles toujours vertes,
Qui gardent les noms de vieillir.
Mais l'art d'en faire des couronnes
N'eft pas fu de toutes perfonnes:
Et trois ou quatre feulement,
Au nombre defquels on me range,

Peu

fies de Malherbe pag. 337.

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